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A la fondation de l’Hermitage
Lausanne : La Belgique dévoilée

Quelques commentaires sur l’exposition “La Belgique dévoilée, de l’Impressionnisme à l’Expressionnisme“ à la Fondation de l’Hermitage.

Article mis en ligne le mars 2007
dernière modification le 15 juillet 2007

par Sarah CLAR-BOSON

Fidèle à sa démarche exploratrice des grands mouvements picturaux des XIXème et XXème siècles, la Fondation de l’Hermitage lève un pan sur la
production belge à mi-chemin entre les deux périodes et laisse le mystère de ces œuvres inclassables se diffuser subrepticement, sans fracas, mais avec
une surprise croissante.

Première exposition exclusivement dédiée à ce pays qui a fait de sa créativité et de son originalité décalée sa marque de fabrique, elle met en lumière des artistes qui ont respectivement puisé dans l’héritage impressionniste, post-impressionniste, symboliste et expressionniste avec une indépendance d’esprit volontiers frondeuse qui les situe en bonne place parmi les courants européens majeurs.

Troublante franchise
Sans doute les visiteurs chanceux venus admirer les subtils trésors impressionnistes scandinaves il y a deux ans à Lausanne reconnaîtront-ils une filiation directe avec la présente affiche, mais là où les peintres nordiques exploraient via un langage pictural alors commun à tout l’Occident un art de l’introspection, de la nostalgie et de la rêverie, les Belges brisent toute contemplation détachée pour affirmer leur engagement artistique avec force et conviction. Il y a dans cette centaine de tableaux et dessins exposés une franchise troublante et souvent brutale dans le langage, un effet coup de poing dans ces sujets volontiers provocateurs, un non-conformisme qui fascine autant qu’il dérange parfois. A l’instar de ces concepts aussi parlants mais insaisissables que l’Englishness, on peut volontiers oser le terme de Belgitude s’agissant de cette identité artistique originale, qui se fond à merveille avec la vocation de toute avant-garde. Comme elle aussi, et de surcroît lorsqu’elle est hétéroclite et faite d’un assemblage d’approches très indépendantes, inédites et individualistes, sa définition au regard de grands jalons tels que l’impressionnisme ou le néo-impressionnisme demeure encore plus problématique et passionnante.

Réaction violente
Deux grands mouvements sont à l’origine du façonnement de la production belge : tout d’abord, le Groupe des XX, né en 1883 en réaction violente à l’académisme officiel dictatorial et figé encore en vogue (suivant en cela l’exemple français du Salon des Refusés, puis de la naissance du mouvement impressionniste), puis celui de la Libre Esthétique, qui lui emboîte le pas en 1894. Comme bien d’autres pays avant elle mais avec une étonnante rapidité, la Belgique transforme en profondeur et dans ce laps de temps très court sa production picturale, pour se profiler à la pointe de la modernité artistique. La participation des plus grands maîtres français aux expositions des XX agit en véritable catalyseur, et le langage technique est immédiatement absorbé par les artistes belges, qui ont vite compris que les diverses interprétations d’un style commun peuvent servir à affirmer une identité propre : ils invitent donc aussi leurs cousins scandinaves (Larsson, Krøyer, Krogh), germaniques (von Uhde, Max Liebermann), anglais et américains (Ford Madox Brown, Mary Cassat, et Whistler, qui aura une influence particulière en Belgique) ainsi que Van Gogh, pour confronter universalité de langage et spécificité individuelle.

Epanouissement
Mais le virage révolutionnaire vers l’affirmation nationale à travers un courant artistique transnational amorcé par le Groupe des XX ne suffit pas : une étape supplémentaire est franchie vers un art de plus en plus inclassable par le groupe de la Libre Esthétique, désormais fort de 120 membres. Ses statuts et son objectif large donnent une charpente structurée propre à l’épanouissement du Symbolisme et de l’Expressionnisme. On trouve parmi ses artistes (tel le fascinant James Ensor) les chantres des visions les plus diverses : délirantes, caustiques, oniriques, cauchemardesques (où les thèmes de la Mort ou de la Femme fatale sont très présents), toutes obéissant à des mises en scènes originales, préfigurant souvent de manière évidente la bande dessinée.
La Belgitude est en marche, et offre désormais une véritable alternative à l’art officiel : preuve de ce succès croissant, l’Etat belge lui-même commence à acquérir des œuvres, et la famille royale cautionne ce foisonnement artistique en se pressant aux expositions du groupe. Ultime étape de cette boulimie créatrice, et grâce à l’impulsion du génial Henry Van de Velde, la Libre Esthétique ouvre grande la porte aux arts décoratifs, qui vont faire rayonner Bruxelles et ses chefs-d’œuvre Art Nouveau.
Le terreau surréaliste était donc déjà préparé pour un certain René Magritte, qui moissonnera l’audacieux héritage de ses prédécesseurs tout en continuant de faire rayonner cette Belgique toujours aussi insaisissable…

Sarah Clar-Boson

La Belgique dévoilée, de l’Impressionnisme à l’Expressionnisme, Fondation de l’Hermitage, Lausanne, jusqu’au 28 mai 2007