Arts-Scènes
Slogan du site

Cinéma Danse Expositions Musique Opéra Spectacles Théâtre

Musée d’art et d’histoire de Genève
Entretien : Jean-Yves Marin

En cette période de centenaire, le Musée d’art et d’histoire de Genève accueille son nouveau directeur. Rencontre.

Article mis en ligne le mars 2010
dernière modification le 25 mars 2010

par Françoise-Hélène BROU

Crée en 1910, le Musée d’art et d’histoire de Genève fête son centenaire. A cette occasion un riche programme de manifestations se déroulera tout au long de l’année 2010 pour célébrer dignement cet anniversaire. Cette date correspond également à la prise de fonction du nouveau directeur du musée qui désormais veille sur son destin. Scènes Magazine est allé à sa rencontre.

Quelles sont les raisons qui vous ont attiré à Genève  ?
Jean-Yves Marin  : J’ai passé plus d’une vingtaine d’années à Caen comme directeur du Musée de Normandie installé dans le château de Caen, j’ai eu dans le cadre de mes fonctions l’occasion de participer à un grand projet de restauration (nouvelle salle du Rempart, équipement muséal moderne de 1200m2 accueillant les expositions temporaires du Musée de Normandie, ndlr). Une fois cette étape achevée j’ai ressenti le besoin de me lancer dans un nouveau projet de vie. Lorsque j’ai pris connaissance de la mise au concours du poste de directeur des Musées d’art et d’histoire de Genève, j’ai réalisé qu’il réunissait quelques ingrédients intéressants. D’abord mon expérience dans ce type d’institution polyvalente, ensuite la volonté des Genevois de mener à bien le projet architectural de rénovation du musée piloté par Jean Nouvel (1), enfin la dimension internationale de Genève car, depuis de nombreuses années, je suis actif dans diverses organisations culturelles internationales comme, par exemple, l’UNESCO, l’Université francophone Senghor d’Alexandrie ou le Conseil international des musées (ICOM). Cette convergence de facteurs m’a décidé à postuler.

Jean-Yves Marin

Est-ce qu’un musée à vocation encyclopédique comme les MAHs, le seul d’ailleurs en Suisse, a encore de l’avenir, compte tenu de la polyvalence de ses missions et en conséquence des charges administratives et financières considérables qui lui incombent en matière de personnel qualifié, d’infrastructures et d’équipements spécifiques  ?
C’est une question que je me pose tous les jours. Mais la situation des MAHs est particulière car c’est surtout grâce aux dons de mécènes locaux que le musée a constitué ses collections, donc l’identité des Genevois se retrouve pleinement dans cet encyclopédisme, ce qui donne du même coup un sens à l’histoire du musée. Cela étant posé il faut préciser quelques éléments : les Musées d’art et d’histoire circonscrivent un périmètre bien défini à travers les institutions qui le composent. Concernant la qualification du personnel, il faut convenir que le maintien d’un niveau d’excellence dans chacune de ses parties – peinture, gravure, dessin, archéologie, horlogerie, céramique, armement, bibliothèque, instruments de musique, etc… – peut connaître des hauts et des bas. Il est en effet difficile de réunir plusieurs grandes personnalités qui font rayonner l’institution au même moment. Ce type de gestion ne peut se concevoir que sur le très long terme et au prix d’une politique de personnel générationnelle et ambitieuse. Une personnalité d’excellence peut en effet donner à son domaine spécifique une impulsion qui marquera plusieurs générations. Mais en réunir plusieurs du même calibre et simultanément relève de la gageure.

Comment comptez-vous élargir, enrichir, compléter les collections des MAHs, en particulier celles d’art moderne et contemporain qui ne couvrent que très partiellement et imparfaitement l’évolution de l’art à partir du XXe siècle  ?
Est-il raisonnable qu’il y ait aux MAHs un développement des collections d’art contemporain ? Je ne le pense pas car d’autres institutions culturelles genevoises se chargent de cette mission avec beaucoup de compétence. L’art contemporain bénéficie, à Genève, d’une scène dynamique animée par des institutions comme Le Fonds municipal d’art contemporain (Fmac), le Centre d’Art Contemporain, le Centre pour l’image contemporaine, le Mamco (Musée d’art moderne et contemporain), etc… En revanche la question de l’art moderne est différente. Il convient en effet de “boucher les trous de l’art moderne“ et de compléter les chaînons historiques manquants de l’art du XXe siècle. Paul Lang, le conservateur responsable du département des Beaux Arts en est d’ailleurs pleinement conscient.

Angle de la rue Charles-Galland et du boulevard des Casemates (actuel boulevard Émile-Jaques-Dalcroze) © MAH, archives de la photothèque
Entre le quartier des Tranchées et la Vieille-Ville, sur le site des Casemates, le musée
s’élève dans un contexte urbain relativement dense. Dans les projets d’aménagement
des alentours, Marc Camoletti travaille également à la passerelle
et à la promenade de l’Observatoire.

Sachant que vous êtes arrivé aux MAHs en pleine crise institutionnelle, quelles sont donc vos priorités en ce domaine, et qui fixe  ces priorités  ?
Les polémiques ont effectivement épuisé la plupart des intervenants, maintenant il faut regarder vers l’avenir. J’essaie de rassurer le personnel quant aux projets futurs et notamment de mener à bien ce qui a été entrepris avant mon arrivée. Je crois avoir une totale liberté d’action. En outre une conjoncture favorable se dessine actuellement concernant le projet d’extension du Musée piloté par Jean Nouvel. Le 10 mars 2010, nous organisons au palais Eynard une conférence de presse pour présenter au public le mécène, il s’agit d’une fondation, qui financera ce projet à hauteur de 40 millions de francs, en complément des 40 millions de fonds publics, nécessaires au bouclement financier du projet de rénovation. Ce généreux donateur offrira également en dépôt une importante collection d’art moderne, soit une cinquantaine d’œuvres majeures. Cette collection devrait, compte tenu de sa qualité exceptionnelle, propulser le musée genevois aux premières loges des musées d’art moderne européens.

Mis à part quelques événements exceptionnels comme l’exposition récente consacrée à Alberto Giacometti, les Mahs organisent peu d’expositions vraiment spectaculaires attirant un très large public. Pourtant Genève est une ville internationale qui mériterait une programmation plus ambitieuse. Quel sera votre programme d’expositions  ?
J’aimerais souligner d’emblée que dans la réalité économique actuelle il n’est plus guère possible de produire une exposition, on ne peut que la co-produire. Il est en effet nécessaire d’être inséré dans un réseau d’institutions muséales où se tissent des collaborations, des échanges. Seconde remarque : les MAHs ne disposent pas actuellement d’espaces adaptés à ce type d’expositions internationales, mais le projet de rénovation Jean Nouvel va heureusement résoudre ce problème. Au terme de ce chantier, qui certes entraînera une fermeture momentanée du bâtiment de la rue Charles-Galland, nous aurons alors les salles adéquates pour créer des événements de plus grande ampleur. Donc dans l’immédiat la programmation des expositions ne va pas connaître de changement, il y aura même un ralentissement pendant la durée des travaux. Dans cet intervalle, nous devrons inventer un nouveau musée, réactiver les contacts à travers le monde pour mieux revenir sur le devant de la scène internationale, redéfinir tous les aspects de la muséographie, y compris celui des expositions.

Centenaire du Musée d’art et d’histoire. Pose de la première pierre de la façade principale, 17 septembre 1904 © CIG, Bibliothèque de Genève
Lors de la cérémonie officielle du 17 septembre 1904, les autorités scellent un coffret
renfermant des documents dans un bloc évidé sur lequel est déposée la pierre angulaire de plus de trois tonnes. Y sont contenus : arrêtés du Conseil municipal et du Conseil
d’État, mémorial, discussions et rapports, comptes rendus et règlements, rapports sur les travaux du musée, photographies, liste des matériaux employés, annuaire officiel, articles de journaux ainsi que monnaies suisses et médailles.

Quel sens donnez-vous aux manifestations marquant le centenaire de l’institution  ?
Pour ma part je les conçois comme un moment de réflexion introspective, propice à dresser une sorte de bilan, à se poser les bonnes questions sur le passé et le futur de l’institution, qu’est-ce que faire de ce musée ? Il s’agit aussi de montrer que les MAHs représentent le dernier endroit où l’on peut montrer tous les arts, qu’il est un lieu de rassemblement et de fédération des idées, des projets, des personnes. Le musée a l’énorme privilège de montrer les meilleures productions de l’esprit humain, à ce titre il doit aussi se prévaloir d’une réflexion éthique sur ses pratiques, c’est pourquoi nous avons récemment crée un comité déontologique afin de garantir le respect des normes de conduite des professionnels, des usagers et praticiens du musée (2). Enfin nous célébrons la fin d’un cycle et l’ouverture d’une nouvelle étape de vie, une période qui s’annonce sous les meilleurs auspices car nous voyons émerger à Genève trois projets de grande envergure au même moment : au MAH la tour de verre de Jean Nouvel, la construction de la nouvelle Comédie ainsi que la rénovation et l’extension du Musée d’ethnographie de Genève (3). Cette conjoncture favorable à la culture paraît stimulante et devrait attirer à Genève de nombreux visiteurs.

Propos recueillis par Françoise-Hélène Brou

(1 ) En 1998, Le MAH fait l’objet d’un concours pour sa rénovation et son extension remporté par l’architecte français Jean Nouvel. Le projet verrait notamment le comblement du puits central par un cube en verre. Il offrirait 3 800 m2 supplémentaires sur trois étages. En outre, une salle polyvalente serait installée au rez-de-chaussée ainsi qu’un restaurant panoramique au dernier étage. Une fondation privée s’est constituée dans le but de collecter des fonds privés destinés à financer la moitié du coût du projet estimé à 80 millions de francs suisses. Le 26 novembre 2008, la Commission des monuments, de la nature et des sites (CMNS) a adopté à une large majorité le projet de surélévation et de transformation du Musée d’art et d’histoire (ndlr).

(2) Jean-Yves Marin a participé à l’élaboration du Code de déontologie de L’ICOM (Conseil international des Musées) pour les musées (2006), outil de référence qui fixe les normes minimales de pratiques et de performance professionnelles pour les musées et leur personnel.

(3) Le projet des architectes Graber Pulver a été retenu pour l’agrandissement du Musée d’ethnographie de Genève (une extension du bâtiment de Carl-Vogt). Le projet a été approuvé à l’unanimité par le Conseil municipal le 21 mars 2007.