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Centre Paul Klee & Musée des beaux-arts
Berne : “Vice & Volupté“

De Durer à Nauman, Les sept péchés capitaux s’exposent dans les musées bernois.

Article mis en ligne le décembre 2010
dernière modification le 22 février 2011

par Régine KOPP

Entreprise ambitieuse, nécessitant trois ans de préparation, menée conjointement par le Musée des Beaux-Arts de Berne et le Centre Paul Klee mais aussi réjouissante, car après des années de rivalité sournoise, ces deux importantes institutions artistiques enterrent la hache de guerre et unissent leurs potentiels, construisant ensemble une exposition intitulée Vice et volupté, un thème artistiquement très fécond dans l’histoire de l’art occidental.

Au Musée des Beaux-Arts incombe la tâche de montrer les œuvres concernant les péchés de l’esprit comme la vanité, l’envie, la colère, l’avarice, tandis que le Centre Paul Klee présentent les œuvres autour des péchés de la chair comme la paresse, la gourmandise, la luxure. Une exposition marathon car elle recouvre onze siècles de créations d’une très grande diversité. La représentation des sept péchés capitaux est issue du contexte historico-religieux du passé mais les commissaires de l’exposition ont voulu partir de l’art contemporain, opérant des retours en arrière et des incursions dans l’histoire artistique et culturelle des débordements de la nature humaine. Mais que serait la vie sans le péché ? Les artistes étant les premiers à s’intéresser plus à ce qui n’est pas permis qu’à ce qui est socialement correct.

Une morale supérieure
Le musée des Beaux-Arts introduit le sujet en présentant des cycles iconographiques consacrés aux péchés capitaux. Que ce soit au Moyen-Age la personnification, qui utilise des personnages exemplaires, historiques mais plus souvent bibliques ou la tradition iconographique qui illustrent les vices par des scènes de genre issus de la vie quotidienne de l’époque, comme dans le panneau anversois de la fin du XV° siècle représentant les sept œuvres de miséricorde et les sept péchés capitaux sous forme de jugement dernier, il s’agit avant tout de discipliner les populations chrétiennes au nom d’une morale supérieure. Dans les cycles consacrés aux péchés capitaux aux XVII° et XVIII° siècles, les artistes se servent d’allégories ; au XIX° siècle, les artistes transposent les vices dans la société bourgeoise comme le fait James Ensor, tandis qu’au XX° siècle les artistes introduisent une distance en se servant des formes plastiques les plus variées.
A cet égard, l’installation de Bruce Naumann, présentée sur la façade du musée, accueille le visiteur avec les noms des sept péchés et des sept vertus, qui se superposent et s’illuminent. Dans la section consacrée à Superbia, l’orgueil , qui est le commencement de tous les péchés et englobe la vanité, la présomption, la soif de pouvoir, la construction de la tour de Babel, comme celle imaginée par Joos de Momper, est un thème iconographique prisé dans la peinture flamande. Pour illustrer le thème de l’orgueil, dans son expression sociale de l’arrogance de la classe supérieure, la série photographique Diary of a Victorian Dandy (1998) de Yinca Shonibare se passe de tout commentaire. Le thème de Narcisse est une autre manifestation de Superbia, illustré par Mat Collishaw (1990) se représentant lui-même en Narcisse dans une mare boueuse d’une rue anglaise. En photographiant dans sa série les rich et beautifull people, Martin Parr traite de l’importance de l’auto-admiration de soi. Quant à Invidia, l’envie, le sujet est souvent représenté dans la peinture ancienne par les figures bibliques de Caïn et Abel, de Saül et David, également repris par Otto Dix dans Saül et David (1946). L’artiste en résidence Frances Goodman propose une installation, The Dream (2010), illustrant l’envie de jeunes filles, qui aimeraient avoir ce dont d’autres ne font que rêver. L’Ira, le péché de la colère, comprend aussi bien la rage, la haine que l’acte d’agression verbal ou physique. Dans l’art ancien et surtout chez les Hollandais, ce thème est traité d’un point de vue moralisateur, tandis que chez les Modernes, la colère se révèle être un exutoire. Avaritia, l’avarice et la cupidité, a engendré une très riche iconographie, qui va de la parabole du riche dépravé et du pauvre Lazare dans la Bible jusqu’aux traders sans foi ni loi, dont témoigne la photographie d’Andreas Gursky, qui rend compte de la fièvre à la bourse de Koweit.

Un univers obsessionnel
En choisissant les péchés de la chair, et plus particulièrement celui de la luxure, le Centre Paul Klee entrait dans un univers hard et obsessionnel pour de nombreux artistes contemporains. Si la luxure au Moyen-Age et jusqu’au XIX° siècle ne s’exprime presque jamais en dehors d’un cadre moral, la sexualité n’étant alors qu’au service de la reproduction de l’espèce humaine, il en va tout autrement aujourd’hui.
Les dessins de Sigmar Polke, le film Fuses (1964 :67) de Carolee Schneemann, les aquarelles Porno Blues (1993) de Marlene Dumas, les photographies de Cindy Scherman sont des œuvres, où le sexe (ou l’acte sexuel) est au centre de leur réflexion. L’acedia, la paresse concerne également des notions comme l’écoeurement, le dégoût, la langueur ou l’ennui. Une vidéo révélatrice de cet état d’esprit, réalisée par Bill Viola, nous montre l’apathie liée à la consommation télévisuelle. Dans la peinture plus ancienne, ce péché est souvent mis en relation avec le tabagisme ou l’ivrognerie, comme dans Le Paysan endormi ou Joueurs de cartes dans une taverne d’Adriaen Brouwer.
Autre péché du corps, Gula, la gourmandise, que les artistes comprenaient et exprimaient autrefois comme une consommation excessive de nourriture et de boisson et qui n’a rien perdu de son actualité aujourd’hui : Gilbert et George dans Balls (1972) se focalisent sur l’ivresse des artistes due à leurs excès nocturnes, La Gourmandise (1964) de Varlin montrent des personnages s’adonnant à une bombance de type orgiaque, la vidéo Drunk (1999) de Gillian Wearing parle de tous les vices, sans point de vue moralisateur ou voyeuriste. Bien que la société soit libérée des préceptes religieux, et que les artistes peuvent s’exprimer sans contrainte, les écarts de comportement sont souvent l’objet de plaisanteries, de mépris voir de sanctions.
Le directeur du Musée des Beaux-Arts et celui du Centre Paul Klee viennent d’en faire l’amère expérience, contraints de retirer deux photos de Larry Clark et une peinture (détaillant l’intimité féminine ) de George Grosz, sous peine de poursuite pénale.

Régine Kopp

Exposition jusqu’au 20 février 2011
www.kunstmuseumbern.ch
www.zpk.org