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Musée Rath, Genève
Genève, Musée Rath : Philippe de Champaigne

Le Musée Rath présente jusqu’au 13 janvier 2008 une importante exposition dédiée au peintre du XVIIe siècle Philippe de Champaigne.

Article mis en ligne le octobre 2007
dernière modification le 14 janvier 2008

par Régine KOPP

Peintre méconnu et mal connu, dont la dernière grande rétrospective remonte à 1952 à l’Orangerie à Paris, Philippe de Champaigne (1602-1674) retrouve avec cette importante exposition, conçue et réalisée par le Musée d’art et d’histoire de Genève, en collaboration avec le Palais des beaux-arts de Lillle, la place de premier plan qu’il mérite dans l’histoire de l’art, en rendant plus lisible le sens de sa peinture.

Inspiré d’une pensée visuelle faite pour transmettre un message spirituel, Philippe de Champaigne a contribué à l’élaboration d’une identité française, à l’ombre de Richelieu et de Louis XIII. L’exposition restitue l’itinéraire spirituel et artistique du peintre, présentant un ensemble de soixante-dix tableaux. S’appuyant sur un parcours chronologique, l’exposition met en évidence l’origine déterminante des principales commandes à l’artiste, en provenance de commanditaires royaux mais aussi de congrégations religieuses. S’il est influencé par plusieurs sources, il a toutefois réussi à ne pas en être le prisonnier et a pu construire seul un système de peinture inclassable, inventant une écriture picturale, où le dépouillement esthétique est au service de la densité narrative. Philippe de Champaigne est un peintre autonome, plus intellectuel qu’intuitif, refusant tout expressionisme et toute dramatisation, ce qui explique que sa peinture, qui apparaissait comme sévère et sérieuse, au service de la réflexion et de l’intériorité, a décontenancé les historiens dès le 17° siècle qui l’ont marginalisé voire occulté.

Itinéraire
Le parcours qui se déroule en cinq sections chronologiques retrace l’itinéraire spirituel et artistique du peintre, au cours duquel il a bénéficié d’un soutien constant du pouvoir : Marie de Médicis, Richelieu, Anne d’Autriche, Colbert sont ses protecteurs qui jalonnent le parcours.
L’exposition s’ouvre sur les débuts parisiens de Champaigne, à la cour de la reine mère. Champaigne vient de quitter Bruxelles pour se rendre en Italie, après avoir refusé d’aller dans l’atelier du maître le plus illustre de son temps, Rubens. Il arrive à Paris en 1621 et ne partira plus pour l’Italie. Ses racines flamandes qui lui ont donné une technique efficace et sobre et lui ont appris le rendu des chairs et des étoffes, sont perceptibles dans les tableaux de cette période, comme dans L’Annonciation (1631), plein de sensualité ou L’Adoration des bergers (1628).
Puis, le parcours aborde la question de ses rapports avec Louis XIII et Richelieu dont il ne réalise pas moins de onze portraits, cinq ayant pu être réunis dans cette section. On sait combien Richelieu se servait des arts pour affirmer la gloire de la France, aspirant à un code de représentation du double pouvoir spirituel et temporel. Dans le Portrait en pied du Cardinal Richelieu (1640), Champaigne met en scène le cardinal-ministre, en portant un soin particulier à l’arrière plan, qui laisse apercevoir un jardin à la française. On aura tout loisir de comparer ces différents portraits entre eux, dégagés de toute interprétation psychologique, ayant tous en commun d’affirmer l’identité de la France.

Rupture
La troisième section (1646-1662) est consacrée aux dialogues avec Port-Royal, et correspond à un moment de la vie du peintre, marqués par des événements personnels dramatiques, qui vont accentuer la concentration de son écriture picturale. La Vanité ou Allégorie de la vie humaine (1646) marque cette rupture dans la vie de Champaigne, après la mort de Richelieu, suivie par celle de son épouse et celle de son fils. Il quitte alors la vie mondaine. Cette œuvre est une méditation pure et simple, d’une intensité plastique exceptionnelle, dans laquelle la temporalité est scandée par trois icônes, le sablier, la tulipe et le crâne, posées sur une table de pierre, lieu d’offrande. De cette époque datent plusieurs portraits, de religieux, de sœurs de Port-Royal, de magistrats, de parlementaires, dans lesquels Champaigne cherche à saisir dans l’homme intérieur la singularité da chaque âme. Au moment où sa fille prend le voile, Philippe de Champaigne lui offre La Madeleine pénitente (1657) et un Saint Jean Baptiste (1657), réunis pour la circonstance dans l’exposition. La composition révèle la grande maîtrise du peintre dans le traitement du paysage et du visage du saint, réalisé à la manière d’un portrait. L’Ex-Voto (1662) que Champaigne voulut laisser comme témoignage de la guérison miraculeuse de sa fille est une œuvre d’un extrême dépouillement. La stricte géométrie du décor répond au rythme calme des draperies des religieuses et c’est l’expression des visages qui donne le sens à l’œuvre.
La quatrième section correspond à la retraite du Val-de-Grâce et à l’inspiration chartreuse. Champaigne y décore les appartements d’Anne d’Autriche, avec une ornementation pensée comme un décor spirituel, s’inspirant de la vie pénitente des pères de l’Eglise. Il en résulte toute une série de petits paysages, humanisés, composés, architecturés, dans lesquels la réalité quotidienne et la plénitude spirituelle fusionnent. A partir de 1655, Champaigne reçoit des commandes des Chartreux. Dans La Visitation (1649), il s’agit d’une scène magnifiée par le cadre architectural mais renonçant à toute rhétorique. Les détails symboliques sont abandonnés pour mieux exprimer la grâce et l’humilité. Dans le Saint Bruno en prière (1655), Champaigne fournit la synthèse de l’héritage artistique flamand. La sobriété du classicisme français y est perceptible dans l’emploi des tonalités sourdes aux nuances raffinées, comme dans la brillance des matières. Le Christ mort sur la croix (1655) montre la volonté de l’artiste d’épurer le sujet de tout pathos et de toute narration. La composition abonde en détails iconographiques et symboliques, souvent ignorés aujourd’hui mais témoignant de l’érudition théologique de l’artiste.

Esthétique spirituelle
Le dernier volet (1648-1674) est consacré à l’Académie, accomplissement d’une esthétique spirituelle. Champaigne participe à la fondation en 1648 de l’Académie royale de peinture et de sculpture et y enseigne, défendant l’identité de la peinture religieuse qui unit la nature et la grâce. Il souhaitait être reconnu par ses pairs comme portraitiste et peintre du sacré inspiré par le divin. C’est ainsi qu’il faut peut-être comprendre L’Apôtre saint Philippe (1649), œuvre dans laquelle il s’impose par une rhétorique originale, faite de gravité et de réalisme, de simplicité narrative et d’un coloris épuré, exaltant les vertus de l’âme pour atteindre ce classicisme à la française. En 1655, il fait le portrait du jeune Colbert, magistral dans sa sobriété. Avec un fond uni, animé d’un jeu de lumière, une palette réduite, et des variations sur les sombres et les clairs, cette œuvre, appartenant au Métropolitan Museum de New York et prêtée pour l’exposition, témoigne de l’étonnante virtuosité de l’artiste. Une virtuosité dont il fait également preuve, quand il peint des paysages, arrivant à la perfection dans la simplicité. Dans le Paysage avec Jésus-Christ guérissant les aveugles (1660), le peintre déroule devant nos yeux une action théâtrale insérée dans un vaste paysage, fusion entre l’apport flamand et le paysage héroïque et qui dégage une atmosphère sereine. Avec La Fuite en Egypte (1655), c’est un paysage paisible, en lisière d’une sombre forêt et d’un plan d’eau, entouré de buissons et de roseaux qui s’offre au regard du spectateur.
A Genève, l’exposition s’inscrit dans le cadre de la mise en valeur des peintures de l’école française du XVII° siècle du Musée d’Art et d’Histoire, qui pourront être mises en perspective à cette occasion-là.

Cette rétrospective est une réussite et réhabilite cet artiste trop longtemps oublié, alors qu’il est l’un des meilleurs du siècle classique. Trop de rigueur, de sévérité, toutes ces qualités de sérieux ont fait de lui plus un bon artisan qu’un créateur. Il ne fut jamais un premier peintre du roi, il n’en avait ni l’ambition, ni la vocation, ne cherchant pas le pouvoir mais le perfectionnement de sa peinture. Une œuvre perçue aujourd’hui comme la perfection dans la simplicité.

Régine Kopp

Musée Rath, jusqu’ au 13 janvier 2008