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Rencontres de la photographie, Arles
Arles : Rencontres de la photographie
Article mis en ligne le juillet 2007
dernière modification le 4 août 2007

par Bertrand TAPPOLET

Pour cette 38e édition, l’image réalise un focus sur l’Asie, tout en faisant la part belle à des démarches qui viennent croiser les arts plastiques. D’un décloisonnement toujours plus grand entre les champs de production émerge une expression photographique plurielle, voire même éclatée aux confins de plusieurs arts.

Tout en non-dit et volutes mystérieuses émanant des lieux et d’êtres adolescents, la Française Laura Henno explore ces étranges contours où se condensent désir, clair-obscur et hallucination d’un au-delà des corps et des images. La photographe poétise la géographie du corps féminin, le vêtant de blanc comme un avant-goût de linceul, dans un entre-deux où le visage souvent se dérobe, où le corps est engagé de dos sur les rives d’un territoire naturel à la fois hostile et ensorcelant. Elle secrète un "faire voir" empli de correspondances souterraines, de temps suspendu avant le surgissement d’un possible cataclysme. Au cœur d’une quête labyrinthique, l’instantané, mélange d’éphémère et d’éternité, condense aussi l’inattendu de ce qui enivre un regard. À cette intimité douce, à ce calme regard porté sur les êtres dont le portrait ne surface aucune psychologie, Henno adjoint un élément distanciateur, la conscience aiguë d’un environnement, force invisible qui guide les pas et le regard, sorte de servitude volontaire à un ailleurs. "Les images oscillent ainsi entre fragilité, tension, poésie et inquiétude, dans des mises en scène privilégiant la relation de l’individu à son environnement, relève l’artiste. La notion de la figure dans le lieu demeure en effet un terrain de recherches privilégié dans mon travail. Lieu clos et étriqué, espace intérieur, intime et privé ou environnement paysager ; le lieu entretient un rapport singulier avec mes personnages révélant une certaine tension. Je recherche ces moments de vulnérabilité chez les êtres qui peuvent êtres intensifiés par un contexte particulier, qu’il soit domestique ou inattendu." Si la lumière du jour enveloppe, suivant les compositions, les personnages d’une façon pouvant rappeler la peinture flamande, la mélancolie semble estamper ces images de l’entre-deux. Sensibles à l’évaporation de l’être, à ces instants improbables d’extrême fragilité et de doute traversés d’une gestuelle arrêtée ou à peine esquissée, les présences se révèlent immobiles, incertaines et tiennent lieu à la fois de traces et de préludes à la pénombre qui les colonise.

Réel documenté
Repéré par Cartier-Bresson dont le sens de la réalité influencera plusieurs générations de photographes, Raghu Rai, né en 1942 au Pakistan, est membre de l’agence Magnum depuis 1977. En son regard, la photographie est bien ce "miroir que l’on promène le long d’un chemin" qu’évoquait Stendhal pour définir le roman. Ses images de l’Inde, célèbres dans le monde entier, sont souvent ourlées d’optimisme et témoignent de sa familiarité avec la vie spirituelle du sous-continent. Il s’intéresse, dans un premier temps, à l’Inde dans ses dimensions sociale, politique et culturelle. Puis, il décide de couvrir son pays de la façon la plus exhaustive possible. Depuis 1984, il réalise pour Amnesty International et pour Greenpeace qui fait campagne pour la justice à Bhopal et contre DOW Chemical, dont le siège européen est en Suisse, des reportages sur la catastrophe et le crime industriel de l’usine chimique de Bhopal, aujourd’hui cité d’affaires, et ses conséquences pour ses survivants atteints de maladies chroniques. Un travail au long cours de vingt ans au cours duquel il a capturé, dans les plis d’émouvantes images, les soubresauts d’une communauté en état de choc. "L’Inde comprend des paysages très diversifiés et différents climats, en plus d’être une société religieuse multiculturelle et plurilingue, son aspect le plus intriguant est que plusieurs siècles ont appris à y vivre côte à côte, en même temps, affirme Rai. Les images doivent donc exprimer cette complexité à travers une expérience multicouche. Et au mieux, une image est une « photo-histoire » de notre temps." Parlant de la prise photographique en Inde proche parfois d’une captation de flux et reflux, il note : "Je me tiens au milieu de ce déluge humain, tentant de dénouer l’entrelacs et le jaillissement de couleurs variées, la myriade de nuances de chaque émotion, animé par chaque chargement et rechargement."
 

Un laboureur fait la sieste sur un marché animé, Chawri Bazar, Delhi, Raghu Rai, 2005

Ruines de Chine
D’emblée, Huang Rui, membre de longue date de l’avant-garde artistique chinoise et l’une des figures à l’origine du développement du fameux 798 Dashanzi, lieu central de l’art contemporain à Beijing, choisi de nous présenter le portrait sans concession d’une Chine à la dérive. Une société en pleine désagrégation, où les utopies politiques ont fait place à l’ère du réalisme profiteur. Un monde où tout des murs aux personnes se retrouve sali, souillé, détruit par ce qui l’entoure. Les corps, les vêtements et les lieux ont en commun les stigmates d’un délabrement profond. On peut d’ailleurs rapprocher Rui d’un cinéaste comme Wang Chao (L’Orphelin d’Anyang). Il est témoin de métamorphoses urbaines avec leur lot de démolitions des hutongs (vieilles rues). Elles ne modifient pas seulement la physionomie de Pékin, mais minent sa trame sociale depuis la famille éclatée jusqu’à l’installation massive d’ouvriers migrants. Face à une histoire chinoise essentiellement élitiste, nous nous retrouvons à mille lieux de la propagande et de l’exotisme suranné que l’on nous sert en vue des Jeux Olympiques. Balancée entre texte-slogan et mémoire, les photos en forme de "dazibaos" de Hang Rui dégagent une étrange impression de réalité figée dans une désolation, comme un désert aussi beau soit-il privé de son essence. Sur de grandes surfaces, Huang Rui invente un slogan en rapprochant le mot anglais "China" aux caractères "chai-na", littéralement "démolition-ici" qui ont la même prononciation en chinois. L’autre moitié de la toile est occupée par les photos prises à Pékin depuis 2001, dont une demeure à cour en démembrement, un chantier. "Sur une page blanche on peut écrire les plus beaux caractères" : cette phrase de Mao remonte à 1942 et hante toute l’œuvre de Rui. Sur la corde raide entre la chronique sociale et la réflexion douce-amère sur la mémoire, son travail ne cesse de revenir sur le sens de cette volonté de faire table rase que cet artiste transversal (il convoque, dans son travail, photographie, peinture, performance et installation) situe dans le projet de modernisation qui a dominé le XXe siècle chinois.

Bertrand Tappolet

Rencontres de la photographie, Arles, 3 juillet-16 septembre
Catalogue publié aux Editions Actes Sud
Rens. : 00334 90 96 76 06