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A Genève, Collections Baur
Genève, Collections Baur : la civilisation Liao (907-1129)

Regard sur une civilisation disparue de nomades, portée sur des métaux précieux.

Article mis en ligne le février 2007
dernière modification le 2 octobre 2007

par P.J. MARCZELL

Mise en bouche exquise aux goûts d’une civilisation disparue de nomades, inféodée à la Chine au Nord et portée sur des métaux précieux. Ceci en
attendant l’arrivée zurichoise de la grande exposition itinérante qui devrait illustrer pleinement sa spécificité.

Cette introduction comprend quatre moments. Le premier étale des modèles d’orfèvrerie chinoise de la dynastie Tang (618-907) soit en argent, soit en argent doré ou son imitation en grès blanc. Les autres mettent en valeur des arts somptuaires ; des objets à décoration végétale, animale ou emblématiquement fabuleuse ; ainsi que des récipients et des plats en céramique. Tous ces artefacts proviennent de collections privées entourées d’anonymat (excepté les prêts Meiyintang, Krugier-Poniatowski et Barbier-Mueller).

Virtuosité et opulence
Les références Tang brillent par l’excellence de leurs matériaux et la virtuosité de leur exécution. A cet égard, les réussites en répoussé feront merveille. Elles témoignent d’une opulence chatoyante et raffinée, avec la capitale cosmopolite Chang’an (actuelle Xi’an) en son centre. Le trafic animé de la Route de la Soie y déploie ses effets en rehaussant ses fastes d’éléments exotiques empruntés à l’Asie Centrale. Coupes, navicelles polylobées, plats, boîtes diverses et accessoires luxueux, de distinction subtile, s’enrichissent d’une multitude de motifs nouveaux (perroquet, rhinocéros, makara, chasseur à cheval...).
Une ceinture mise à part, avec l’orfèvrerie proprement Liao, nous restons d’abord au niveau de cette gamme de pièces ostentatoires, somptuaires ou rituelles, mais nous constatons la prévalence de l’or et de l’argent et l’apparition des représentations de cervidés, de tigres et de lions à côté de celles, traditionnelles pour la Chine, de dragons, phénix et autres animaux fantastiques, canards, grues et autres oiseaux, de préférence pris dans leurs milieux. S’y ajoutent musiciens et danseuses, Bouddhas et immortels. Nous pouvons également y noter quelques allusions au bouddhisme par des symboles. Chance extraordinaire, ces trésors consistent, en bonne partie, en offrandes funéraires civiles et militaires d’une même période et à l’honneur du même couple, la période se situant entre 1024 et 1027 et les destinataires étant feu le prince Wenzhong et feu l’impératrice douairière Cheng Tiang. Cette focalisation invoquant prospérité et félicité aristocratiques, mobilise les vitrines 3 à 9 dans la 2e salle de notre visite.
La troisième étape de la sensibilisation nous permet d’entrevoir davantage le monde des steppes de l’époque, surtout dans ses rapports aux chevaux, à la gouvernance et au prestige social. Ses vitrines abritent parures de selle, éléments de harnais, couronnes, masques et oreillers funéraires, ceintures et boîtes à ceinture, plaques, boîte à couteaux, peignes et épingles de cheveux avec ou sans leurs boîtes, boucles d’oreilles, bracelets, éventails. Preuve des richesses dues aux tributs et aux échanges commerciaux fructueux, l’or y abonde dans toute sa splendeur unique, mais il domine aussi en association avec l’argent, le jade, l’ivoire, les pierres semi-précieuses et le bois.
La fin de la visite est consacrée à la céramique. Les grès blancs, à couverte blanche ou transparente et les terres cuites à glaçure revêtent des formes de gourdes, verseuses, bols, plats et vases. Par leur fréquence, les rappels des cucurbitacées (gourdes, melons, calebasses) leur apportent un signe distinctif. Ouvertures foliées de bols et de plats aussi bien que décors végétaux (floraux, de vignes...) et animaliers (singes, poissons) dénotent une proximité avec la nature. Autre trait particulier frappant, le recouvrement surprenant des produits céramiques de feuilles d’or finement travaillées et ajourées, nous laisse un souvenir durable. A ce procédé peut se substituer des couvertes aux couleurs chaudes rappelant le chatoiement des métaux. Une méthode similaire trouve souvent son application sur d’autres supports tels la laque ou le bois.

Dualité de la civilisation Liao
L’observation nous amène à constater le caractère biface de la civilisation liao. Les aspects mongoles et chinois s’y complètent étroitement, mais ne s’y confondent pas, en tous cas pas volontiers et pas toujours. La dualité s’est aussi affirmée par l’écriture apparemment double dont le déchiffrement n’est pas terminé : l’une probablement tirée de l’ouïgoure (turc), l’autre dérivée des idéogrammes chinois. Aussi, la désignation dynastique Liao (ou Leao), chinoise, se limite à l’état du peuple qidan / khitan / k’itan / khitaï / kitat (selon la langue que l’on emploi) de 907-1125 alors que l’ethnie a émergé dans les annales chinoises déjà au début du Ve siècle. Issues de l’actuel Jinzhou (Jéhol) au Nord-Est et s’exprimant dans "un dialecte mongol, fortement palatalisé au contact des parlers tongous" (P. Pelliot), les Qidans ont profité des tiraillements des Cinq Dynasties (907-960) pour s’installer plus au Sud à l’intérieur de la Grande Muraille (avec l’actuel Beijing / Pékin et Datong / Ta-t’ong comme capitales de cette région). Ils ont visé le trône même de l’empereur. Bien mieux organisés que leurs prédécesseurs immédiats, les souverains Song (960-1127) ont essayé de les chasser sans y parvenir. L’accord de compromis de 1004 a finalement instauré un siècle de tranquillité entre les deux camps. Pendant cette période, de plus en plus sédentarisés et sinisés, les Qidans ont reporté leurs ambitions d’expansion sur la Corée et le Gobi. Leur pacification, cependant, avait été interrompue dans le sang par le peuple toungous (tongous) des Djürtchet (Djourtché ou Joutchan) déferlant de leurs forêts aquatiques et maritimes. La liquidation de leur vaste empire et l’établissement de la dynastie des Jin (Tsin / Kin / Altchoun : d’or) à sa place ont coûté très cher par la suite aux Chinois qui les avaient provoqués. Pire, elle a préparé l’invasion de l’Empire Céleste par les hordes de Gengis Khan (Temüdjin) qui ont imposé leur règne sous l’étiquette impériale Yuan (1271 ou 1279 -1368).

Inédite en Europe, notre belle exposition présente son sujet dans une optique éminemment chinoise. Espérons que la manifestation Liao programmée du 13 mai au 15 juillet 2007 au Musée Rietberg, aux espaces muséals plus étendus, offrira également d’autres éclairages. Car les perspectives posées nous amènent à une interrogation sur des stratégies politique, économique et culturelle des ’civilisés’ face aux ’barbares’ de très grande actualité. (Pour dire que nous pourrions encore beaucoup apprendre des leçons de l’histoire d’il y a plus de mille ans.)

P. J. Marczell

Jusqu’au 25 mars 2007