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Musée d’Art et d’Histoire de Genève
Genève, MAH : A qui appartient la culture ?

A propos de nouvelle salle d’archéologie régionale...

Article mis en ligne le juin 2010
dernière modification le 5 juillet 2010

par Christophe RIME

Il y a tout juste une année, la nouvelle salle d’archéologie régionale ouvrait ses portes au public genevois, campée au sein du Musée d’Art et d’Histoire. Un espace superbe entièrement dévolu à la réunion remarquable de pièces de qualité, majeures ou non, qui emmène le visiteur jusqu’au lointain Paléolithique genevois, le tout mis en scène par un souci marqué d’une écriture muséographique élégante.

L’exposition vaut vraiment le détour et une ballade dominicale au MAH doit être programmée prochainement dans vos agendas, si ce n’est déjà fait.
Toutefois, si la constitution de cette salle et de cette collection en 2009 n’ont pas soulevé des tempêtes d’indignation à Genève – et pour cause, puisqu’il s’agit de patrimoine indigène vertical, n’ayant pas fait l’objet d’une quelconque spoliation, ni de déplacement au cours de l’histoire – il n’en va pas de même pour d’autres collections ou expositions actuellement à l’affiche dans le monde.
Un contentieux dont s’est fait l’écho la journée d’études organisée par le MAH et l’Université de Genève, le 27 avril dernier, autour du trafic illicite d’objet culturel.

Cuirasse de Fillinges. Transition Bronze final-Hallstatt, env. VIIIe s. av. J.-C.
Découverte à Fillinges, Haute-Savoie, en 1900. Plastron de cuirasse en tôle de bronze, décor géométrique au repoussé. Haut. 43,2 cm, larg. 37 cm
© Musée d’art et d’histoire, Ville de Genève, photo : Nathalie Sabato. Inv. 14058

Culture : Carrefour des civilisations ....
Le nom de l’exposition permanente du MAH de Genève est à ce titre évocateur pour effleurer les enjeux du débat : « Une cité à la découverte de son identité ». Il nous ramène à une controverse qui fait actuellement rage sur la scène de l’archéologie et de l’art internationaux : la demande de restitution formulée de la part de l’Egypte, suivie d’une quinzaine d’autres pays “sources“, exigeant que des pièces archéologiques ayant fait l’objet d’une pratique de trafic illicite leur soient rendues afin qu’ils puissent enfin retrouver leur identité. Sont en jeu des pièces mondialement connues pour certaines – le fameux buste de Nefertiti ou les frises du Parthénon – ou d’autres plus anonymes. Cependant, toutes posent de bien souffrantes questions : qui possède véritablement la culture ? A qui appartient la culture ? La culture est-elle un objet de propriété ?
Le débat n’est pas prêt d’être clos, car profondes sont les ondes telluriques – dementia nationalis – qu’il soulève. La problématique touche en effet à plusieurs couches qui s’entrechoquent. L’enjeu national d’abord, engoncé dans une perspective étroitement communautaire, même si légitime du pays “producteur“ de la pièce inscrite sur la liste rouge. Puis, la perspective internationale du pays hôte qui a depuis longtemps acquis l’objet en question et l’a “envitriné“ parmi l’un ou l’autre de ses musées créés essentiellement par la constitution de collections archéologiques ou artistiques réunies à une période ou découvertes rimait assez souvent avec pillage et impérialisme. La dimension universelle enfin, se drapant dans une attitude d’appropriation mondiale du patrimoine culturel pour le bien de la population planétaire, quelque soit le lieu de conservation de cette culture.

Vue de la nouvelle salle d’archéologie.
Photo Jacot-Descombres

Où se trouve le juste milieu ? Existe-t-il une réponse déontologique à cette problématique ? La dispute ne s’arrête en effet pas au seul domaine archéologique puisque celui-ci n’est pas un ensemble homogène et puisque la frontière entre archéologie, culture et art reste poreuse et relative. C’est en fait une mise en tension centrale pour toutes les manifestations culturelles qui est déposée par la fameuse liste rouge du remuant professeur Zahi Hawass, raïs des Antiquités en Egypte. Etant donné que la culture est la plus haute expression de l’humain, on comprendra aisément que le pays qui a accouché d’un patrimoine archéologique souhaite se réunir à lui-même, dans un souci identitaire marqué de retour à ses origines propres. Soit dit en passant, la question de la réappropriation par intérêt financier et touristique ne doit pas nous échapper, surtout de la part d’un régime égyptien islamisé depuis le VIIe siècle et dont les premiers dynastes fatimides n’avaient pas hésité à démonter les blocs des pyramides de Guizeh pour les transformer en vulgaires pas-de-portes pour leur mosquée. Pour autant, ce n’est pas la seule façon d’envisager ce chantier patrimonial que semble devenir le passé des civilisations.
D’un autre point de vue, imagine-t-on une seule seconde ce qu’eussent été les vitrines des grands musées occidentaux et son corollaire, l’évolution de la connaissance des civilisations, tel que le British Museum pour ne citer qu’un exemple symptomatique, vidées de leurs collections fameuses (même si Lord Byron fut en son temps le chantre de la restitution des frises du Parthénon, déclarant qu’il s’opposerait toujours au pillage des ruines d’Athènes « dans le but d’initier les Anglais » qui étaient selon lui « aussi doués pour la sculpture que les Egyptiens pour le patinage ») ? Ou encore la place de la Concorde sans son impérial obélisque ? S’impose alors de manière évidente l’obligation de repenser le concept d’appropriation de la culture des hommes par eux-mêmes.

Bâton de Veyrier au bouquetin et décor végétalisant. Paléolithique supérieur (Magdalénien). Vers 13000 av. J.-C.
Découvert au Pas-de-l’Échelle, dit « Veyrier », Haute-Savoie, en 1868
Bois de renne, décor gravé. Long. 18,5 cm
© Musée d’art et d’histoire, Ville de Genève, photo : Jean-Marc Yersin. Inv. A-8816

... ou ghetto national ? 
Se dirige-t-on – cela semble dans l’ère du temps – vers une ghettoïsation nationaliste des œuvres à caractère culturel, ce qui correspondrait à un cloisonnement par morcellement des portes de la culture, ou au contraire, ne devrions-nous pas privilégier les progrès de la raison humaine et de son espèce ? Car la culture appartiendra toujours « à tous les peuples », en effet « nul n’a le droit de se l’approprier ou d’en disposer arbitrairement », comme le martèle déjà en 1796 Antoine-Chrysostome Quatremère de Quincy1. C’est-à-dire ni aux uns, ni aux autres. Ou simplement de nous rappeler avec Levi-Strauss qu’il y a « simultanément à l’œuvre dans les sociétés humaines, des forces travaillant dans des directions opposées : Les unes tendant au maintient et même à l’accentuation des particularismes ; les autres agissant dans le sens de la convergence et de
l’affinité2 ».

A l’heure où Genève et le MAH seront en droit de fêter dans la quiétude les 365 jours d’existence d’une exposition de qualité, remontant le fil de ses origines, cependant que semblant lui procurer une identité “naturelle“ historique, n’oublions pas de replacer celle-ci dans le grand concert des civilisations, aussi indivisibles qu’universelles.

Christophe Rime

1 Cf. Tullio Scovazzi, Diviser c’est détruire : Principes éthiques et règles juridiques applicables au retour des biens culturels, UNESCO, 2008.
2 Cf. Levi-Strauss, Race et histoire, p. 15.

Pour poursuivre la réflexion, lire l’article dense de Philippe Baqué, « Enquête sur le pillage des objets d’art », in Le monde diplomatique, janvier 2005.