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Mamco, Genève
Genève, Mamco : Sylvie Fleury

Le Mamco présente une exposition personnelle de Sylvie Fleury comportant plus de 200 œuvres.

Article mis en ligne le décembre 2008
dernière modification le 26 janvier 2009

par Françoise-Hélène BROU

L’exposition personnelle qui lui est consacrée, sous le titre Paillettes et Dépendances ou la fascination du néant, occupe cinq étages du Mamco et présente plus de deux cents pièces regroupées par grandes thématiques :
la mode, l’automobile, le design, la publicité, la BD, la science fiction, la citation et l’appropriation de grands noms de l’art moderne et contemporain, autant d’univers que l’artiste exploite depuis une vingtaine d’années et présente avec succès dans de nombreux musées, en Suisse, en Europe, aux Etats-Unis ou en Asie.

Née à Genève en 1961, Sylvie Fleury a entamé sa carrière aux côtés de John Armleder, artiste genevois de renommée internationale, dont elle fut l’assistante. Elle accède à la notoriété lors d’une exposition en 1991 à la Galerie Rivolta de Lausanne en exposant la première version des shopping bags, sacs de boutiques de luxe, posés au sol et remplis des achats effectués par l’artiste. Depuis, Sylvie Fleury laboure avec délectation les champs du consumérisme contemporain, proposant au public une plongée au cœur de la relation fascinante que chacun entretient avec les objets que l’on possède, désire ou rejette.

Total investissement
Le Mamco a donné carte-blanche à Sylvie Fleury qui a opté pour un investissement total de l’espace : sols, cage d’escalier, plafonds, couloirs, cimaises, soit plus de 3000 m2 de surface d’exposition occupés jusqu’à la saturation. L’encombrement spatial, visuel et sonore, crée d’emblée un dispositif métaphorique illustrant le plein dans lequel la sollicitation des sens opère sur un mode invasif. Le parcours de l’exposition commence, une fois n’est pas coutume, au rez-de-chaussée avec un alignement de soucoupes volantes (Pluteus, 2008) aux reflets irisés, couchées sur leur flanc dans une pénombre intergalactique.
L’exploration se poursuit au premier étage où le visiteur accède à un espace dense et contrasté dédié principalement à l’automobile et à la mécanique. Une installation de voitures (Skin crimes, 2008) aux carrosseries écrasées et repeintes dans des coloris de vernis à ongles ou de rouges à lèvres, jouxte diverses pièces offrant pêle-mêle : épingles à cheveux, ongles, et lames de rasoirs monumentaux, séries de moulages de moteurs. La reconstitution d’un atelier de customisation de voitures (She-Devils on Wheels-Headquarter, 1997), néons et peintures murales complètent ce dispositif détonant et pétaradant.

Avalanche de stéréotypes
Plus loin la salle des fusées (First Spaceship on Venus (17ABCDEFG), 1998. Ensemble de sept fusées) amplifie la thématique mécaniste qui se charge ici de connotations sexuelles : phalliques pour les fusées (ces engins ne sont pas sans rappeler les « Juicy phallus », des godes tripodes imaginés par la designer Caroline Noordijk) et vulvaires pour les peintures murales. Cette série de pièces, ainsi que la plupart des œuvres de Sylvie Fleury présentées dans l’exposition, adoptent l’esthétique de la soft pornographie, c’est-à-dire des représentations qui ont valeur de métaphores sexuelles mais qui ne montrent pas de pornographie à proprement parler. Ainsi le visiteur est-il plongé dans des ambiances et éclairages de boîte de nuit, peep-show ou sex-shop, confronté à d’innombrables accessoires de mode fortement érotisés (menottes, fourrure, plumes, strass, chaussure à talons aiguilles, photos de magazines féminins et masculin) et au final submergé par une avalanche de stéréotypes sexistes dont les publicitaires raffolent. C’est pourquoi on dit que Sylvie Fleury est une artiste du superflu qui reprend littéralement les codes d’une propagande publicitaire à travers une esthétique lisse, brillante, aseptisée, ne portant la trace d’aucun geste singulier, ni désir de transgression.
Le remplissage des espaces semble traduire une sorte d’horror vacui ; le voir en effet s’y décline par accumulation, amplification et hyperbole, peut-être une sorte d’hommage à John Armleder qui, en 2007, a occupé le Mamco avec une exposition intitulée Amor vacui, horror vacui. A ce propos, les créations de Sylvie Fleury se fondent fréquemment sur la stratégie de l’emprunt et de la citation. Les rapports et influences de l’art présent à l’art du passé, même récent, entrent dans un vaste paradigme artistique qui n’a pas encore été analysé en profondeur. La plupart du temps, les citations servent à marquer sa différence tout en reconnaissant une filiation. L’originalité du procédé n’étant, in fine, pas dans l’imitation, comme c’était le cas à la Renaissance par exemple, mais dans la confrontation et le désir de dépassement ou de rupture. Au premier regard, Sylvie Fleury s’approprie un style ou un concept (les fameuses bandes colorées de Daniel Buren ou les non moins célèbres grilles de Mondrian) désacralisant ainsi l’œuvre canonisée. Cependant, l’exercice peut se révéler risqué, car à force de répétition, la citation s’épuise, occulte le sens originel, ne clonant que la forme qui devient une coquille vide, une tautologie. Dans cette exposition, nous nous trouvons effectivement sur une limite de cet exercice, car à cet endroit le vide de la coquille versus le plein de l’œuvre originale, joue sur réelle vacuité mélancolique des repères et contenus culturels oubliés, inconnus, inaccessibles. Qui en effet derrière chaque pièce de cette exposition reconnaîtra et nommera son géniteur, son père spirituel ?

Dimension dramatique
Ces jeux avec l’identité masquée et travestie des œuvres renvoient sans doute au sous-titre de l’exposition La fascination du néant, une formulation qui plus gravement que le titre principal de Paillettes et dépendances, exprime une dimension dramatique. Le brouillage d’images d’idées et d’esthétiques auquel se livre Sylvie Fleury évoque, nolens volens, un monde qui perd tragiquement ses (re)pères, l’artiste alors construit une réalité fantasmatique, de substitution, refuge ou rempart, dans lequel le Beau est omniprésent, sous forme de marqueurs subliminaux (voitures de luxe, parures et accessoires de mode, couleurs et matières kitsch, cosmétiques, glamour et perfection corporelle, ésotérisme mystique, etc…).
L’installation d’une grotte, (Gold) Fountain PKW, 2003 & (Gold) Fountain LKW, 2003, illustre un espace édenique « Lieux d’aveuglement, d’expériences mystiques et solitaires, ces anfractuosités aux formes matricielles sont aussi le lieu de la renaissance de soi » (dossier de presse). La beauté étrange qui s’en dégage fonctionne effectivement comme un au-delà réalisé ici bas où la beauté se manifeste comme le visage admirable de la perte (Julia Kristeva, Soleil noir, dépression et mélancolie). La beauté glamour et kitsch du travail de Sylvie Fleury montre alors sa face cachée qui est celle de la sublimation, dynamique apte « à refaire le néant, en mieux et dans une harmonie inaltérable » (op. cit.), à remplacer, réparer et restaurer les idéaux perdus ou détruits.

Françoise-Hélène Brou

« Sylvie Fleury. Paillettes et dépendances ou la fascination du néant », Mamco 10, Rue des Vieux-Grenadiers, Genève. Jusqu’au 25 janvier 2009.
www.mamco.ch