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Kunstmuseum de Bâle
Bâle : Wassily Kandinsky

L’exposition du Kunstmuseum de Bâle met en relief une période décisive dans l’évolution artistique de Kandinsky, celle qui le mène vers l’abstraction.

Article mis en ligne le décembre 2006
dernière modification le 15 juillet 2007

par Régine KOPP

Après Londres, où l’exposition a été montrée à la Tate Modern, et que le Times n’a pas hésité à caractériser comme « la meilleure depuis l’ouverture du musée », le Kunstmuseum de Bâle a la grande chance de pouvoir l’accueillir. On ne peut pas à proprement parler d’une rétrospective, l’exposition ne
couvrant que les années de 1908 à 1921, mais une période décisive dans l’évolution artistique de Kandinsky, puisqu’elle le mène vers l’abstraction.

Une soixantaine de toiles ont pu être réunies, incluant quelques prêts exceptionnels, obtenus par les maîtres d’oeuvre de cet événement, Sean Rainbird, le conservateur de la Tate Modern, et Hartwig Fischer, l’actuel directeur du Musée Folkwang d’Essen et l’ancien conservateur du Kunstmuseum de Bâle.

Voies nouvelles
L’exposition commence en 1908, au moment du premier séjour de Kandinsky en Allemagne, alors qu’il a 42 ans. Avec son amie Gabriele Münter, il s’installe à Murnau, un village des préalpes bavaroises. C’est à partir de ce moment-là qu’il explore des voies nouvelles, révolutionnaires pour la postérité. A ce titre, il est intéressant de bien regarder dans la première salle, le même motif dans deux tableaux différents. Dans « Murnau-Route de village » (1908), nous avons une étude de paysage classique, simplifiée et traitée en aplats, dans laquelle les coloris sont violents mais respectent la réalité. Avec ses lignes de fuite, le tableau obéit encore aux règles de la perspective. Dans « Murnau-Kohlgruberstrasse » (1908), la forme et la couleur se libèrent de leur assujettissement à l’objet, la rue se dissout dans un motif à rayures jaune et violet, le champ apparaît en bleu et en rouge. Le processus pictural évolue.

Chocs artistiques
Ce que cherche Kandinsky, c’est créer des résonances de couleur qui correspondent à certains états psychiques, comme dans la musique qui déclenche un flot de sensations chez l’auditeur. Deux chocs artistiques marqueront d’ailleurs Kandinsky et le pousseront à traquer cette résonance intérieure : la série des « Cathédrales » de Monet et « Lohengrin » de Wagner.
C’est aussi par analogie avec des concepts musicaux que Kandinsky intitule ses tableaux, impressions, improvisations et compositions, ce dont il s’est expliqué dans son ouvrage fondamental « Du spirituel dans l’art ». « L’Etude pour improvisation 2 » (1909) qui s’inspire de la « Marche funèbre » de Chopin, transpose en couleurs et en formes les impressions d’ensemble de l’œuvre musicale dans un langage pictural radicalisé.

Thèmes d’origine religieuse
Dans les années 1910 à 1912, Kandinsky poursuit de manière décisive le développement de son langage formel, et recourt à des thèmes souvent d’origine religieuse comme le Déluge, le Jugement Dernier qui se traduisent dans ses œuvres comme « Déluge 1 » par des espaces qui s’effondrent et par des tourbillons convulsés de couleurs.
Le cheval et le cavalier deviennent un motif déterminant dans son œuvre. Dans « Lyrique » (1911), Kandinsky esquisse un cavalier au grand galop et dans « Cosaques » (1911), les cavaliers apparaissent sous une forme stylisée.
En 1913 et 1914, Kandinsky réalise en grand format ses nouvelles découvertes picturales. Composition VII, prêté par la galerie Tretiakov de Moscou et que l’artiste tenait pour une de ses œuvres essentielles est une œuvre bouleversante. Avec des forces dans les formes et les couleurs qu’on ne soupçonne pas. Il s’agit en fait d’un tableau complexe comptant plus de trente études avant l’exécution finale que Kandinsky réalisera en trois jours mais aussi énigmatique avec une diagonale allant de gauche à droite, qui s’interprète comme une ligne harmonieuse autour de laquelle se développe une multitude de possibilités.

Transition
Quand la guerre éclate en 1914, Kandinsky est contraint de rentrer en Russie et vit l’expérience de la Révolution, en tant qu’artiste engagé. Mais il est trop indépendant et son credo artistique, qui fait, de l’intuition et de la subjectivité les forces créatrices essentielles, est incompatible avec l’art révolutionnaire. En 1921, profitant d’une invitation de Gropius pour enseigner au Bauhaus, il repart en Allemagne. L’avant-dernière salle, présente quelques-unes de ses œuvres de ses années russes. « Moscou, Place rouge » (1916) introduit des éléments figuratifs dans les parties abstraites mais impressionne surtout par une atmosphère d’apocalypse ressentie par la situation chaotique vécue en Russie. Les tons de noir et de gris dominent dans les œuvres de cette période. « Troublé », « Ovale gris » et « Crépuscule » de 1917 sont construits tous trois à partir d’un fond sombre. Aux lignes noires, Kandinsky oppose du blanc et des couleurs vives qui déploient par contraste une luminosité singulière. Alors qu’il est encore à Moscou, on voit se dessiner dans ses travaux une transition qui le fait passer d’une figuration romantique expressive à la clarté d’éléments agencés avec une rigueur toute géométrique. « Centre blanc » (1921) montre les premiers indices d’une géométrisation de son langage formel. Et cela saute encore davantage aux yeux dans « Cercles sur noir » (1921) où les formes géométriques sont le sujet même de la composition.
A l’occasion de l’exposition Neue Küstler-vereinigung en 1910 à la galerie Thannhauser de Munich, une ville qui est alors le centre européen de l’avant-garde artistique, Franz Marc, le peintre et proche de Kandinsky écrit : « dommage que l’on ne puisse accrocher une des grandes compositions de Kandinsky à côté de tapis musulmans ! Une comparaison qui serait riche d’enseignement. Nous n’avons aucune œuvre décorative en Allemagne que nous pourrions y placer. Tentons-le avec les compositions de Kandinsky, elles tiendront le choc et non pas comme tapis mais tableaux…. La grande conséquence de ses couleurs résistera à sa liberté artistique, n’est-ce pas là, la définition de la peinture ? »
Raison suffisante pour ne pas manquer cette exposition qui place Kandinsky comme le pionnier de l’abstraction.

Régine Kopp

Exposition jusqu’au 4 février 2007

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