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Lausanne : Musée de l’Elysée

Le Musée de l’Elysée tente de faire le point sur la « démocratisation » de la photographie.

Article mis en ligne le avril 2007
dernière modification le 15 juillet 2007

par Bertrand TAPPOLET

Si la photographie est résolument entrée dans l’ère du numérique, de la
miniaturisation de ses moyens de captation, de traitement et de diffusion, amenant, par une politique de prix agressive, une accessibilité inédite à sa
production au tout venant, antonyme du professionnel, il restait à poser quelques jalons sur les implications de cette révolution. Par la grâce de l’image digitale, le photographe amateur est devenu autonome. Sous forme d’une exposition laboratoire ou work in progress, Le Musée de l’Elysée tente de faire le point sur cette « démocratisation » de la photographie.

Flux imagé
Une déferlante d’images est prise à chaque seconde par des amateurs à l’aide d’appareils numériques, de téléphones portables, de clés USB. Une part importante de ces images restera dans les limbes d’une carte mémoire ou d’un disque dur, menant une existence spectrale, appelée par intermittence à être révélées, avant d’être recouvertes du linceul de l’oubli. D’autres trouveront leur niche au sein de sites ou de la blogosphère, cette économie généralisée de l’icône sur internet. Plus rares, celles qui s’assureront un débouché dans la presse, à l’instar des snapshots fantomatiques, flous, crépusculaires et verdâtres réalisés à bout de portables dans le métro londonien lors des attentats de juillet 2005. Aujourd’hui des amateurs feraient l’information alors que les photojournalistes glisseraient du côté du corporate, le reportage d’entreprise. Asservie aux actionnaires, ployant sous la pression sauvage d’une concurrence féroce, la presse doit progressivement renoncer à sa mission d’informer, de débattre. Peut-il encore exister une dimension démocratique dans une aliénation au produit et face à l’engloutissement des images d’information par les empires de l’illustration, de l’informatique et de la finance ? À l’aune de cette exposition, on peut néanmoins saisir que, pour l’avenir du photojournalisme, la fuite en avant dans la vitesse sans cesse croissante du traitement de l’information et le droit à l’image à géométrie financière variable constituent des périls sans doute plus amples que la massification d’une esthétique liée à la photo amateur.
Sans limite, ni contrôle sauf à légiférer a posteriori, des millions de clichés et vidéos à caractère violent se déversent dans le photophone, tels le happy slapping et autre jackassing ou baston et bizutage sans raison captés in vivo. Images pornographiques aussi qui représentent 85 % de celles circulant sur le net. Toutes peuvent être contemplées, téléchargées, stockées par des millions d’individus, en faisant fi de la diversité des sensibilités culturelles. Chez Natacha Merritt, cette « pornocratisation » des images est recyclée et détournée par des jeux pictorialistes de texture. Mais aussi un style qui emprunte ses codes à la fois au « giallo », genre cinématographique transalpin à la lisière entre le cinéma policier, le cinéma de terreur, le fantastique et l’érotisme et au « gonzo » ou « dans le feu de l’action », film estampillé X aux pratiques extrêmes.

Conflit en Palestine

Mateur amateur
A l’orée du XXIe siècle s’imposent progressivement les aficionados du tir photographique en rafale par portable ou appareil digital interposés. C’est le règne du « snapshot ». Cette action de déclencher la prise d’images sans forcément viser, cadrer ou composer, imposa progressivement une nouvelle esthétique, où le défaut, la faille, l’imperfection, le flou deviennent une marque de fabrique, un style faisant de la photographie amateur une déclinaison spontanée en prise directe avec le réel, le présent immédiat. Témoin le travail de Julien Barras qui au cours de ses périples adopte un protocole de prises de vues en photographiant autour de lui les personnes se prenant elles-mêmes en photo, souvent en des lieux où des dizaines de personnes s’adonnent au même geste afin de se capter au pied d’un monument. Il s’extérioralise ainsi par rapport à un acte photographique de masse tout en le décentrant, le critiquant et dévoilant un réel scénarisé et théâtralisé. Au chapitre du dialogue parfois aléatoire à développer entre l’imagerie internet en ligne et la saisie d’un instantané réalisé live, « Buttons » de Sasha Pohfllepp en étonnera plus d’un. La photo est un découpage temporel, choix d’un instant. L’appareil photo est objet de réseau et enregistre un intervalle de temps lorsque l’on appuie sur son bouton, alors même qu’il est dénué de partie optique. Il cherche alors en continu d’autres images prises simultanément sur le net et en fait apparaître une à l’écran.
On a ainsi créé une nouvelle esthétique amenant à l’impossibilité de pointer ce qui fait défaut, béance dans la photographie.
Pour beaucoup de photographes, les prétendues imperfections sont devenues le signe même de leur style. On crédite désormais la photographie amateur d’être plus « véridique » que sa déclinaison professionnelle. Chacun peut potentiellement devenir le témoin, le passeur, la mémoire vive d’un événement, que ce soit le 11 septembre, le tsunami, les attentats madrilènes ou les frasques des people. On assisterait à l’assomption d’un nouveau genre de citoyen-photographe. Le photojournalisme a néanmoins, semble-t-il, encore quelque avenir dans la série photographique, le reportage en immersion et au long cours. Certaines zones, comme la République du Congo, la Tchétchénie, le Darfour notamment, restent ainsi difficilement accessibles aux photographes amateurs férus de safari d’images instantanées.

A l’affût
Souvent présentée sous forme de « dazibao iconographique », de mosaïques d’images reproduisant les fenêtres virtuelles d’un écran d’ordinateur dans un côte à côte parfois déroutant entre plusieurs sources et écritures dans le rendu du réel (digitales, films, coupures de journaux, journal intime vidéographié sur portable, modes d’emploi et photos d’actualité reproduites en petits ou moyen formats, installation d’artistes retravaillant des photos d’amateurs parfois sous forme de récit), l’exposition retrouve une présentation plus aérée, plus familière aux habitués des cimaises avec trois tirages pleine paroi de Patrick Weidmann. Ce photographe plasticien s’immisce avec bonheur dans la presse spécialisée, et verse dans le snaparazzisme haut de gamme, dévoilant comment l’amateur peut venir subvertir et mettre en crise la représentation d’un événement éminemment médiatique comme le Festival de Cannes. Il croque une meute de photographes, téléobjectifs phalliques en bandoulière, à l’affût du passage des célébrités. Puis il dévoile le bas du fameux escalier dont les marches accueillent des corps morcelés dont on ne voit que chaussures et mollets. Enfin la quintessence du désœuvrement people emblématisée par une Paris Hilton au visage cadré dans un rétroviseur. Images tronquées dont on doit compléter le hors ou le contre champ. Ou le regardeur comme co-créateur de l’image par son imaginaire. Manière pertinente de décaler des sujets ultra-médiatisés tout en évitant, par l’extrême soin porté à la composition et au tirage, l’identification au tout venant des snaparazzi, ces photographes amateurs immortalisant des stars grâce à leur cellulaire, souvent sans regard ni intention, neutres à force de rétrodiction, de banalisation, dans un reality-show que l’on vit instantanément, pour moins en réaliser la portée. L’une des interrogations touche au contenu et à la nature de l’image diffusée, publiée. S’agit-il d’un document relatant un fait, un compte rendu, comme souvent les images d’amateur ? Ou d’un regard en forme de questionnement sur événement, un point de vue, apanage peut-être en partie et pour un temps encore des images professionnelles ?

Bertrand Tappolet

Musée de l’Elysée, Lausanne, jusqu’au 20 mai.