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Fondation de l’Hermitage, Lausanne
Lausanne : Christo et Jeanne-Claude

La Fondation de l’Hermitage accueille en ses murs les divers documents relatifs au projet baptisé Over the River, A Work in Progress.

Article mis en ligne le avril 2009
dernière modification le 30 mai 2009

par Sarah CLAR-BOSON

Audacieux représentants d’un Land Art poétique, le mythique couple Christo et Jeanne-Claude donne à voir dans l’écrin de l’Hermitage lausannois et à travers quelques 150 dessins, collages, photographies et cartes topographiques, les étapes de création de leur projet en cours, baptisé Over the River, A Work in Progress, commencé en 1992 déjà.

Pas d’empaquetage cette fois-ci, mais le déploiement d’une frontière perméable entre l’eau d’une rivière, le ciel et la terre, composée de large panneaux de toile de polypropylène couleur argent de plus de 9 kilomètres de long. Une synthèse grandiose qui devrait voir le jour au plus tôt en été 2012.

Le paysage en point de mire
Au travers de cette exposition a priori pour initiés mais dont l’accès se veut direct, ludique et aisé, le thème principal et la star de cette scénographique conceptuelle, ce ne sont pas tant les artistes eux-mêmes que le paysage. En ce sens, le caractère interventionniste du Land Art in situ, et généralement via de grandes installations, met toujours spectaculairement au premier plan un lieu sélectionné pour des caractéristiques souvent très précises et contraignantes.
Le mariage du ciel, de l’eau de la rivière Arkansas, et de la terre à travers les berges, se matérialisera à travers ces kilomètres de bâches tendues au-dessus du cours d’eau, qui laisseront filtrer la lumière du soleil. Les repères traditionnels sur la terre ferme disparaîtront, et l’œuvre, comme toutes celles du couple, deviendra fantôme évanescent après deux semaines de vie, l’objectif étant d’imprimer dans la mémoire des spectateurs une seconde vie, poétique et onirique cette fois.

Idée visionnaire
A Work in Progress : si l’exposition distingue les grandes étapes de conception, création, élaboration technique et tests de réalisation future, la frustration d’arriver en fin de parcours et de ne pas encore avoir accès aux traces photographiques du splendide projet risque d’être grande. Mais elle excite davantage encore la curiosité de suivre la dernière ligne droite de l’œuvre jusqu’en été 2012, si tout se passe normalement.
Mais alors pourquoi les installations de Christo et Jeanne-Claude prennent-elles tant de temps, souvent deux bonnes décennies, pour prendre forme ? Plusieurs raisons évidentes se dessinent. D’abord, l’idée de l’œuvre elle-même est souvent folle, visionnaire, a priori hors de portée. Les artistes semblent mus par cette volonté de repousser sans cesse les limites.
Puis arrivent les nombreuses tracasseries administratives, politiques, bureaucratiques. Parvenir à un consensus rassemblant tous les futurs protagonistes (élus, techniciens, organisations écologistes, etc) est un parcours du combattant de longue haleine. Enfin, prouesse technique oblige, de longues études et des batteries de tests sur les matériaux puis sur le site, achèvent d’expliquer la masse considérable de travail, donc de temps consacré.

Illusionnistes
L’art de Christo et Jeanne-Claude, jumeaux créatifs et fusionnels tous deux nés le 13 juin 1935 en guise de clin d’œil au destin, est inclassable : ni peinture, ni sculpture, ni architecture, ni photographie, mais tout cela à la fois. Depuis 1961, leurs interventions sur le paysage semblent n’avoir aucune barrière. Mais le tour de force des deux illusionnistes de talent est de révéler en dissimulant, tel un tour de magie sans cesse renouvelé, qui fonctionne toujours aussi grâce à l’imagination du spectateur. De plus, en ces temps politiquement corrects, les artistes ont toujours entièrement financé eux-mêmes leurs œuvres par la vente de dessins et collages, transforment sans dénaturer et réinventent l’éco-art, où tout est recyclable de A à Z, et où dans le cas de Over the River, les amateurs de rafting pourront vivre l’expérience de leur vie sous les bâches et où les pêcheurs pourront continuer à vaquer à leur passe-temps favori.

Un instant extraordinaire
L’idée de Over the River est née lors de l’empaquetage du Pont-Neuf à Paris (1975-1985), qui certes ne mettait pas encore aussi directement en scène l’élément aquatique. Quoi de plus éphémère dans le temps que de l’eau qui coule, et de plus métaphorique que cette circulation vasculaire à travers une rivière ? La durée de vie des installations du couple est toujours volontairement limitée (deux semaines) et tranche avec un très long processus de matérialisation. Les artistes travaillent à créer un instant extraordinaire, qui reflète toujours aussi une époque précise. Pour preuve, le souvenir des créations majeures que furent l’emballage du Reichstag ou que deviendra Over the River marqueront d’une empreinte collective les décennies où elles ont vu le jour. Mais contrairement aux fameux empaquetages précédents, cette œuvre-ci permettra une expérience visuelle et physique à travers de multiples points de vues, sous les bâches (pour ceux qui descendront la rivière en rafting) ou depuis la route.
L’ultime étape, la plus belle et la plus spectaculaire, qui marquera l’acmé du long processus de création nourri depuis 1992, n’est encore que l’extrapolation de notre imagination de spectateur (même sur des bases aussi précises que les dessins préparatoires mis en valeur à Lausanne). Si l’exposition nous emmène au gré du cheminement conceptuel de l’œuvre, sa future beauté et son empreinte sur la mémoire collective sont à venir. Un peu de patience, donc, pour déguster la cerise sur le gâteau…

Sarah Clar-Boson

Christo et Jeanne-Claude, « Over the River, A Work in Progress », Lausanne, Fondation de l’Hermitage, jusqu’au 24 mai 2009