Arts-Scènes
Slogan du site

Cinéma Danse Expositions Musique Opéra Spectacles Théâtre

Galerie TH13, Berne
Berne : Leo Fabrizio, “Paysages archétypaux“

En marge de l’exposition des œuvres de Leo Fabrizio, Scènes Magazine pose trois questions à Paul Cottin.

Article mis en ligne le février 2010
dernière modification le 3 mai 2010

par Régine KOPP

Le nom de ce photographe n’est pas inconnu, et nombreux sont ceux qui connaissent sa série Bunkers, résultat d’une longue enquête qui l’a occupé durant cinq ans à chercher et photographier en Suisse ces bâtiments militaires que l’aspect saugrenu du camouflage métamorphose en décors recréés, transformés en rocher ou en chalet suisse.

Paysages archétypaux 
Aucune carte n’existe pour les répertorier, c’est donc le nez au vent que le photographe a dû travailler. Peu de clichés pour témoigner de ce travail sur le rapport que l’artiste analyse entre l’homme et l’environnement, mais le commissaire de l’exposition Paul Cottin et l’artiste, qui ne souhaitaient pas insister sur le côté anecdotique, ont complété par une projection qui permet de mieux comprendre le cheminement du parcours qu’il a fait : « montrer la fluidité, car c’est comme si nous montrions un calendrier du paysage suisse, comme étant l’archétype du paysage suisse, puisque, si on voulait parler du paysage suisse, on pourrait montrer ces bunkers ».
Tout ceci participe de l’interrogation de l’artiste sur le paysage. Car c’est moins le paysage qui importe que la représentation que nous nous en faisons. Paul Cottin regrette que certains ont tendance à sur-interpréter ce qu’il montre, par une approche politique par exemple, qui nous interrogerait sur les dangers de la mondialisation. Pour lui, seule l’approche anthropologique est pertinente. C’est le rapport de l’homme et de son environnement qui compte, comment l’homme se rêve dans ses bâtiments, c’est la manière dont on se projette dans le monde.
Cette réflexion fondamentale se retrouve aussi dans son travail plus récent, intitulé Dreamworld, également montré dans l’exposition et réalisé en Thaïlande, pays d’où est originaire sa femme et qu’il connaît bien. Cette série montre la destruction progressive d’un habitat traditionnel, remplacé par des zones pavillonnaires construites sur un modèle occidental.
Photographier cette double évolution, tel est le propos de Leo Fabrizio, qui se lit aussi dans deux images qui complètent la série, celle d’une cascade, symbole du paradis terrestre et celle d’un golfe artificiel sur le toit d’un immeuble. A l’époque où il étudiait à l’école cantonale d’art de Lausanne, Leo Fabrizio avait conçu une autre série quasiment peu montrée et à l’origine de sa réflexion : Metallica, premier jalon d’une réflexion élargie à chaque nouvelle expérience du photographe. Metallica est une composition réalisée à partir d’éléments de métal, construite comme un plan d’une ville, puis photographiée. Une construction mentale.

Trompeuse image
De même, dans son travail sur les grands buildings de Chicago et Shangaï, où l’on a du mal à imaginer l’humain, l’image carte postale est trompeuse. Au-delà des questions esthétiques, il est essentiel pour l’artiste de s’interroger sur la préservation de la diversité des sociétés humaines et la sauvegarde du monde naturel dans lequel nos sociétés évoluent. S’il fallait mettre le travail de Leo Fabrizio en résonance avec celui d’un autre artiste, on pourrait suggérer celui de Maria Rebecca Ballestra, présenté actuellement à la galerie KernotArt à Paris.
Son exposition The Future is Near, the Future is now, présente six œuvres-installations inspirées de la perception du futur face aux changements climatiques et aux interventions de l’homme sur la nature. En utilisant divers media comme la vidéo, la sculpture, la photographie, la broderie, l’artiste se pose la question de la précarité à laquelle nos sociétés sont de plus en plus confrontées : précarité des ressources humaines avec sa série photographique, US food patents mais aussi l’avancement des pandémies qui génère trois œuvres très sensibles, ou les cataclysmes qui détruisent les villes, représentés par une grande œuvre photographique, intitulé Casablanca.
Chaque travail décrit un équilibre subtil entre la folie et l’autodestruction, nous invitant à une réflexion profonde sur le destin de nos espèces.

Régine Kopp

Exposition du 19 février 2010 au 30 avril
Theaterplatz 13, Berne
Tél. : + 41 31 312 05 40
Galerie KernotArt, 14 rue Saint-Claude, 75003 Paris, www.kernotart.com

Trois questions à Paul Cottin


Comment allez-vous différencier la galerie TH13 d’autres lieux d’expositions ?
Je ne voudrais pas me cantonner à la seule photographie suisse mais l’ouvrir un peu à l’Allemagne, l’Autriche. J’essaie de rester dans une logique de la photographie qui a une histoire commune par rapport aux écoles, et faire en sorte que les artistes proposés aient à voir quelque chose ensemble. Le deuxième point, qui est aussi un des axes de la fondation d’entreprise d’Hermès, est de montrer une création en action, même si on essaie de retracer le parcours d’un photographe, on essaie d’avoir une partie spécifique. Le troisième élément que j’aimerais développer, c’est inscrire le lieu le plus possible dans l’histoire d’une photographie, faire en sorte que dans le choix des photographes, on ne retrouve pas un seul mouvement, mais être plus représentatif des multiples courants qui traversent aujourd’hui la photographie. C’est vrai que pour la fondation, produire pour le lieu est tout de même un élément important.

Faut-il adapter la programmation au lieu ?
C’est sûr que le lieu par sa configuration compte. Le photographe doit se sentir bien dans un lieu. On ne pourra pas développer d’expositions qui seraient totalement sur ou sous dimensionnées. Je pense que la contrainte d’un lieu, quel qu’il soit, c’est que le propos arrive à être cohérent. La question un peu complexe, quand on montre la photographie aujourd’hui, c’est de ne pas être une succession d’icônes mais de montrer le cheminement d’un artiste et c’est ce cheminement qui doit trouver sa place dans ce lieu. Cela peut obliger certains artistes à réfléchir à la forme dans laquelle ils peuvent présenter leur travail, c’est vraiment un des enjeux. La contrainte d’un lieu en général, pour un artiste c’est de devenir création, il doit réfléchir à la raison pour laquelle il a choisi cette forme-là et ce qui la justifie. L’avantage avec ce lieu, c’est que les artistes sont obligés de se poser la question, pour ne pas dénaturer le choix qu’ils ont fait. Je pense que c’est le travail qu’on va y faire qui va lui donner une identité et de ce fait, il importe peu que cela soit à Berne, Zurich ou Bâle.
C’est autour de ces deux questions, la spécificité du lieu et la spécificité du travail montré dans le parcours de l’artiste, qu’on peut construire une programmation. C’est une année de transition et on va commencer à tisser des liens avec la scène allemande, autrichienne. Ce qui est aussi intéressant, c’est de montrer comment la galerie peut résonner avec d’autres institutions, Bienne, Lausanne, Winterthur. J’ai pour ambition sur le long terme de mettre en place une présentation commune entre deux lieux, utiliser la galerie comme une chambre d’écho.

Quelle est la ligne artistique que vous aimeriez donner ?
Un élément important est le rapport à la nature, un rapport presque anthropologique, c’est un axe intéressant. J’aimerais bien aussi inscrire le travail dans la problématique de l’histoire de la photographie. La photographie est aujourd’hui à un carrefour, où elle est multiple et elle a aussi besoin à un moment donné de savoir quelle est sa place dans une démarche artistique. Sinon, on est davantage dans une démarche de l’art contemporain, tout à fait honorable par ailleurs, mais alors, on n’a pas besoin d’une galerie exclusivement photographique. Il faut forcément à un moment donné qu’on puisse lire l’inscription de ce travail dans une histoire de la photographie, sinon on risque une image très brouillée. Comment les artistes d’aujourd’hui travaillent avec l’héritage pour produire des œuvres. Beaucoup de lieux ont du mal à se positionner par rapport à la photographie. Il faut rejoindre les préoccupations des jeunes photographes aujourd’hui mais qui ont une autre pratique.
Entre le jeune photographe Leo Fabrizio, dont le travail est montré actuellement et Irène Stehli, qui n’est pas une jeune artiste et dont le travail sera montrée ultérieurement, il n’y a pas d’identité formelle mais il y a de vraies préoccupations qui sont communes et contemporaines par rapport à la photographie. Avec Irène Stehli, on va faire découvrir tout un pan de son travail très peu connu mais très contemporain dans la préoccupation. Le danger, si on veut travailler seulement sur les jeunes photographes, c’est que le marché de l’art a tendance à formater la demande en matière d’art, même s’il joue un rôle important mais c’est pourquoi la référence à l’histoire de la photographie est importante, puisqu’elle permet d’avoir une lecture qui ne soit pas juste immédiate et contemporaine et liée au marché.

Propos recueillis par Régine Kopp