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Musée d’ethnographie de Genève
Genève : L’air du temps

L’exposition programmée au Musée d’ethnographie de Genève pose les questions de l’identité de la musique.

Article mis en ligne le mai 2009
dernière modification le 2 juillet 2010

par Sophie EIGENMANN

Exposition sonore, l’air du temps s’installe au Musée d’ethnographie de Genève jusqu’à la fin de l’année. Organisée grâce aux AIMP - Archives internationales de musique populaire créées par l’ethnomusicologue roumain Constantin Brailoiu dans les années cinquante -, elle pose les questions de l’identité de la musique qui se révèle à la fois un héritage culturel et le résultat d’une époque.

Pour réaliser l’air du temps, quatre ans de numérisation ont été nécessaires et rendus possible grâce au soutien de Memoriav – association pour la sauvegarde de la mémoire audiovisuelle de Suisse –, de la Loterie Romande, de la Ville de Genève et du MEG. Volontiers ludique, cette exposition s’organise autour de cinq espaces qui sont autant de perceptions de l’histoire de la musique. Visite en rythme en compagnie du conservateur Philippe Mathez.
Tout commence avec un orchestre imaginaire. Plusieurs sources de musique s’encouragent dans le premier espace. Des haut-parleurs, placés à des hauteurs variables par un acousticien, jouent chacun une mélodie instrumentale différente. En s’approchant, le visiteur entend distinctement une musique. Il découvre que des sonorités extrêmement différentes peuvent se mélanger sans former une cacophonie. « Il n’y a pas de société sans musique » explique Philippe Mathez. « La musique est aussi un amplificateur d’émotion et du berceau à la tombe, nous réagissons à celle-ci en fonction de notre goût ou « habitus » selon le terme utilisé par Bourdieu ».

Hommage à Constantin Brailoiu
Le deuxième espace rend hommage à l’ambitieux projet de Constantin Brailoiu qui visait à « conserver la mémoire des mélodies originelles de toutes les contrées du monde ». Dans ces musiques, il percevait « comme une âme première de l’homme » et donc une universalité qui en fait un des pères de l’ethnomusicologie scientifique contemporaine. Quelques instruments étranges comme le violon à pavillon évoquent aussi une ambiance dada.
Passage dans la mémoire vive du 3ème espace. Vous pouvez y accéder, au moyen d’ordinateurs, à l’ensemble de la collection numérisée qui est aussi simplement sur le site du Musée. Sur une paroi, la musique est traitée graphiquement, les hertz et les décibels se mélangent. « Travailler sur ces sources, c’est aussi relire l’histoire sociale qui les a rendues possible et revoir l’histoire du 20ème siècle » explique Philippe Mathez. D’un enregistrement de soldats malgaches internés en Suisse en 1945, on passe à des chants arabes du Hoggar ou à des danses brésiliennes ou gabonaises de la même époque. On peut également écouter des émissions de radio des années 50 qui permettent de découvrir le style et les analyses de l’époque.
Contre les murs, on découvre l’histoire de Constantin Brailoiu (1893-1958). Influencé par l’esprit de retour à la ruralité, il rejoint en 1928 l’équipe sociologique du professeur Dimitrie Gusti dans ses enquêtes sur le terrain. Bouleversé par la découverte des musiques populaires rurales de sa Roumanie natale, il écrit une Esquisse d’une méthode de folklore musical en 1931. D’autres ouvrages suivent sur les rythmes, les échelles musicales, la poésie chantée ou les rites funéraires. En 1943, Constantin Brailoiu arrive en Suisse où, sentant que la situation politique de son pays se détériore, il s’installe définitivement. Il crée l’année d’après les Archives internationales de musique populaire (AIMP) avec l’aide d’Eugène Pittard alors directeur du Musée d’ethnographie de Genève et consacre sa vie à recueillir des enregistrements des musiques du monde entier.

Version remix
Dans le 4ème espace, on bascule dans la partie contemporaine de l’air du temps. La world musique s’y nourrit de musicologie. Consacrée à la Roumanie, cette salle revisite le patrimoine un siècle plus tard et propose une bande musicale d’un quart d’heure durant laquelle on pourra écouter la transformation de la musique balkanique, de l’apparition du synthétiseur jusqu’à une version remixée prônant la réussite par l’argent et la sexualité. De l’histoire, on passe à l’aspect commercial de la musique. Cette expérience souligne que certaines formes traversent les époques et que l’inspiration musicale passe parfois aussi par le plagiat.
Arrivé dans le 5ème espace, un tube trône au centre d’une piste de danse. Une table de mixage propose 50 tubes actuels issus de 50 pays. « Pour aboutir à cette sélection, on est passé par les sites de téléchargement, un réseau de correspondants ou on est allé sur place. Le tube marque la mémoire, c’est un lien identitaire qui a une tonalité locale et qui n’est pas un simple reflet de la globalisation » explique Philippe Mathez. Au sol, une carte dépeint la situation du marché du disque. Avec 30% de la production musicale mondiale, les USA se portent bien. Ils sont suivis par le Japon avec 20% puis par l’Angleterre avec 10%. A découvrir !
« Jamais, en effet, on ne porte atteinte aux formes de la musique sans ébranler les plus grandes lois des cités. » Platon

L’air du temps s’adresse à tous les publics, du curieux aux spécialistes. Dans une scénographie signée Catherine Nussbaumer, l’exposition est montée par Laurent Aubert – qui dirige aussi une publication intitulée « Mémoire vive » – et Philippe Mathez. L’exposition est aussi accompagnée de publications de CDs, d’une série de concerts et de rencontres.

Sophie Eigenmann

Musée d’ethnographie (bd Carl-Vogt 65)
« L’air du temps ». Jusqu’au 30 décembre.