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Musée d’ethnographie de Genève
Genève : Le regard de Kannon

Le Musée d’ethnographie propose une immersions dans la dimension spirituelle de Kannon.

Article mis en ligne le avril 2010
dernière modification le 2 juillet 2010

par Catherine GRAF

L’exposition organisée par le Musée d’ethnographie offre, à travers quelques-unes de ses pièces les plus remarquables, une immersion dans la dimension
spirituelle de Kannon, ainsi qu’une initiation aux principes sophistiqués de l’iconographie bouddhique, grâce à la collection d’images pieuses japonaises de l’anthropologue André Leroi-Gourhan. Enfin, elle invite le visiteur à mettre ses pas dans ceux des pèlerins qui visitent en foule les temples dédiés à Kannon.

Kannon est incontestablement la plus populaire de toutes les divinités du « Grand Véhicule », cette forme du bouddhisme dont l’idéal est la compassion. Elle est vénérée dans toute l’Asie et particulièrement en Extrême-Orient (Tibet, Mongolie, Chine, Japon) et revêt de très nombreuses formes qui nourrissent une iconographie variée tant gravée, peinte que sculptée.

On l’invoque pour recevoir sa protection face à toutes les difficultés de la vie et également comme guide au moment de la mort. C’est un grand boddhisattva, un être qui a fait le vœu de devenir bouddha pour aider les autres à se réaliser. Mais sur cette voie il fera passer tous les autres avant lui, ce qui est considéré comme le sommet de l’altruisme. Témoin de sa popularité, même une grande marque d’appareils photographiques s’est inspirée de son nom.
Comme un phare sur la mer, le regard de Kannon balaye de sa lumière de compassion tout ce qu’il observe ; c’est la “vigie des voix du monde“. Elle scrute les bruits et les voix du monde, une jambe repliée, l’autre pied posé au sol, prête à se lever pour intervenir. Elle porte souvent une représentation du Bouddha de la “Lumière infinie“ (Amitâbha) sur sa tête, Bouddha qu’elle assiste dans l’accueil des mourants, conduits par elle dans la Terre pure située à l’Ouest de notre cosmos. Elle-même serait née d’un rayon de lumière émis par ce même Amitâbha. Dans le Sûtra du lotus qui renferme l’ensemble de la doctrine du Bouddha, Kannon est le protecteur des êtres de notre univers, leur dispensant des bienfaits concrets et spirituels. Face à l’ampleur de la tâche, Kannon est parfois représentée avec mille mains, ou quatorze bras comme Kannon la courtisane. Est-ce un dieu ou une déesse ? Le genre semble sans importance, adapté à la sensibilité des artistes et des croyants, quoique la féminisation s’accentue à partir du XIIème siècle.

Double fonction de l’image
Contrairement au judaïsme et à l’islam, l’iconographie bouddhique repose apparemment sur un paradoxe : l’absolu est certes indescriptible, mais il peut être représenté sous d’innombrables formes. L’image a une double fonction – de dévotion et de support de méditation pour s’imprégner des qualités de la divinité. L’icône devient sacrée lorsque l’on peint ses yeux lors du rituel de l’ouverture des yeux : l’image est dès lors habitée et rayonne sur ceux qui se trouvent en sa présence. Certaines statues sont chargées d’une force si grande qu’on les enferme dans une châsse ; l’on offre à la dévotion soit une nouvelle statue, qui pourra elle-même se “charger“ au fil du temps, soit une image.
Parmi celles-ci, les ofudas, images pieuses japonaises de ces statues destinées aux pèlerins. André Leroi-Gourhan en rassembla une importante collection lors de son séjour au Japon en 1937-39. Mais à la fin de la guerre, il dut renoncer à ses travaux concernant la culture du Pays du Soleil levant et se réorienta avec bonheur vers la préhistoire. Sa veuve Arlette légua sa collection de plusieurs centaines de pièces au MEG.
Comme toutes les autres grands religions, le bouddhisme a ses pèlerinages, qui relie parcours terrestre, évolution personnelle et cheminement spirituel. Tous les pays d’Asie ont leurs lieux de recueillement, certains liés aux événements majeurs de la vie de Bouddha (comme la naissance, l’éveil, les sermons et le décès). Au Japon certains pèlerins s’habillent d’un costume blanc – couleur de la purification, qui pourra être revêtu lors des funérailles - qui se couvre de tampons rouges au fil des nouveaux temples visités.
Témoin important du culte de Kannon, la cloche de Honsenji de Tokyo. Elle fut coulée en 1657 à Tokyo et porte six représentations de Kannon. Lors de la campagne anti-boudddhique menée au Japon à la fin du XIXème siècle, elle fut envoyée à Genève pour être transformée… en canon. Mais le mécène Gustave Revillod la racheta pour la déposer dans son jardin de l’Ariana. La cloche fut rendue en 1930 au Honseji de Tokyo, et en 1991, une copie reprit la place de l’original dans le parc de l’Ariana.
L’exposition, qui nous donne à voir 150 des 300 représentations de cette divinité que possède le musée, permet un voyage approfondi, varié et parfois surprenant dans la dimension spirituelle de cette figure majeure du panthéon bouddhique.

Catherine Graf

Musée d’ethnographie de Genève, bd Carl-Vogt 65, jusqu’au 20 juin 2010