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Musée d’art et d’histoire, Genève
Genève, Musée d’art et d’histoire : Gaza

L’exposition présentée permet de découvrir la formidable diversité archéologique et culturelle de la Bande de Gaza.

Article mis en ligne le juillet 2007
dernière modification le 4 août 2007

par Laurent CENNAMO

Le Musée d’art et d’histoire de Genève présente ce printemps l’exposition Gaza à la croisée des civilisations. Inaugurée en avril dernier en présence du Président de l’Autorité palestinienne Mahmud Abbas, cette exposition
permettra au visiteur de découvrir la formidable diversité archéologique et
culturelle de la Bande de Gaza.

Gaza, une histoire multimillénaire
« Je suis arabe, et ma langue a connu son plus grand épanouissement lorsqu’elle était ouverte sur les autres, sur l’humanité tout entière. A aucune période de l’Histoire nous n’avons été totalement repliés sur nous-mêmes, comme certains voudraient nous voir aujourd’hui. Il n’y a pas de ghetto dans mon identité.  »
Mahmoud Darwich

S’étirant le long de la côte méditerranéenne, les 362 km2 de la Bande de Gaza suscitèrent six mille ans de convoitise. Pharaons égyptiens, Philistins, Perses achéménides, Grecs ptolémaïques et séleucides, Romains et Byzantins, Omeyyades, Abbassides, Ayyoubides et Croisés, Mamelouks, Ottomans, furent tour à tour ses hôtes et ses occupants. Le territoire de Gaza constitue de ce fait un creuset au sein duquel les civilisations orientales et occidentales se rencontrent.
Dernier point d’eau pérenne avant le franchissement du désert du Sinaï, Gaza – située le long de la seule voie terrestre unissant l’Afrique à l’Asie – est connue de tout temps pour la richesse de ses vergers, la clémence de son climat et l’abondance de ses ressources en eau. Dès la plus haute Antiquité (3500 av. J.-C.), la région constitue un enjeu majeur : l’attrait pour les matières premières de Palestine (cuivre et bitume, mais aussi huile d’olive et vin) conduit l’Egypte prédynastique à implanter des citadelles non loin de la cité actuelle. Son importance économique est alors exponentielle, car la cité se trouve au débouché de la route de l’encens et c’est par son port (Anthedon, mis au jour par des fouilles à partir de 1996) que transitent les épices à destination de toute la Méditerranée. La vocation de Gaza en tant que carrefour des civilisations sera dès lors assurée pendant plus d’un millénaire. Gaza connaîtra son apogée sous l’Empire byzantin (dès le Ve siècle de notre ère, son vin est exporté jusqu’en Angleterre – et aussi à Genève). Après l’avènement de l’islam en 637 ap. J.-C., la cité demeure un carrefour essentiel. Disputée par les Croisés et les armées musulmanes entre le XIe siècle et le XIIIe siècle, elle se fondra progressivement dans l’Empire ottoman en demeurant une étape centrale pour la route du Pèlerinage.

Multiples facettes
L’exposition réunit près de cinq cent trente objets qui couvrent un large éventail de la vie quotidienne, civile et religieuse, de l’Antiquité à l’époque islamique. Axé sur les dernières découvertes archéologiques, le parcours proposé dévoile les multiples facettes de la cité. Des premières importations égyptiennes aux éléments d’architecture gréco-romains, des amphores chypriotes aux mosaïques byzantines, de la statuette perse aux décors sculptés ottomans, le visiteur pourra mesurer la diversité des civilisations qui modelèrent le destin de Gaza, creuset de tous les métissages et lieu de mémoire pour tout le bassin méditerranéen. On doit la réunion de ces pièces aux efforts conjugués des instances officielles (Département des Antiquités de l’Autorité palestinienne) et de collectionneurs privés (notamment Jawdat Khoudary, qui depuis plus de deux décennies sauve inlassablement le patrimoine archéologique).
Bien sûr, ce type d’exposition voyageant vertigineusement à la fois dans le temps, les usages (civils ou religieux), les formes et les matières (marbre, verre, calcaire, argent, céramique, bronze, calcite, etc.) court le risque d’une certaine dispersion. Il est cependant difficile de rester insensible à la beauté fragile, rafraîchissante, de nombre de ces objets, et le visiteur est assuré, ici ou là, de faire quelques découvertes surprenantes.
Les objets sont exposés dans les salles palatines du Musée d’art et d’histoire, vastes et lumineuses. Placée au début du parcours, une amphore vinaire de Gaza, mise au jour en 1980 dans le sous-sol de la cathédrale Saint-Pierre, témoigne du lien unissant au Ve siècle Genève à Gaza. La première des trois salles de l’exposition est divisée en trois « chapitres » : « Gaza entre l’Empire assyrien et le monde grec », « Gaza et Rome », « Gaza et l’Egypte pharaonique » (des panneaux explicatifs permettent au public de se situer dans le temps tout au long de l’exposition). Une série de jarres vieilles de près de 5 500 ans, des fioles à parfum aux formes délicieusement irrégulières et aux couleurs allant du bleu turquoise au vert intense, ou encore de délicates bouteilles en calcite dites « alabastra » retiendront sans nul doute l’attention des visiteurs. Quelques surprises également dans cette première salle ; citons, entre autres, une curieuse « tête avec chapeau pointu » (VIe-Ve siècle av. J.-C.), dont les grands yeux ronds et le nez rectiligne trahissent des influences perses. Plus loin, révélant la profonde influence de la Grèce sur ce territoire, une série de petits fragments attiques à figure rouge et noire (dont une très belle chouette emblématique d’Athènes, Ve siècle av. J.-C.).
« Aphrodite ou Hécate avec Pan enfant » (hellénistique ou romain), sculpture en marbre de 48 centimètres de hauteur, retient quant à elle l’attention par son caractère énigmatique. Un flacon anthropomorphe en verre transparent légèrement verdâtre (romain) montre deux visages enfantins unis par leur chevelure. Dans le registre animalier, à ne pas manquer un « flacon en forme de dromadaire » (hellénistique ou romain), une petite souris en bronze du IIe-IIIe siècle de notre ère (trouvée dans une sépulture d’enfant, on ignore s’il s’agissait d’un jouet ou d’une offrande), enfin une merveilleuse applique en forme d’escargot (bronze, IIe-IVe siècle).
Passons rapidement sur la seconde salle, plus petite, dont la principale curiosité est ce « trésor de Blakhiyah » datant de la fin du IVe siècle après Jésus-Christ : étrange conglomérat de 20’000 pièces de monnaie pesant près de 32,5 kg, fruit d’un naufrage au large du port d’Anthedon (on penserait presque devant cela à certaines « compressions » de César). Contenue à l’origine dans une outre hermétiquement fermée, cette cargaison séjourna des siècles au fond de la mer. Une lente réaction chimique permit aux petites monnaies qu’elle contenait de se souder ensemble avant que le cuir ne se dissolve sans laisser de traces.
La troisième et dernière salle retrace quant à elle l’histoire de Gaza de la fin de l’Empire romain jusqu’à l’époque musulmane. Le centre est entièrement occupé par un grand pavement de mosaïque à motifs végétaux et animaux (éléphant, oiseaux, fauve, girafe) prélevé en 1997 sur le site de Deir el-Balah (byzantin, VIe siècle). A l’entrée, une plaque décorative en calcaire avec motif de palmier (mamelouk) touche par son apparente fragilité et la stylisation de ses formes. Plus loin, presque en fin de parcours, deux superbes pierres tombales ottomanes en marbre blanc : leur décoration – une tulipe, un œillet ou une églantine traités de manière naturaliste en léger relief – contraste de manière frappante avec l’extraordinaire compacité de ces pierres. Tout au long des grandes verrières de la salle, à hauteur de regard, sont disposés plusieurs « oculi » ottomans (il s’agit d’orifices sculptés en pierre calcaire qui permettent l’aération d’une pièce même lorsque les vantaux sont clos). Leur décoration sculptée de dessins toujours symétriques reprend les motifs classiques des ornements architecturaux, le plus souvent des rosaces de différentes tailles. Revoir « nos » marronniers en fleurs, « nos » acacias à travers de telles ouvertures est une expérience pour le moins étrange.

Vers un musée archéologique à Gaza
Le spectaculaire état de conservation des ports antiques mis au jour à Gaza ainsi que le nombre et la qualité des objets exhumés suscitent le projet de créer un vaste musée archéologique. Patronné par l’UNESCO, ce futur musée, destiné à préserver les structures antiques et les collections archéologiques, est envisagé avec l’appui technique et scientifique de la Ville de Genève. La scénographie muséale de l’exposition genevoise (qui présente moins de 1 % des objets actuellement préservés) constitue une des variantes possibles pour la future présentation des collections.
En marge de l’exposition, Saison Gaza propose une série de manifestations (arts plastiques, cinéma, musiques, design et tables rondes) contribuant à donner une image de la complexité de l’identité palestinienne d’aujourd’hui.

Laurent Cennamo

Musée d’art et d’histoire : Gaza à la croisée des civilisations
Jusqu’au 7 octobre 2007
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