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Musée d’ethnographie de Genève
Genève, MEG : “Medusa en Afrique“

La nouvelle exposition du Musée d’ethnographie de Genève présente une sélection de cent vingt pièces de qualité exceptionnelle.

Article mis en ligne le février 2009
dernière modification le 5 février 2010

par Françoise-Hélène BROU

Le Musée d’ethnographie de Genève propose, sous le titre Medusa en Afrique, La sculpture de l’enchantement, une sélection de cent vingt pièces de qualité exceptionnelle, essentiellement des masques mais aussi des objets liés à divers rituels, afin d’initier les visiteurs à la sculpture africaine. Les œuvres présentées sont des objets d’Afrique subsaharienne datant de la fin du XIXe et du début du XXe siècles, illustrant l’histoire et les traditions de différents pays.

Placée sous le thème mythologique de Méduse et de son regard pétrifiant, l’exposition vise à capturer visuellement et spirituellement le public dans les rets des techniques d’enchantement.

Condenser les forces occultes
Dans une atmosphère initiatique, l’exposition présente une sélection de masques et sculptures regroupés thématiquement et abordant une problématique spécifique : la représentation du corps, la métamorphose des espèces humaines et animales menant à la création d’êtres hybrides et chimériques, le culte des ancêtres, la sorcellerie, les arts de la cour, la création d’un panthéon tribal. Le visiteur découvre, sous différents points de vue – et parfois même de l’intérieur d’un masque – que chaque objet se présente comme un condensateur de forces occultes qui en même temps agit tel un miroir réfléchissant ces forces en direction du monde humain. L’intérêt de cette exposition se trouve probablement dans la mise en espace et en lumière de la collection comparable à une authentique installation d’art contemporain.

La scénographie, pleinement assumée par les organisateurs, traduit certes une part d’arbitraire et ne peut en effet «  qu’inadéquatement suggérer la manière dont l’objet est regardé dans les cultures d’origine… l’exercice est en partie le reflet du regard du conservateur sur la collection dont il a la charge » (extrait dossier de presse). Une fois cette prémisse posée dont on salue au passage l’objectivité, le visiteur peut sans complexe découvrir le cheminement à travers la forêt obscure et peuplée de fétiches, un dispositif spatial original conçu par le bureau d’architectes Croubalian, Delacoste et Neerman. Le parcours ponctué de stations lumineuses et colorées sollicite largement les sens et les émotions, plus que les facultés raisonnantes. Un riche catalogue abondamment documenté et très argumenté sur l’option muséographique complétera au besoin les besoins informatifs et explicatifs.

Affranchissement
Abstraction semble le terme le plus approprié à qualifier ces masques aux matières et graphismes fascinants qui ont d’ailleurs influencé toute une génération d’artistes. On peut même se demander si la naissance de l’abstraction en Occident ne coïnciderait pas avec celle de l’ethnographie moderne. En effet, dans le premier tiers du XXe siècle, on note de part et d’autre une volonté d’affranchissement des sciences de la nature. L’ethnographie « affiche sans vergogne des liens avec le monde de l’esthétique en investissant, parfois en initiant des organes d’expression de l’avant-garde littéraire et artistique telles, en particulier, les revues Minotaure, et surtout Documents. » *
Parallèlement dans le domaine des arts visuels et plastiques, la découverte de l’Art nègre par les de Vlaminck, Derain, Picasso, Braque, Matisse, Modigliani, Léger ou Cendrars – un engouement encore teinté à cette époque de relents colonialistes – on note un intérêt croissant de ces artistes pour les caractéristiques formelles, culturelles ou cultuelles des objets ethnographiques qui rejoignent leurs préoccupations modernistes. Aussi frappés par cette parenté, n’hésitent-ils pas à proclamer, ils sont les premiers à le faire, que masques et fétiches sont des œuvres d’art à part entière.

Nouvel humanisme
Ces explications permettent de comprendre la stratégie muséographique adoptée par Boris Wastiau, commissaire de l’exposition. Celle-ci en effet se situe dans une perspective tracée voici plus de septante ans par l’équipe de Paul Rivet et Georges Henri Rivière, maîtres d’œuvre de la réorganisation du Musée d’ethnographie du Trocadéro à Paris, qui prend le nom de Musée de l’Homme en 1937. Sous leur impulsion, l’ethnographie s’assigne « une fonction militante : démonter les préjugés, stigmatiser le racisme, combattre le fascisme … Il importait de fonder en droit et en raison un nouvel humanisme qui, englobant et réhabilitant d’autres peuples et d’autres civilisations jusqu’alors opprimés, minorisés, devait conduire à remanier les principes de justice et les critères de vérité et à se placer non plus sur le seul terrain des théories et des découvertes mais sur celui, concret et contemporain, des valeurs, de l’information et de l’éducation, en l’occurrence sur un terrain polémique, sinon politique, et dans l’espace de la cité. »**
Dès lors l’indigène n’est plus considéré comme un sauvage ou un primitif, il devient désormais un être de civilisation et un sujet de connaissance multidimensionnel. L’objet ethnographique, quant à lui, acquiert le statut de témoin métonymique d’une aire culturelle vaste et complexe, un document aussi probant que l’archive écrite, ce qui conduit l’ethnologie à se profiler comme une discipline du visuel. A partir de cette époque, l’art africain, et plus largement les arts premiers, seront perçus et étudiés comme un contrepoint à l’état du monde contemporain.
Plus récemment l’anthropologue anglais Alfred Gell (1945-1997) propose une approche de l’art révolutionnaire, il postule que si les œuvres d’art du monde entier nous attirent c’est parce qu’elles sont l’aboutissement d’un faisceau d’intentions. La base de sa théorie est que, plutôt que de penser à l’art en termes de beauté et d’esthétique, nous devrions y penser en termes des différentes intentionnalités qui se rencontrent dans un objet d’art. Enfin ce que nous appelons objets d’art – et tant d’autres qu’on ne penserait pas à désigner sous ce vocable – possèdent un pouvoir de fascination parce que nous les considérons comme des indices de ce qu’il y avait dans l’esprit des personnes qui les ont fabriqués, vus ou manipulés.

Réconciliation
Largement inspirée par les théories d’Alfred Gell, l’exposition Medusa en Afrique démontre que, telle que nous la concevons actuellement, l’appropriation d’objets artistiques comme moyen de se positionner socialement, est une pratique assez similaire à l’utilisation des masques et autres instruments rituels dans les sociétés africaines. Cette réconciliation entre regard esthétique et ethnographique illustre exemplairement le fait que l’objet sacré, quand bien même arraché à son contexte d’origine et intégré dans une dramaturgie contemporaine, continue à remplir sa fonction de médiateur de relations humaines.

Françoise-Hélène Brou

* Jean Jamin, « De l’humaine condition de Minotaure », in : « Regards sur Minotaure », Musée d’art et d’histoire de Genève, 1987)
** Jean Jamin, op.cit.

« Medusa en Afrique, La sculpture de l’enchantement ». Musée d’ethnographie de Genève / MEG
Jusqu’au 30.12.2009 / www.ville-ge.ch