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Musée des Beaux-Arts, Berne
Berne : Giovanni Giacometti

Les couleurs de Giovanni Giacometti sont mises en lumière à Berne...

Article mis en ligne le décembre 2009
dernière modification le 23 février 2010

par Régine KOPP

L’actualité récente a fait couler beaucoup d’encre autour des « fils de… ». Mais être « père de … » peut parfois également être un handicap, dans le sens où l’œuvre audacieuse d’un père peut être occultée par celle d’un fils génial.

C’est le cas de l’artiste suisse Giovanni Giacometti (1868-1933) qui a contribué de manière significative au renouvellement de l’art suisse au début du XX° siècle, mais qui a été éclipsé par son fils Alberto et dans une moindre mesure Diego. C’est pourquoi cette rétrospective avec plus de cent tableaux en provenance de musées et de collections privées est une aubaine pour redécouvrir le parcours exceptionnel de cet artiste, qui a repris à son compte les grandes innovations de l’art moderne, naviguant entre impressionnisme, fauvisme et expressionnisme. Afin d’éviter le genre de la rétrospective, la commissaire de l’exposition, Thérèse Bhattacharya-Stettler a placé l’exposition sous l’angle de la lumière.

Pour et par la lumière
Se référant à la correspondance de l’artiste, dans laquelle il souligne « vouloir pénétrer l’essence de la lumière colorée », ajoutant que « la lutte pour la lumière » est pour lui « le moteur de tout son travail ». Que ce soit la lumière claire du jour, le crépuscule ou l’obscurité de la nuit illuminée par la lune ou par des lampes, pour cet artiste tout existe pour et par la lumière. De même la couleur est « expression de la lumière plutôt que motif coloré ». De ce fait, c’est la lumière qui fédère les différentes sections du parcours.
En ouverture, les débuts de Giovanni Giacometti sont évoqués à travers son amitié avec Cuno Amiet, rencontré lors de ses études à Munich et Segantini dont il découvre tout d’abord l’œuvre à l’exposition universelle de 1889 à Paris et qu’il rencontre personnellement à Maloja en 1894. La méthode divisionniste de ce dernier, un pointillisme qui consiste à mélanger des couleurs primaires et complémentaires sans les mélanger, pour intensifier la lumière du tableau, influencera profondément le jeune Giovanni. Plusieurs œuvres exposées dans la première salle en témoigne : Bergers avec moutons (1894) ou Les Foins (1897), un tableau à propos duquel Cuno Amiet reprochera à son ami Giovanni de faire du Segantini. Dans la grande toile, Les Porteuses de pierre (1895/96), on sent l’artiste tendre vers le naturalisme. Deux événements vont réorienter son art : un voyage en Italie où l’expérience de la lumière lui fera éclaircir sa palette mais aussi un peu plus tard en 1899, la mort de Segantini, qui lui permettra de s’émanciper de son modèle, les coups de pinceaux sous forme de hachures faisant place à des taches de couleur plus larges.

Dans un tableau comme Natale (1897), l’artiste reste certes tributaire de la technique divisionniste mais en illuminant les deux visages par la forte lumière d’une lanterne, il réalise qu’il n’a pu obtenir cet effet qu’ « en utilisant généreusement les couleurs vives, parvenant ainsi à la fusion entre formes et lumière… ». Cette puissance de la couleur est aussi ce qui va le distinguer de son mentor et ami Segantini. Une double salle nous montre également l’influence qu’a eue Vincent van Gogh sur les artistes de cette génération. Lors d’une exposition à Zurich en 1908, le critique de la NZZ écrit que Giovanni Giacometti et Cuno Amiet sont non seulement « les confrères artistiques de van Gogh » par leurs « tonalités vives et intactes » mais qu’ « ils nous ont éduqués à l’art de van Gogh ». Il n’échappera cependant à personne, en voyant les natures mortes ou les paysages de Giacometti, que ses coups de pinceau sont plus structurés et moins violents que ceux de van Gogh.
L’affinité avec les Nabis se lit dans une toile comme Soir sur l’alpage (1906), ou L’Arc-en-ciel (1905) dans laquelle on retrouve des principes divisionnistes mais où sont intégrés des éléments de style que nous retrouvons chez Henri Matisse ou André Derain.

Inspiration
A la recherche de sujets de peinture, voir même en expérimentant de nouveaux styles, Giacometti s’est inspiré avant tout de son environnement proche, sa famille et ses enfants : Bruno, Diego, Alberto, Ottilia, dont il existe plus de cent vingt tableaux. Dans Fille qui médite (1913), c’est le portrait de sa fille avec une chevelure rousse sensuelle sur un fond de couleurs très intenses. On est aussi frappé par la richesse des couleurs et des tons du grand tableau La Lampe (1912) qui réunit toute sa famille, éclairée par le blanc éblouissant du halo de la lampe à pétrole au centre de la toile. Son triptyque Enfants de soleil (1913), dans lequel le sujet artistique principal est la lumière rayonnante du soleil représente aussi un hommage à ses enfants. Au centre du parcours, intitulée Ma vision lumineuse, mon rêve d’enfance, le sujet est l’intensité de la lumière qui irradie les personnages. Taches de soleil (1912), Sous le Sureau (1911) ou Enfants au soleil (1910) ont pour sujet les taches de soleil virevoltantes, où les couleurs sont rendues visibles par la réfraction de la lumière.
Vivant de longs hivers au val Bregaglia, Giacometti s’est intéressé aux effets de couleur et de lumière sur des paysages enneigés. Toute une salle témoigne de cette fascination de l’artiste. Dans Brume hivernale (1910), l’œil est immédiatement attiré par la lumière colorée et scintillante qui se reflète sur le champ enneigé. Seul compte pour l’artiste de montrer la propagation de la lumière et l’effet de la couleur, les éléments de la réalité comme une maison s’estompant dans la brume. L’œuvre tardive Forêt en hiver (1930), qui fait penser à Munch, montre des troncs dénudés dans la neige sous un ciel jaune, les accents verticaux tissant un champ structurel abstrait. A la salle de l’hiver aux couleurs retenues succède celle du printemps aux couleurs plus fortes. L’Alouette (1920) est une œuvre représentative de cette période, où l’artiste renonce aux figures et aux objets. La composition est faite de plans colorés, la force des couleurs s’estompant graduellement. La dernière salle, Soleil et ombre, présente quelques œuvres tardives, au cœur desquelles prend place le jeu de l’ombre et de la lumière : Paysage hivernal au soleil perçant (1930) où des surfaces grises, jaunes, blanches sans aucune dimension de profondeur s’enchevêtrent les unes dans les autres, comme dans les Nymphéas du Monet tardif. Une œuvre spectaculaire qui permet de mesurer le chemin parcouru par l’artiste, délaissant la tradition réaliste pour ouvrir sur l’informel de l’art d’après-guerre et l’affirmer comme un innovateur de l’art moderne.

Régine Kopp

www.kunstmuseumbern.ch
Exposition jusqu’au 21 février 2010