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Fondation de l’Hermitage, Lausanne
Lausanne : Trésors de Bergame

La Fondation de l’Hermitage accueille un ensemble rare de chefs-d’œuvre italiens.

Article mis en ligne le septembre 2008
dernière modification le 27 octobre 2008

par Sarah CLAR-BOSON

L’accueillante demeure lausannoise se transforme en écrin estival pour accueillir un ensemble rare de chefs-d’œuvre italiens, qui nous rappellent, en un parcours flamboyant de quatre siècles, toute l’étendue et la variété des productions régionales septentrionales.

Restaurées pour l’occasion au point d’en devenir parfois presque intimidantes par leur fraîcheur, ces peintures racontent aussi une histoire complémentaire mais intrinsèquement liée, celle de trois collectionneurs successifs, trois visionnaires épris de beauté et méticuleux dans la construction patiente de leur patrimoine pictural, qui ont donné vie à la prestigieuse Accademia Carrara de Bergame et assuré sa pérennité autant que son rayonnement. La débauche de couleurs et souvent de surprise esthétique promet d’ensoleiller l’été 2008…

Une vision méthodique
Née en 1796 de la collection du comte Giacomo Carrara (1714-1796), l’académie homonyme rappelle aussi que la richesse culturelle italienne ne se limite guère à Venise, Florence ou Rome. Mais là où elle étonne, c’est que le dessein de Giacomo Carrara ne répond pas à des critères de chefs-d’œuvre absolus mais davantage à une rigueur muséale profondément avant-gardiste pour l’époque. Giacomo, s’il acquiert principalement des productions bergamasques, vise aussi la diversité des époques, et des échantillons les plus variés et représentatifs possibles, à l’instar d’une collection de type encyclopédique. Ainsi, dans un XVIIIème siècle et un pays encore pieux, une grande partie des tableaux religieux sont transférés et mis en valeur dans les murs de l’académie, détachés de leur fonction de dévotion et de leur contexte, comme de beaux spécimens de laboratoire, pour devenir des vecteurs de culture locale et d’éducation. Pinacothèque et Ecole des Beaux-Arts ne font alors plus qu’un sous l’impulsion de Carrara. Cette vision méthodique du collectionneur, qui n’écarte pas pour autant la qualité, amène un vent frais sur la ville de province, mais sembla vite trop en avance sur son temps.

Approche sans compromis
Deux autres grands amoureux de l’art reprendront le flambeau et enrichiront de manière décisive la collection initiale, qui comprend actuellement plus de 1800 œuvres. Guglielmo Lochis (1789-1859), comte lui aussi et maire de Bergame, mettra en scène sa propre collection dans sa villa de campagne « La Crocetta di Mozzo », suivant le même souci rigoureux que son prédécesseur, dédiant une salle par thème ou typologie d’œuvre, à l’instar d’un musée moderne, à une époque où ses contemporains exhibaient généralement leurs œuvres sans agencement aucun et dans la seule optique de traduire leur rang social. Lochis, quoique porté lui aussi sur un équilibre représentatif, laisse néanmoins la part belle à son goût personnel pour la peinture du XVIème siècle. A sa mort, la ville de Bergame, par souci d’économies, délaissa la splendide demeure campagnarde bâtie toute exprès pour mettre en valeur la collection de l’infortuné Lochis, et fit rapatrier ses œuvres dans les murs de l’Accademia Carrara. Quant au troisième grand personnage qui contribua au rayonnement de Bergame, et perpétua sans surprise la même approche muséale sans compromis, il s’agit d’un historien de l’art à la réputation européenne, Giovanni Morelli (1816-1891), un homme qui signait du pseudonyme d’Ivan Lermolieff ses travaux de classification, qui bouleversèrent l’appréhension rigide des œuvres en fonction de leur attribution passée, et emportèrent même plus tard l’adhésion de Sigmund Freud, admiratif de la manière dont Morelli s’attardait sur les détails prétendument insignifiants d’une peinture, mais qui en révèlent de nouveaux éléments, auparavant cachés par le voile pluriséculaire de critères de compréhension préconçus, « à la Vasari », serait-on tenté de dire.

Joyaux
L’exposition révèle aussi de véritables surprises qui titilleront même l’œil d’un professionnel ou amateur très éclairé, tel cet incroyable portrait de gentilhomme par Altobello Melone, exécuté vers 1510, représentant un jeune noble ténébreux à la barbe soignée et au costume précieux, sur un fond d’intense ciel menaçant et orageux à couper le souffle. D’autres grands noms toscans, lombards ou vénitiens, viennent enrichir l’ensemble et conférer un grand équilibre à cette collection, qui couvre également tous les genres (peinture religieuse et mythologique, portraits, natures mortes).
Parmi les joyaux de la collection, mention spéciale au sublime petit portrait de Lionello d’Este par Pisanello (vers 1441), où le marquis fusionne le profil à l’antique (à l’instar des fameuses médailles de l’artiste) et la débauche de préciosité des étoffes et du costume à mi-chemin entre l’hyperdécoration du gothique international tardif et les ornementations florales libérées du Quattrocento. L’autre tableau de petite dimension qui réunit tous les suffrages de beauté, de virtuosité et de délicatesse équilibrée est sans conteste cette petite Vierge à l’enfant du Titien, dans sa période de jeunesse, dont le coloris vibrant chante toute la lumière de Venise et dont le paysage en arrière-plan, aux nuages menaçants rappelle combien l’influence de Giorgione stimula pour le meilleur son camarade et ami, et à quel point son héritage se perpétua jusqu’aux vedutistes vénitiens : Francesco Guardi, en point d’orgue mélancolique, clôt ce parcours avec sensibilité, dans ses Capricci où les ruines règnent en maîtresses et ses vues de la ville, où Venise semble s’enfoncer dans une déliquescence fascinante de paradis à jamais perdu.

Sarah Clar-Boson

« La peinture italienne, de la Renaissance au XVIIIème siècle, Trésors de l’Accademia Carrara de Bergame », Fondation de l’Hermitage, Lausanne
jusqu’au 26 octobre 2008