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Fondation Beyeler, Riehen
Bâle : Giacometti

Avec les œuvres de Giacometti, la Fondation Beyeler propose une exposition qui suscite autant d’intérêt que les paysages de Van Gogh.

Article mis en ligne le juillet 2009
dernière modification le 18 octobre 2009

par Régine KOPP

On sait combien la ville de Bâle revendique son statut de ville de culture. La Fondation Beyeler, qui joue dans la même ligue que le Kunstmuseum, propose une exposition d’été – aussi incontournable que celle de Van Gogh qui attire les foules – centrée sur l’œuvre de Giacometti.

Une chorégraphie des œuvres de Giacometti
Il y a longtemps que cette exposition était dans le pipe line de la fondation. D’une part, Ernst Beyeler a eu, tout au long de sa carrière de galeriste, des rapports privilégiés avec l’artiste et d’autre part, l’architecture de la fondation semblait un lieu prédestiné pour mettre en scène une exposition Giacometti. Rappelons que c’est grâce à l’entremise d’Ernst Beyeler que l’ensemble des œuvres de Giacometti collectionnées par l’industriel de Pittsburgh David Thompson et vendues au galeriste Beyeler, a pu rester en Suisse et constituer le fondement de la Fondation Giacometti de Zurich. Plus de trois cents œuvres auront passé par les mains du galeriste, qui lui a consacré une salle de la collection permanente de la fondation.
L’exposition de cet été présente cent cinquante œuvres majeures, représentatives de toutes les périodes de création de l’artiste et de tous les genres, sculptures, peintures et dessins, provenant de collections du monde entier. Plutôt qu’une rétrospective, ce sont trois thèmes qui servent de fil conducteur à l’exposition : la famille, le Val Bregaglia, l’atelier. L’exposition prenant pour thème la perception des figures dans l’espace et des corps en mouvement, laisse le visiteur déambuler entre ces figures de façon à ressentir combien elles sont en mouvement. Toute sa vie, Alberto a eu des liens très étroits avec sa famille. Avec son père tout d’abord, Giovanni, contemporain et ami de Ferdinand Hodler, Cuno Amiet et Segantini et qui fut aussi son premier professeur et a encouragé très tôt son talent. Une première salle est consacrée aux œuvres du père. A ce titre, La Lampe (1912), une œuvre aux couleurs fortes, rassemblant la famille Giacometti le soir, autour de la table, est significative. Pour Giovanni comme pour Alberto, tous les membres de la famille comptaient et tous ont servi de modèle, mais aussi l’autoportrait était un genre important pour le père et le fils. Trois portraits peints par Alberto, celui de Diego (1922), d’Ottilia (1920) et un autoportrait (1921) montre un artiste sûr de lui et plein d’assurance. Jusque dans les années 1920, Alberto est marqué par la palette de couleurs et la technique picturale de son père.

Transition
La rupture intervient avec son départ pour Paris en 1922, rejoint en 1925 par son frère Diego. Il cherche d’autres voies, travaillant sur l’idée d’unité de temps et de l’espace. Le mouvement représenté est également lié à l’instant où il se produit, ainsi qu’à l’espace qu’il parcourt. L’aspect ludique de l’art, tel qu’il l’avait vécu à proximité de l’atelier de son père à Stampa et que l’on retrouve dans les objets cinétiques de l’époque surréaliste entre les années 1920 et 1930, marque le point de départ de cette nouvelle conception devenue essentielle pour l’art d’Alberto. Plusieurs de ces objets tant admirés par les surréalistes et qui paraphrasent l’élément du jeu, figurent dans l’exposition : Boule suspendue (1930/1931), Cube (1933) qu’Alberto considérait comme son unique création abstraite et la sculpture érotique Homme et femme (1928/1929) où l’élément masculin agressif contraste avec l’élément féminin. Pour gagner sa vie à Paris, Alberto a créé des lampes, des vases et d’autres objets design, très souvent en collaboration avec Diego. Tout un intérieur a donc été reconstitué avec ces objets et les meubles.
Au début des années 1940, installé à Genève, Giacometti traverse une grave crise artistique, n’arrivant plus à créer de figures qu’aux dimensions exactes définies par sa perception subjective et par la distance entre la figure et sa position personnelle. Des figures de plus en plus minuscules : Petit homme sur socle (1940/1941), figure de 2,5 cm de haut, posé sur un cube, trône tout seul dans une des salles du parcours ; bien que très petite, elle engendre un effet monumental. C’est en poursuivant sa quête artistique, qu’Alberto abandonnera la miniaturisation et réalisera de grandes figures sculptées, comme la Femme au chariot. Ce qui est décisif, c’est la voiture, un jouet d’enfant, sur laquelle est posé le personnage et qui peut être déplacé, parce qu’il est sur des roulettes, rendant variable la distance entre lui, en tant qu’objet et le moi qui perçoit, autrement dit l’artiste. La contrainte de la distance arrêtée est ainsi supprimée. Cette figure constitue d’ailleurs une œuvre clef de la transition vers l’œuvre tardive de l’artiste. L’exposition montre non seulement la version en bronze, mais aussi celle en plâtre, ainsi que la très impressionnante image retirée du mur, lors du déménagement de l’atelier.

Reproduire l’essence intérieure
La grande salle qui réunit l’œuvre tardive de l’artiste est somptueuse avec ses figures de femmes debout, aux corps condensés en quelques signes existentiels, aux surfaces et aux contours rugueux qui rendent toute appréhension exacte, difficile.
Alberto avait trouvé dans l’étirement extrême de la figure un moyen de représenter le mouvement et de résoudre ainsi un de ses problèmes majeurs, qui le hantait depuis longtemps. A la différence des hommes qui marchent, ses figures féminines sont presque toutes immobiles mais l’immobilité n’est qu’un moment fugace. Très proche de son frère Diego, Alberto a réalisé plusieurs bustes et portraits de lui, exposés dans la dernière salle. Grande tête de Diego (1954) est une sculpture fascinante par sa dynamique. A la fois, en deux et trois dimensions : de face, elle est presque privée de volume, alors que les épaules sont bien posées, de côté, les épaules sont à peine esquissées, alors que la tête est parfaitement travaillée. Un processus qui semblait satisfaire l’artiste puisqu’il ne reproduisait pas seulement l’extérieur mais aussi l’essence intérieure de son modèle.
Par la qualité des œuvres sélectionnées mais aussi leur mise en espace dans un lieu à l’architecture simple et belle, que l’artiste aurait sans aucun doute aimé, cette exposition promet d’être un des temps forts du calendrier culturel européen.

Régine Kopp

Jusqu’au 11 octobre 2009, www.beyeler.com