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Fondation de l’Hermitage, Lausanne
Lausanne, Fondation de l’Hermitage : Fantin-Latour
Article mis en ligne le septembre 2007
dernière modification le 2 octobre 2007

par Sarah CLAR-BOSON

Franc-tireur, inclassable et protéiforme, Fantin-Latour exprime la quintessence de l’esprit libre et vagabond, capable par son aisance déconcertante de passer des portraits de groupe aux plus délicats et veloutés des bouquets de fleurs, en passant par des visions oniriques wagnériennes. Tant de talents réunis dans un peintre discret, longtemps resté dans l’ombre des Impressionnistes méritaient bien un coup de projecteur ensoleillé pour l’été.

Tout au long de sa riche carrière, la nature humaine dans toute sa complexité et sa dualité a abondamment nourri la démarche exploratrice de Fantin. On ne peut comprendre ou appréhender ses roses épanouies, ses magiques lys blancs du Japon, ses portraits figés dépourvus de toute chaleur, ou ses hommages lyriques sans y voir l’expression d’une créativité dénuée de toutes barrières, bien davantage qu’une forme d’antagonisme. Fantin n’est pas un désinvolte, chaque facette de lui-même, soigneusement construite, s’exprime à travers ces différents thèmes. On n’enferme pas facilement dans de petites cases pareille fascinante polyvalence…

Affiche Fantin-Latour

Dialogue avec la nature
Toutefois, la consubstantialité de l’art de Fantin se retrouve d’autant plus mise en lumière si l’on aborde l’énigme en la retournant. Le peintre est avant tout un patient créatif qui élabore ses chefs-d’œuvre en atelier, loin de tout tumulte, ses bouquets de fleurs, ses étranges portraits (tel celui, splendide, de Manet en 1867, élégantissime bourgeois en redingote et haut-de-forme, en amusant clin d’œil à contre-pied de la forte tête et chef de file révolutionnaire qu’il était) ou autoportraits sans complaisance disposés devant un fond parfaitement neutre. L’acte de peindre, rien que l’acte de peindre, concentré vers l’essentiel : le dialogue avec la nature.
Mais on est là aux antipodes des audaces contemporaines impressionnistes, où les membres du groupe plantent leur chevalet en plein air pour capter la lumière. Fantin, lui, aime les contours nets, les teintes foncées en contraste, le velouté léché des textures. Presque un conservateur, vous dis-je…

Héritage flamand
Mais alors, Fantin est-il vraiment un réaliste ? Isolé dans la tranquillité de son atelier-refuge, casanier à outrance, l’artiste aime prendre son temps sur ses sujets. Certes, il peut s’autoriser ce luxe dans ses autoportraits, ou ses magnifiques portraits de groupe grand format directement nourris de la tradition hollandaise du XVIIème siècle, qu’il vénérait et qui figure parmi les éléments-clé de son langage pictural, en particulier Rembrandt et Frans Hals. Manifeste artistique puissant, Un atelier aux Batignolles (1870) témoigne de cet héritage flamand autant que d’un renouveau, avec un Manet en locomotive régénératrice de la peinture.
Mais Fantin, aux prises avec un bouquet de roses qui se fane inexorablement, n’est-il pas ici confronté aux contraintes d’une nature qui ne lui laissse guère le choix et le force à capturer une matière fragile et mouvante ? La virtuosité de sa touche, tantôt pâteuse, tantôt légère, épouse alors avec éblouissement et une grande humilité ici un explosif dahlia, là de discrètes capucines ou la noblesse d’un lys.

Rêveur
L’observateur minutieux et concentré est aussi un rêveur. Fantin vénère Berlioz et surtout Wagner, en lequel il découvre, ébloui, le premier et le seul artiste capable de donner vie au concept de Gesamtkunstwerk, à travers ses spectaculaires mises en scènes à Bayreuth. Désireux de s’approcher de ce mariage des sens, de cette synesthésie si chère au Symbolisme, qui émerge à ce moment-là, le peintre donne libre cours à son interprétation des partitions du Ring, du Fliegende Holländer ou de Parsifal. La touche se libère alors complètement, devient vibrante comme la musique du maître, frissonne dans des micro-mouvements ou de grandes courbes dynamiques, et parvient à transformer les personnages de ces étranges tableaux en apparitions fantômes, tantôt aimantes, tantôt effrayantes. Fantin parviendra au paroxysme de ce rendu avec ses lithographies et eaux-fortes, qui sont d’une modernité difficilement saisissable aujourd’hui encore, tant par leur technique que par leur résultat.

Si, si, vous ne rêvez pas, c’est bien le même Fantin aux bouquets de fleurs… Courrez donc vous en convaincre jusqu’à fin octobre…

Sarah Clar-Boson

Fantin-Latour, de la réalité au rêve, Fondation de l’Hermitage, Lausanne, jusqu’au 28 octobre 2007