Arts-Scènes
Slogan du site

Cinéma Danse Expositions Musique Opéra Spectacles Théâtre

Rencontres de la photographie, Arles
Arles : Histoire de ruptures

Avec plus de 60 expositions, les Rencontres de la photographie 2009 ont de quoi séduire tous les publics.

Article mis en ligne le juillet 2009
dernière modification le 13 septembre 2009

par Bertrand TAPPOLET

La 40e édition des Rencontres de la photographie en Arles, qui se déroule du 7 juillet au 13 septembre, est placée sous la dimension de “40 ans de Rencontres,
40 ans de ruptures” et offre aux visiteurs plus de 60 expositions.

La marginalité révélée
Star de la photographie intimiste traversant la came, la violence, le sexe et la mort, Nan Goldin revient avec sa Ballad of Sexual Dependency présentée sous forme de diaporama ourlé par la musique du Velvet Underground. Chronique de sa bande d’amis à New York entre la fin des années 70 et les années 80, cette série possède une force émotionnelle exceptionnelle grâce à cette incursion dans l’intime parfois recomposé sous des lumières palpitantes et un jeu de regards qui en font des modèles de compositions.
Chaudes lumières nocturnes urbaines, lueurs tamisées d’appartement, sourires graves, lendemains de fêtes difficiles, couples sous tension, regards tuméfiés ou songeurs, dope fun, dope triste sont autant d’instants que la photographe saisit non sans une théâtralité affirmée. Dans ce qui est un périple entre autofiction et témoignage, Nan Goldin n’adopte pas une posture voyeuriste. Sa qualité ? Se situer à la lisère poreuse entre poésie et roman-photo, entre la photographie plasticienne, d’art et la photo d’amateur.
Nan Goldin a fait le choix de mettre en lumière plusieurs démarches photographiques, dont celle signée Jean-Christian Bourcart. Qui pose son objectif à Camden dans le New Jersey. Images de lesbiennes prolétaires s’embrassant sur la bouche, visage éthéré de junkies noirs, sans-abri en lisière d’une image dévoilant l’incroyable amoncellement d’objets et d’effets hétéroclites. Le photographe a cherché sur internet « la ville la plus dangereuse des États-Unis ». À deux heures de New York, c’est la vraie zone entre chien et loup, émaillée de corps en déshérence coincés entre industrie toxique, commerce sexuel et bâtisses de fortune. Bourcart fait continument retour à cette cité ravagée par la crise économique tout en ne cherchant pas à documenter à tout prix.

Narration
Photographe né en 1932 en Pennsylvanie, Duane Michals a l’habitude d’écrire en regard de ses photographies. L’un de ses instantanés représentant au premier plan un fils au beau profil renfermé et flou et, en second rideau, ses deux parents, vus de face, est ainsi accompagné d’un texte : « J’ai toujours espéré que mon père m’écrive un jour une lettre pour me dire où il avait caché son amour pour moi. Puis il est mort et je n’ai jamais reçu la lettre... » Le texte, qui ne se réduit pas une légende, ouvre à un questionnement prolongeant la portée de l’image. La photographie est ici un art du double jusqu’au vertige des identités. Si le père est bien le père de Michals, le jeune homme ce n’est pas lui, c’est son frère, qui est devenu psychiatre. Dans cette œuvre qui croise des thématiques telles que l’amour, l’innocence ou la perte, les mots sont importants tant ils font partie de l’œuvre.

Photojournaliste réputé, l’Américain Eugene Richards a parcouru les vastes plaines de l’ouest des États-Unis pendant trois ans et demi. Au détour de la série « La Chambre bleue », il montre des photos de maisons délaissées, en état de décrépitude avancée, perdues dans des lieux écartés de toute vie. Et pourtant c’est un humanisme qui sourd derrière ces vues désolées, les souvenirs composent un étrange ballet, une réflexion sur le caractère éphémère, fragile de toute existence. De cette méditation sur la mémoire passée à l’encre pastel de la mélancolie se dégage de troubles résonnances en ces temps de crise économique. Avec un nombre toujours croissant d’Américains jetés à la rue. Un regard poignant sur des sujets universaux : la trace des hommes, l’abandon et le changement.

Lynchage
Dans l’Amérique, le nécessaire devoir d’histoire passe par une confrontation avec le lynchage devenu une image propagande sous forme de cartes postales ou de photographies-souvenirs. Ces instantanés de corps violentés étaient très largement vendus à la foule qui assistait au supplice. Des images regroupées sous le titre « Sans sanctuaire », une exposition déjà présentée en 2000 à New York. A en croire le récit historique, l’atmosphère semblait carnavalesque, dans ce qui constituait une attraction morbide annoncée à l’avance et drainant des milliers de badauds de la région. Des atrocités commises au nom du maintien d’un ordre social et racial et de « la pureté de la race anglo-saxonne ».

Ces images de lynchage sortent des greniers de l’Amérique profonde et de ses albums de famille. Ces corps exhibés, suppliciés, fouettés, écorchés, lacérés, mutilés, brûlés vifs sont ceux de jeunes noirs dans leur majorité. En réalité, on lynchait aussi bien les femmes (61 entre 1889 et 1918) et les enfants, comme en témoigne la photo de Laura Nelson, pendue en 1911 à un pont de l’Oklahoma avec son fils de quatorze ans dont elle avait pris la défense. Le délit reste souvent obscur : avoir offensé la suprématie blanche, une dispute, des insultes, un témoignage à charge contre un Blanc, pouvait conduire à la potence. Omniprésente, la foule pose aux pieds des pendus, et en garde les images comme autant de trophées et de titres honorifiques.

Bertrand Tappolet

Rencontres de la photographie, Arles, 7 juillet-13 septembre.
Rens. : www.rencontres-arles.com