Arts-Scènes
Slogan du site

Cinéma Danse Expositions Musique Opéra Spectacles Théâtre

Fondation de l’Hermitage, Lausanne
Lausanne : Edward Hopper

Edward Hopper (1882-1967) est à découvrir à Lausanne jusqu’au 17 octobre.

Article mis en ligne le septembre 2010
dernière modification le 27 octobre 2010

par Sarah CLAR-BOSON

Affiche estivale rare et fascinante que celle de cet artiste iconique des Etats-Unis et grand maître de la première moitié du XXème siècle encore trop méconnu sur notre continent. Hopper nous fait l’honneur d’une majestueuse halte lausannoise à la Fondation de l’Hermitage et nous rappelle que le paysage artistique américain du siècle dernier ne se limite pas exclusivement aux audaces de l’expressionnisme abstrait ou du Pop Art. Digne héritière d’une tradition figurative classique et novatrice dans sa transcription très personnelle des mutations économiques et sociales d’une Amérique en plein boom, l’œuvre d’Edward Hopper a profondément influencé l’esthétique cinématographique et fait le lien naturel avec un classicisme intemporel propre aux très grands peintres.

Peinture à la fois directe dans sa simplicité, voire dans une économie de moyens qui parfois tend au dépouillement, et complexe dans sa dimension psychologique et sociale, nécessitant un effort du spectateur pour en saisir toutes les tensions, tel est l’équilibre passionnant vers lequel Hopper a tendu tout au long de sa carrière. Son œuvre présente plusieurs riches niveaux de lecture et d’appréhension, tantôt faits de contrastes, tantôt de complémentarité. Hopper réalise une synthèse bien à lui du binôme artistique usuel, à savoir la tradition d’une part, la modernité de l’autre.

Maturation
Dans la lignée des grands artistes, en particulier de certains impressionnistes, et de la figure emblématique et indépendante de Manet, comme en témoignent de manière saisissante les autoportraits de jeunesse d’Hopper présentés à Lausanne, l’Américain s’appuie sur un cursus traditionnel, dont font partie l’incontournable voyage à Paris et la maîtrise d’un langage académique et technique. Ses sujets s’inscrivent en parfaite continuité avec ses prédécesseurs depuis des siècles, illustrée par ses autoportraits, paysages urbains ou ruraux et scènes de genre.
L’éclaircissement de sa palette, conséquence de l’expérience parisienne, l’efficacité tranchante de sa peinture où les contrastes vont s’affermir avec conviction, et une pratique de la gravure reconnue de son vivant lui permettent de mettre en place un langage qui sublimera à la fois la naissance des métropoles américaines et les très grands espaces. Ce processus de maturation dominé par l’ombre angoissante et une lumière crûment agressive est aisément lisible, et l’élan créateur du style de Hopper, reconnaissable entre mille, commence à se déployer dès son retour sur sa terre natale. L’artiste semble avoir véritablement façonné une peinture spécifique propre à retranscrire la culture américaine de cette première moitié du XXème siècle. Elle est d’autant plus remarquable que le peintre semble déconnecté des innovations artistiques de son siècle hormis le cinéma. Imperméable au cubisme, puis à toute forme d’abstraction, qu’elle soit d’inspiration européenne ou, plus sauvage dans sa version américaine dès le début des années cinquante, Hopper prend appui sur la rapide évolution de son environnement contemporain pour paradoxalement façonner une peinture de plus en plus détachée du réel.

Modernité
Face à ces acquis, fruit d’un parcours artistique sans grande surprise, la modernité du peintre nous apparaît aujourd’hui avec d’autant plus d’acuité. Le cadrage original de ses sujets, les points de vue les plus inattendus que l’on ne retrouve alors qu’au cinéma, combinés à ce style très direct, sans fioritures, ont donné naissance à des sortes d’instantanés légendaires d’une Amérique de l’entre-deux guerres et d’après-guerre où ruralité oppressante et solitude des grandes villes donnent à voir la perception d’un homme qui peint son environnement immédiat mais le charge aussi d’une profondeur subjective de plus en plus intense.
Ainsi les paysages urbains, qui ne sont pas sans rappeler ceux, oniriques mais déjà vides et angoissants de Giorgio De Chirico, ne livrent jamais aucune atmosphère d’effervescence des grandes métropoles américaines alors que Hopper est précisément au cœur de cette période-charnière, suivie de l’âge d’or des années 50. Pas de surenchère non plus dans les avancées technologiques qui transformeront durablement les Etats-Unis : les stations-services peintes par Hopper sont désertes ou presque, timides fanions indiquant encore un signe de vie humaine au contour d’une grande route au crépuscule. Bref, plus le visage de son pays mute rapidement, plus Hopper replie sa peinture sur elle-même. Encore plus troublant, ses personnages, perdus dans les tableaux et hagards devant leur propre angoisse existentielle, ne semblent être que des spectres génériques destinés à simplement asseoir un alibi de présence humaine. Aucune personnalisation, aucun portrait ne vient véritablement donner corps à ces présences, qui suffisent néanmoins à évoquer tantôt la mélancolie et l’introspection, tantôt un mal-être plus profond, mais toujours un univers unique au peintre qui ne manque pas d’interroger.

Sarah Clar-Boson

Edward Hopper, Lausanne, Fondation de l’Hermitage, jusqu’au 17 octobre 2010.