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Musée d’Art Brut, Lausanne
Lausanne, Collection de l’Art brut : Japon

La Collection de l’Art brut présente une centaine d’œuvres émanants de 12 créateurs nippons.

Article mis en ligne le juillet 2008
dernière modification le 26 janvier 2009

par Sylvia MEDINA-LAUPER

Découvrir une exposition au Musée d’Art Brut est toujours une source de surprise renouvelée. Cette fois c’est du côté du Soleil Levant que la collection s’est tournée pour nous ramener une centaine d’œuvres émanants de 12 créateurs nippons. Le choix du Japon s’est imposé afin d’ouvrir les horizons de ce type de création brute au monde asiatique, jusque-là très peu traité.

Les auteurs d’art brut sont des créateurs qui ignorent qu’ils sont artistes. Dessiner, peindre ou sculpter est pour eux une nécessité quasi vitale, ils exécutent ces gestes comme ils respirent, sans avoir jamais acquis de notions artistiques et sans rien connaître de l’histoire de l’art. Ils sont affranchis des normes culturelles et encore plus des mouvements de mode. Toujours autodidactes, ces créateurs proviennent de milieux marginaux, ils sont autistes, analphabètes ou laissés-pour-compte, le plus souvent pensionnaires dans des hôpitaux psychiatriques ou des établissements spécialisés. Pour toutes ces raisons, ces artistes qui s’ignorent ont échappé au conditionnement culturel et leur message ressemble davantage à une thérapie personnelle qu’à une position rebelle sur la société.

Provocation
Pourtant, la plupart d’entre eux sont le produit de cette société hyperperformante et compétitive. C’est le cas de Eijiro MIYAMA, un vieux monsieur dont la vie n’a été qu’une suite de situations précaires. Monsieur Miyama, qui est un performeur de 74 ans, prend plaisir à bousculer le conformisme social et cherche à provoquer des réactions chez ses concitoyens. Le week-end, il déambule dans le quartier chinois très animé de Yokohama. Jusque-là rien d’anormal, si ce n’est qu’il transforme son corps en support de message de paix et de fraternité, le tout surmonté de chapeaux excentriques confectionnés avec des jouets et autres objets de récupération. Le voir passer est devenu une attraction de la place. La première fois, dans un sentiment de solitude, il s’est promené avec un gobelet de nouilles instantanées sur la tête. Devant la stupéfaction des passants, il a ressenti un énorme sentiment d’exaltation. Son geste provocateur le libère du stress.
Pour les autres créateurs, il n’y a pas de véritable spécificités du Japon, car «  l’inventivité de ces auteurs autodidactes se développe à la faveur d’un processus primaire et pulsionnel, déployant une expression archaïque qui dote les œuvres d’une portée universelle ». Il y a par exemple Yuji TSUJI qui dessine au stylo feutre des quartiers entiers de villes imaginaires, selon une perspective aérienne. Installé près d’une fenêtre, il commence invariablement par les tuiles des toits, et deux mois lui sont nécessaires pour achever une œuvre. 

Détournement
Dans le même registre obsessionnel du détail, il y a Hidenori MOTOOKA qui lui est obnubilé par les trains. Cet autiste de 30 ans a l’ambition de réunir tous les modèles de trains existants sur une seule feuille de papier. Il dessine des petits trains, toujours de face et serrés les uns contre les autres au dos de tracts publicitaires. Aucun de ses modèles n’est identique à un autre, et il est capable de tous les nommer. Les compositions de ces artistes ont en commun le côté compulsif, frénétique, du motif dessiné. La feuille doit être remplie au maximum comme c’est encore le cas pour Yoshimitsu TOMIZUKA qui détourne et réinvente la calligraphie japonaise.
Tout au long de l’exposition, comme pour mieux appréhender ces 12 auteurs inconnus, le visiteur peut visionner neuf documentaires (d’environ une quinzaine de minutes chacun) consacrés à ces personnes hors du commun, réalisés par Philippe Lespinasse et Andress Alvarez. Sur ces petits films, on suit la méticulosité avec laquelle ils effectuent leurs productions, mais on apprend aussi quelle est leur vie en dehors de leur passion ; certains sont laveurs d’assiettes, d’autres travaillent dans une boulangerie dans une institution pour handicapés ou sont monteurs de pièces.

Sylvia Medina-Lauper

Prolongation jusqu’au 25 janvier 2009.