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Fondation Beyeler, Riehen
Bâle-Riehen : Vienne 1900

Vienne 1900 : l’œuvre d’art totale, une utopie artistique ?

Article mis en ligne le novembre 2010
dernière modification le 12 décembre 2011

par Régine KOPP

Une fois n’est pas coutume, les artistes de la Sécession viennoise et de la Wiener Werkstätte viennent d’investir l’espace de la fondation Beyeler. Une idée qui peut paraître à première vue saugrenue dans ce lieu, puisque la collection telle que l’a construite Ernst Beyeler ne détient aucun de ces artistes.

Mais nous savons tous combien une œuvre qu’elle soit artistique, littéraire ou musicale existe en fonction de l’interprétation qu’on lui donne. Pour la commissaire autrichienne de l’exposition Vienne 1900, Barbara Steffen, mais aussi pour Sam Keller, le directeur de la fondation, c’est avec ces mouvements artistiques viennois du début du siècle dernier que naît l’art moderne.

L’air du temps
C’est ce qu’ils tentent de montrer tout le long du parcours de l’exposition avec plus de deux cents objets, composés de toiles, dessins, meubles, argenterie, maquettes d’architectures mais qui ne suffiront peut-être pas à convaincre entièrement le visiteur. L’exposition ne veut cependant pas seulement montrer, elle aspire aussi à nous plonger dans l’air du temps, soit en reconstituant par exemple avec quelques éléments le cabaret Fledermaus (imaginé par Josef Hoffmann dans l’esprit de l’œuvre d’art totale), ou en intégrant au parcours du mobilier et des objets du quotidien créés par les artistes de l’époque mais aussi en invitant le visiteur dans la salle du sous-sol à déguster les spécialités d’un café viennois.
D’un point de vue chronologique, l’exposition commence avec la fondation de la Sécession (1898) et prend fin avec la Première Guerre mondiale (1918), année qui correspond aussi à la mort de Klimt. Klimt, qui fut en 1898 le premier président de la Sécession viennoise, occupe bien sûr une place importante dans l’exposition. Plus de dessins que de toiles mais certains méritent d’être longuement contemplés, car la délicatesse du trait de crayon et du fusain témoigne du talent de l’artiste, comme ce Buste d’homme de profil (1887), ou l’Homme au chapeau(1887) ou encore une Jeune fille avec chapeau et cape de profil (1887/88). Ses portraits de femme réalisés dans un style pictural ornementé sont connus et bien que certaines œuvres essentielles, ayant valeur d’icônes fassent défaut, les œuvres prêtées comme Les poissons d’argent (1899), Judith II (1909), La Danseuse (1916/18), toutes ces œuvres permettront d’apprécier l’apport original de l’artiste dans la composition plane du tableau et le schéma chromatique coloriste. Il en va de même avec plusieurs des paysages de Klimt dont Attersee (1901) et Un orage se prépare (1903), où les compositions chromatiques montrent un artiste qui s’engage assez loin dans la voie de l’art non figuratif. Des œuvres prêtées par le musée Léopold de Vienne, principal contributeur de l’exposition, auquel s’ajoute la collection Kamm de Zug, qui conserve quelques très beaux paysages mais également une belle collection de dessins.

Forces intérieures
Pour visualiser la Sécession viennoise, construite en 1898 c’est une grande maquette d’architecture reproduisant l’édifice, qui est exposée. A l’intérieur, Klimt avait créé une frise longue de trente-quatre mètres, s’inspirant de l’Ode à la joie de Beethoven et comportant l’idée de la rédemption par l’art. Une réplique de cette frise Beethoven a été reconstituée dans le foyer et accueille le visiteur. Klimt a été le mentor d’Oskar Kokoschka et surtout d’Egon Schiele, qui ont suivi une évolution artistique différente, s’éloignant de l’œuvre d’art totale et se tournant vers l’expressionnisme naissant. L’exposition présente une vingtaine de toiles et plus de cinquante œuvres sur papier d’Egon Schiele. Il est vrai que le fondateur du musée Léopold s’était principalement intéressé à cet artiste, qui dépeint une humanité en proie à la peur, à la mélancolie et n’hésite pas à traiter de la sexualité dans ses œuvres, exposées à la fondation dans un espace réservé, le cabinet de dessins érotiques. Contrairement à Klimt, Schiele s’est affranchi de toute esthétisation, le corps n’est pas noyé dans l’ornemental ou les motifs abstraits de la couleur mais montre sa vérité nue. Une vingtaine de toiles dont quelques chefs-d’œuvre comme certains autoportraits (Autoportrait à la tête inclinée, 1912), mais aussi le portrait d’Erich Lederer (1912/13), Les Ermites (1912) ou Le cardinal et la religieuse (1912) montrent que l’artiste se concentre sur les expressions du visage, cherchant à révéler les forces intérieures et à exprimer les corps tourmentés par la maladie, la peur, la vieillesse.
Une série d’aquarelles de nus et quelques œuvres peintes d’Oskar Kokoschka montrent la filiation spirituelle de cet artiste avec Schiele, cherchant la vérité intérieure de l’être et peignant la part de fragilité de son modèle. Ces années 1900 à Vienne sont aussi celles d’une révolution musicale. L’exposition présente des portraits que Kokoschka réalisa des compositeurs Anton von Webern et Arnold Schönberg, peints également par Egon Schiele mais absents de l’exposition, alors qu’il aurait été intéressant de les réunir.
Quant à Schönberg, qui a également touché à la peinture, mais plus en peintre du dimanche, son œuvre occupe une place à part. Ses autoportraits ou les portraits de sa femme Mathilde, qui cherchent avant tout à exprimer la profondeur de l’être, « une reproduction nue de la perception psychique », ils rappellent dans leur facture certains tableaux de Munch, le génie en moins.
Dans le sillage de Schönberg, on songe à un autre artiste, également à découvrir dans l’exposition, Richard Gerstl qui côtoyait le groupe de musiciens viennois, Webern, Berg, Zemlinsky et avait fait de la femme de Schönberg, sa maîtresse, une relation qui finira mal pour lui, puisqu’il se suicidera. C’est lui qui avait enseigné la peinture à Schönberg. Son Portrait de groupe avec Schönberg (1907) est considérée comme une œuvre majeure, dans laquelle il anéantit la notion de portrait, puisque derrière la profusion des couleurs appliquées en pleine pâte, on ne peut que deviner certaines figures, d’autres étant méconnaissables. Il en va de même de ses paysages, où dominent les verts et les bleus mais peu identifiables.

Nouvelles orientations
A côté de ces artistes-peintres, il y tous ceux qui veulent renouveler l’art dans le domaine de l’art décoratif et créent en 1903 la Wiener Werkstätte, un collectif d’artistes et d’artisans dont font partie Koloman Moser, Josef Hoffmann. Toute une salle présente ces productions nouvelles qui vont du mobilier à l’argenterie en passant par les bijoux ou la verrerie.
La vitrine en argent de Otto Czeschka (1908), appartenant à une collection privée a été exceptionnellement prêtée et même si elle ne correspond pas à notre goût d’aujourd’hui, elle est une pièce d’anthologie. Koloman Moser est le plus complet des artistes et travaille aussi bien comme peintre, sculpteur, créateur de meubles, artisan d’art. Son vaisselier La pêche abondante (1901/02) ainsi que le Cadre (1901) ou ses objets en argent surprennent par la simplicité de leurs lignes.
L’activité architecturale de la Vienne 1900 est représentée d’une part par Otto Wagner, pour qui le critère essentiel était la fonctionnalité mais aussi l’utilisation de matériaux modernes comme le béton armé, l’aluminium. C’est sous forme de photos mais aussi de maquettes que l’on peut voir ses réalisations, la Caisse d’Epargne de la Poste et l’église Saint-Léopold am Steinhof (1905/06). Même sensibilité pour Adolf Loos, pionnier de l’architecture moderne, qui prône la simplicité et la fonctionnalité et dont témoigne sa maison – qui fit scandale à l’époque - aux lignes empreintes d’un formalisme exemplaire, présentée sous forme de maquette.
L’exposition prend fin avec l’année 1918, mais le triomphe du fonctionnel sur l’ornemental, la fusion de différents genres artistiques, le rapprochement entre les beaux-arts et les arts appliqués, toutes ces nouvelles orientations influenceront durablement l’évolution de l’art et s’affirmeront avec le Bauhaus.

Régine Kopp

Exposition jusqu’au 16 janvier 2011. Le musée est ouvert tous les jours de 10h00 à 18h00.
www.beyeler.com