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Fondation de l’Hermitage, Lausanne
Lausanne : « El Modernismo »

La Fondation explore la période de la fin du XIXème et du début du XXème siècle.

Article mis en ligne le mars 2011
dernière modification le 3 juin 2011

par Sarah CLAR-BOSON

Évoquer la peinture espagnole équivalait jusqu’ici souvent soit à se remémorer les grands maîtres fastueux au service des héritiers royaux de Charles Quint et Philippe II et de la flamboyante Contre-Réforme (Velasquez, El Greco, Murillo et autres Zurbaran en tête), soit saluer un jalon inclassable et immensément isolé comme Goya, soit céder au poids incontournable du génial Picasso en oubliant presque qu’il y eut une peinture espagnole avant lui. Lourde erreur, que la Fondation de l’Hermitage se propose de réparer en poursuivant son exploration de la période de la fin du XIXème et du début du XXème siècle, aussi passionnante que riche en découvertes là où on s’y attend le moins.

De Sorolla à Picasso
La vénérable institution lausannoise n’en est pas à son premier essai transformé s’agissant de coups de projecteurs artistiques et historiques sur des courants contemporains de l’omniprésence, ou l’omnipotence, serait-on tenté de dire, de l’Impressionnisme français. Ainsi les Belges et les Scandinaves avaient-ils déjà éclairé une nouvelle facette de ce bouleversement pictural à la charnière des deux siècles, pleine d’audace iconographique pour les premiers, préfigurant même le surréaliste Magritte, emplie de sensibilité poétique et d’une douce luminosité diffuse reconnaissable entre toutes pour les seconds.

Mais définir ce qu’est la peinture espagnole à cette époque, où Paris attire les artistes comme des essaims de mouches, se révèle diablement plus compliqué, surtout à une période où les nationalismes s’affirment et où l’identité culturelle participe de cette construction, parfois mythique. L’Éspagne est une terre encore largement inconnue, inexplorée, et pour tout dire dédaignée des élites culturelles de cette période, pays ardu où se côtoient ruralité superstitieuse et faste des anciennes capitales, de Madrid à Tolède.

Certes, bon nombre de peintres ibériques, immergés avec bonheur dans le bouillonnement parisien loin du pesant carcan social et moral de leur patrie, libèrent leur palette et trouvent progressivement leur style au contact des innovations de la capitale française et des scènes de vie urbaine, y compris un certain Picasso d’à peine dix-neuf ans, bien représenté dans sa production de jeunesse où son talent hors normes explose déjà littéralement à la face de ses contemporains. Le réveil de Barcelone à l’époque de Gaudi et où la bohème se presse au légendaire café El Quatre Gats, favorise lui aussi l’émergence progressive de l’avant-garde artistique. Mais contrairement aux Impressionnistes français, il n’existe aucune homogénéité espagnole, seulement une nébuleuse de talents, dont certaines grandes figures vont se distinguer et même avoir leurs aficionados Outre-Atlantique.

Ainsi il n’y a plus à cette période une mais plusieurs Éspagnes, faites d’individualités artistiques originales méritant d’être redécouvertes, notamment grâce à l’affiche lausannoise, tels les petits paysages sur panneaux de bois totalement inédits d’Ignacio Pinazo Camarlench, ou les provocateurs dibujos fritos (« dessins frits ») d’Isidre Nonell, artiste marginal mais précurseur dont Picasso s’inspirera très largement dans le choix de ses thèmes durant sa période bleue (mendiants, gitans, gens du cirque).

Exemples fascinants
Joaquin Sorolla et Ignacio Zuloaga sont sans conteste deux exemples fascinants de ces facettes complémentaires de l’art ibérique de cette époque et deux immenses artistes auxquels justice est enfin rendue.

Autant l’un, Zuloaga, se rattache directement à la grande tradition de Velasquez et de Goya, comme en témoigne la superbe toile de grand format La distribution du vin (vers 1900) à la touche maîtrisée, aux couleurs sombres et terreuses aux relents post-Caravagesques mâtinées d’un réalisme qui n’est pas sans rappeler Courbet, et à la virtuosité d’exécution autant que de composition indiscutables, autant l’autre, Sorolla, dépasse le traitement impressionniste français de la lumière au point d’en devenir aveuglante sous les rais du puissant soleil de sa patrie dans ses scènes balnéaires toutes en spontanéité, tout en osant des cadrages d’une très grande modernité en avance de quelques décennies sur la photographie, tels La pêcheuse avec son fils, Valence (1908) ou ses Enfants à la plage, Valence (1916), sans doute le plus beau tableau de toute l’exposition lausannoise. Comme quoi, il n’y a pas que Picasso dans la vie artistique espagnole…

Sarah Clar-Boson

« El Modernismo – de Sorolla à Picasso, 1880 - 1918 », Lausanne, Fondation de l’Hermitage, jusqu’au 29 mai 2011.