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Cabinet des estampes, Genève
Genève, Cabinet des estampes : Le Minotaure

Le Cabinet des estampes du Musée d’art et d’histoire propose une exposition autour de la revue Minotaure, à voir jusqu’au 30 mars.

Article mis en ligne le février 2008
dernière modification le 31 mars 2008

par Laurent CENNAMO

Jusqu’au 30 mars 2008, le Cabinet des estampes du Musée d’art et d’histoire propose une exposition autour de la revue Minotaure créée dans les années 30 par l’éditeur Albert Skira. Plongée dans un univers éclectique et néanmoins cohérent, traitant aussi bien d’art que de
sciences ou de faits divers.

C’est à Paris qu’Albert Skira (1904-1973) crée la revue Minotaure, dont le premier numéro voit le jour en juin 1933. Il offre à ses lecteurs, jusqu’à son interruption au début de la Seconde Guerre mondiale, treize livraisons manifestant à la fois un grand éclectisme dans les sujets abordés et un esprit encyclopédique affirmé. En s’alliant les contributions de Tériade pour l’édition, celles d’artistes et d’écrivains comme Picasso, Breton, Bataille, Masson, Eluard ou encore Crevel, Albert Skira réussit à faire coexister des tendances fort diverses.
La deuxième de couverture du premier numéro annonce une Revue artistique et littéraire, et spécifie en sous-titre : arts plastiques – poésie – musique – architecture – ethnologie – mythologie – spectacle – psychologie – psychiatrie – psychanalyse. Liste qui laisse songeur
aujourd’hui…
L’ambition affichée par Minotaure de couvrir tous ces domaines ne sera cependant que partiellement accomplie, certains champs tels que la musique ou l’ethnologie étant rapidement abandonnés.

Genèse
Albert Skira publie à partir de 1931 des ouvrages de grand luxe : Les Métamorphoses d’Ovide illustrées par Picasso, les Poésies de Mallarmé illustrées par Matisse (1932), Les Chants de Maldoror du comte de Lautréamont par Dalì (1934). Afin d’assurer aux ouvrages une bonne distribution, il imagine une revue qu’il décide de lancer à Paris. Les discussions s’engagent autour du titre à lui donner. Picasso suggère Le Plumeau – clin d’œil au désir de Skira de faire table rase du passé –, mais c’est finalement sous le signe de la mythologie que le périodique est placé.
La paternité du Minotaure n’a jamais été établie avec certitude. Selon Skira, Roger Vitrac en aurait eu l’idée, version contredite par Brassaï, qui l’attribue à Bataille et Masson. Sans doute faut-il d’abord y voir une manifestation de l’atmosphère de travail collectif qui régnait dans le petit bureau de la rue de la Boétie, siège de la rédaction.

Surréalisme
Dès le premier numéro, la revue se place sous le signe du luxe et de la beauté. Chacune des couvertures sera réalisée en couleur par un artiste – Picasso, Roux, Derain, Borès, Duchamp, Mirò, Dalì, Matisse, Magritte, Ernst, Masson, Rivera – et Skira accordera la plus grande attention à la qualité des reproductions ainsi qu’à la mise en page et à la typographie.
L’ensemble de ces couvertures, d’une très grande efficacité visuelle par leur format et l’emploi de couleurs vives, est visible dans la première salle de l’exposition du Cabinet des estampes.
Le surréalisme occupe une place prédominante sur la scène artistique depuis les années 20. Skira invite bien entendu les surréalistes à se mêler à l’aventure. Les ambitions de l’éditeur se heurtent pourtant à l’idéologie du mouvement et au mépris initial de Breton et Eluard, qui trouvent la revue trop bourgeoise. Ceux-ci finiront toutefois par céder, pressés par le besoin d’une nouvelle tribune après la mort du Surréalisme au service de la Révolution. Skira met cependant une condition à la venue des surréalistes dans Minotaure : ils ne pourront pas y publier de textes à caractère politique ou social. Breton tentera d’y imprimer sa marque (il deviendra même rédacteur en chef de la revue en 1937), sans parvenir à en faire un instrument purement surréaliste. Si elles sont parfois sources de difficultés, les divergences contribuent manifestement à l’ambition de la revue : montrer le plus large panorama des années stimulantes et inquiétantes qui sont en train d’être vécues.
Aucun aspect n’est laissé au hasard. Skira développe une stratégie publicitaire « endogène », la plupart des pages d’annonces à l’intérieur de Minotaure renvoyant à des ouvrages publiés par ses éditions.
En 1934, une année après la parution du premier numéro, Skira et Tériade organisent déjà une exposition au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles pour présenter les artistes qui ont contribué à la revue.

A voir
L’exposition du Cabinet des estampes témoigne de cette densité extraordinaire ainsi que du souci esthétique qui habitait Skira. On regrettera seulement que ses organisateurs n’aient pas eu un plus grand souci de « guider » le spectateur à travers les salles (trois au total). Nul carton explicatif en effet, nulle indication de l’identité des artistes non plus, l’obligation dès lors pour le malheureux spectateur de reconnaître la paternité des toiles ou des objets à la signature, lorsque celle-ci apparaît… Certaine vitrine placée au centre de la salle et présentant pêle-mêle objets, revues, photographies, bouts de papier griffonnés moitié déchirés et autres notes aurait mérité quelque éclaircissement.
A la décharge des commissaires de l’exposition, il faut dire que la matière est foisonnante, d’une densité presque insensée. Une partie de l’exposition confronte l’esthétique du Minotaure à différents périodiques qui lui sont contemporains, en révélant influences, dissonances ou innovations. L’exposition suit certains des chemins indiqués au fil des pages de la revue, ceci à la faveur notamment de gravures de Picasso (la série réalisée à partir des Métamorphoses d’Ovide publiée par Skira dès 1931) ou Seligmann, des dessins d’Urs Graf ou de Masson, des livres illustrés par Ernst ou Dalì, des objets de Duchamp ou de Bellmer, des photographies de Man Ray (Rayogramme, 1925) ou Brassaï (Troglodyte, vers 1935). De Kurt Seligmann (1900-1962), ne pas manquer dans la seconde salle le bois peint en blanc et bleu clair intitulé Deux têtes (1931-1932). Les cartes postales vendues par centaines à l’époque – qui plaisaient tant à Paul Eluard – sont également présentées dans l’exposition, ainsi que de curieux automates, des boules de cristal, des oiseaux empaillés.
Mythologie, merveilleux dans la nature, humour noir, expériences médiumniques, jeu, violence : Minotaure fut un laboratoire ainsi qu’un lieu d’échanges intenses pour nombre d’artistes de cette génération.

Laurent Cennamo

Cabinet des estampes du Musée d’art et d’histoire
5, promenade du Pin
+41 22 418 27 70