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Musée de l’Elysée, Lausanne
Lausanne, Elysée : Figures de l’adolescence

Du documentaire à la fiction, les séries photographiques proposées nous suggèrent que le corps des ados n’est jamais définitivement le leur…

Article mis en ligne le octobre 2008
dernière modification le 27 octobre 2008

par Bertrand TAPPOLET

De l’étude des codes et systèmes de référence aux jeunes ados roumaines victimes d’esclavage sexuel, les 19 démarches photographiques inscrites dans l’exposition « Teen City. L’Aventure adolescente », au Musée de l’Elysée jusqu’au 26 octobre, s’essayent à cristalliser ce temps incertain, voire douloureux de l’adolescence.

Difficulté à être et à se sentir exister dans cette période de passage, de mutation qui se dilue dans le temps. Et même de réelle métamorphose où l’on doit quitter l’enfant que l’on aimerait peut-être rester et aller vers l’adulte que l’on ignore encore et que l’on a à construire. Du documentaire à la fiction, les séries photographiques proposées nous suggèrent que le corps des ados n’est jamais définitivement le leur, même quand tout y est déjà en place. De Oulan Bator à Lausanne, l’adolescence globalisée apparaît souvent archétypale dans son look et son usage du corps. A l’ère du blog et du portable, il ne s’agit néanmoins pas de proposer un portrait générique de cet âge de métamorphoses. Mais de souligner le cœur même de la contradiction adolescente, le fait d’être simultanément pareil aux autres et désespérément uniques. L’adolescence est l’âge des possibles et sa prolongation obligée du fait des contraintes socio-économiques est peut-être une chance d’invention pour la société à venir. L’adolescence est la réserve d’imprévu de l’humanité.

Musée de l’Elysee, Lausanne 1989
© Hubert Grooteclaes.

Ecole prison
Le photographe et plasticien Nicolas Savary s’est vu confié en 2006 par l’Etat de Fribourg un volet d’une « Enquête photographique ». Son travail constitue la colonne vertébrale de l’exposition. Savary s’attache à décrire les adolescents des cycles d’orientation fribourgeois en lien avec leur espace quotidien que représentent l’école et son architecture. Nous sommes ici à la frontière incertaine entre une pseudo nouvelle objectivité, le documentaire et la photographie plasticienne. Car le photographe accentue la dimension introspective en faisant poser durant un laps de temps étendu ses sujets. Qui apparaissent à la fois étrangement concentrés sur eux-mêmes et détachés du monde. La situation est organisée par une fabrication du réel. A en croire le photographe et dans le sillage du philosophe Michel Foucault, l’architecture de la transmission du savoir rejoint un cadre disciplinaire quasi carcéral, sorte de parc à ados dissuadant d’inscrire jusqu’à leur présence dans des bâtiments construits hier sur le modèle de la prison, aujourd’hui de l’asile psychiatrique.
 
Rares sont ceux qui ont scénarisé avec tant de douceur et de froideur distanciée un établissement scolaire. On est proche de ce que Gus Van Sant a réalisé pour "Elephant". Le lycée est à la fois espace de vie et de communications intermittentes, de solitude et de refoulement, cocon d’une indécidable liberté et tombeau de toutes les frustrations.

Jeux d’échelles et colonies
L’Allemande Julia Fullerton-Batten présente sous le label Teenage Stories des adolescentes surdimensionnées par rapport à leur environnement citadin réduit à la taille de lilliputiens. Elles évoluent au cœur de maquettes miniatures. La démarche tangente la référence à l’univers onirique du conte, qu’il soit initiatique ou fantastique. Si les Voyages de Gulliver ou les récits de Lewis Carroll peuvent servir d’embrayeurs d’imaginaire, le travail relève davantage d’un dialogue étrange entre le sujet et son milieu. Une démarche théâtralisée avec un soin apporté dans le choix des lumières. De l’adolescente rendue géante en toilette de bal surplombant un carrefour citadin à la shakespearienne Ophélie flottant, inerte, dans les eaux basses d’un port marchand miniature, qui, du modèle ou du milieu, menace le plus l’autre mettant en péril un fragile équilibre ? L’adolescence est ce mystère d’éprouver – dans le sens de ressentir et de mettre à l’épreuve – son espace, de permettre à celui-ci de prendre corps. La réalité ne se confond-elle pas dans nos esprits avec ce que nous sommes capables d’en comprendre ?
Autonomes et dépendants, individualistes et fascinés par le groupe, péremptoires et touchés par le doute, les adolescents excellent dans le paradoxe. Dans sa série Un Eté, Marion Poussier cristallise ses tiraillements en s’intéressant, sur la longue durée, à la colonie de vacances, activité encadrée par l’adulte, comme l’école. « S’y dessine la nécessité vitale, comme en état d’urgence, de créer en quelques jours des liens d’amitié très forts au fil de rencontres éphémères, souvent sans lendemain », selon Nathalie Herschdorfer qui est aussi conservatrice associée au Musée de l’Elysée. Si la photographe a sans doute projeté, dans les sujets saisis, l’adolescente qu’elle fut, elle dévoile une forme de temps suspendu souvent solitaire. Ses vues cadrent parfois des adolescentes comme traversées d’un sentiment d’ennui. Il les réduit à une position de repli, moyen de défense contre un envahissement passionnel, qu’il s’agisse de tristesse ou d’angoisse. Car les émotions fortes ne manquent pas dans ces rencontres entre ados.

Après l’enfer
Photographe roumaine, Dana Popa nous invite à découvrir des portraits mystérieux de jeunes femmes autrefois adolescentes prisonnières de réseaux de prostitution. Depuis la chute du Mur la traite des blanches est l’un des pôles les plus lucratifs en Europe. En Moldavie (une République devenue un des principaux pourvoyeurs de ce trafic), une ville sans grande perspective économique où des jeunes filles se sont laissé séduire par des annonces dans la presse. Elles ont quitté leur pays, espérant gagner de l’argent et se sont retrouvées embrigadées dans un trafic sexuel. Dana Popa les a photographiées à leur retour au foyer. Comment surmontent-elles leur traumatisme ? Ces jeunes femmes ne sont plus vraiment des adolescentes, mais ont vu leur adolescence brisée par l’univers dans lequel elles ont vécu, par les rapports de forces qu’elles ont eu malgré elles. Elles posent, leur visage souvent dissimulé derrière une main, des cheveux tombant en rideau ou une vitre.

Bertrand Tappolet

« Teen City ». Musée de l’Elysée. Jusqu’au 26 octobre

Julia Fullerton-Batten. Red Dress in City, 2005.