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39e Rencontres de la photographie, Arles
Arles : 39e Rencontres de la photographie

Les 39e Rencontres de la photographie sont à la fois ouvertes sur la création contemporaine et respectueuses de l’histoire de la photographie.

Article mis en ligne le juillet 2008
dernière modification le 14 septembre 2008

par Bertrand TAPPOLET

Tournées vers l’international, les 39e Rencontres de la photographie demeurent ancrées à Arles. Visibles du 8 juillet au 13 septembre, elles sont à la fois ouvertes sur la création contemporaine et respectueuses de l’histoire de la photographie. Le choix du styliste d’origine arlésienne Christian Lacroix comme pivot de la programmation s’inscrit dans ces dimensions.

Images multiples
« La mode, aujourd’hui, n’est plus un luxe esthétique et périphérique de la vie collective, écrit le philosophe Gilles Lipovetsky dans« L’Empire de l’éphémère », elle est devenue un procès général à l’œuvre dans le tout social qui commande la production et la consommation des objets, la publicité, la culture, les média, les changements idéologiques et sociaux. »
Lacroix lui, avoue une passion précoce pour l’image sur support papier : « Graphismes, dessins, gravures, daguerréotypes, photos de famille, magazines, tout me fascinait, me donnait de plus en plus faim d’images. C’était aussi, je pense, un rempart contre ce qui, dans le réel, pouvait m’effrayer. Capturer les choses, les gens et les faits, tels des insectes, dans le glacis des pages ou des épreuves était une façon de les apprivoiser ou de les rendre bénéfiques en s’appropriant leur énergie. » Avec l’apparition du numérique dont l’abord s’est démocratisé, il développe ce désir de «  de témoigner, documenter, collecter ». Voir autrement, avec ou contre son époque. Les cinquante artistes conviés donnent notamment « leur version de ce qui, au-delà d’un défilé, d’un décor, d’une robe, d’une parure, d’un corps, d’un visage, d’une gestuelle, d’un cliché, nous parle d’identité, de présence, d’absence, de « petite-mort », de vie, de vide, d’hier, de maintenant, d’ici, d’ailleurs. »

Modes et revenants
Le photographe américain Richard Avedon fait l’objet d’un surprenant conte photographique alignant les saynètes ou tableautins aux couleurs chamarrées publié en novembre 1995 dans les colonnes du New Yorker. On y croise l’univers d’écrivains de la désolation tels Burroughs ou Mc Inerney. Sur fond de palissades de bois délabrées, Avedon scénarise un mannequin tout en lignes d’une sidérante fluidité tenant parfois une poupée mafflue au crâne ouvert. Le top model est flanqué d’un squelette, revêtu tour à tour d’un veston d’un bleu électrique et pailleté ou jouant le photographe aux côtés de la Belle comme dans les Ars Moriandi ou les japonaises statuettes netsuke.

Dispositif qui n’est pas sans cruauté et qui atteint parfois au sublime ou au pathétique. Que cette mort annoncée lui tende le miroir de son propre devenir blanchi jusqu’à l’os ou qu’il actionne un appareil à soufflet pour se révéler à l’image avec le vivant, c’est une poignante et caustique réflexion sur la vanité de toute chose promise, dès son flamboiement, à sa disparition. Ces instantanés rappellent qu’Avedon domina la photographie de mode dès les années 50 dans sa recherche tendue, exigeante de simplicité, d’épure. Il fait poser ses modèles dans un studio dénudé, un fond blanc derrière eux, baigné dans une lumière plate, austère pour mieux se cristalliser sur l’analyse au scalpel du mouvement dégagé de toute narrativité. Grand portraitiste, il se penche aussi sur la « géographie émotionnelle » du visage et du corps.
L’exposition a partie liée avec la mort qui vient. Cette fin colonise jusqu’à la vie et rappelle aussi comme en creux une série de sept portraits qu’Avedon tira de son propre père de 1969 à 1973 et qui montrent sur les traits du visage de cet octogénaire la progression terrible du cancer qui devait l’emporter. On y lit, pas à pas, l’appréhension, la terreur, le désespoir et la résignation, qui sont en fin de compte les sentiments universels, qui agitent chacun d’entre nous face à un objectif photographique, face à l’image de notre propre mort.

Quels que soient les supports ou les modalités de présentation utilisés, les images de Jean-Christian Bourcart sont traversées, à ses yeux, « par les mêmes préoccupations : transgression, clandestinité, obsession, mouvement  ». Et un désir identique, celui de «  photographier les gens, leurs activités, leurs traces » pour « dévoiler des mondes secrets ou trop fugaces pour que l’on y porte attention ». À ses débuts, il aborda le genre de la photographie de mariage, moment d’un bonheur obligatoire souvent éphémère. Comme dans une archéologie du présent, il conserva les tirages de photos de ce « plus beau jour de la vie » où se mêle tendresse, intranquilité, officialité et absurde. Une collection donc, tissée d’ mages intimes, vernaculaires, de voisins, amis, proches, faite de photographies de mariages récupérées dans les poubelles d’un atelier spécialisé. Palimpseste de photos destinées à l’origine au rebus, car floues jusqu’à parfois devenir des masses spectrales, mal cadrées métamorphosant les sujets, les désincarnant en halos fantomatiques. Elles sont montrées sans aucune modification. À en croire le photographe, « Il y a un masque social derrière lequel la personne réelle, existentielle, se protège. Comme mon action n’est pas dans les règles de l’échange social admis, les gens visés ne peuvent que me révéler leur vrai visage. Ils n’ont pas de réponse stéréotypée à me proposer – ou à m’opposer. Ils sont dans une sorte d’ébahissement. Comme des lapins surpris, la nuit, dans les phares des voitures. »

Hors la vie
Le Français Grégoire Korganow s’inscrit dans la pensée de Depardon avançant qu’une photo parle autant par ce qu’elle montre que par ce qu’elle manque. En 2005, la cinéaste Stéphane Mercurio l’invite à s’impliquer, dans son documentaire A côté, sur les familles de détenus (60 000 dans l’hexagone). Des femmes attendent la visite au Parloir, une à trois fois par mois pendant des années. Modernes Pénélope, elles sont confrontées à une attente qui relance la dynamique de la vie vers un ailleurs et effondre tout à la fois.
Autant de « vies suspendues, entre parenthèses » selon le photographe. Une approche crue de la réalité carcérale au cœur d’un sas, un espace intermédiaire au Centre d’accueil de Rennes. Un purgatoire terrestre où tout semble sur le point d’exploser, de la frustration à la colère que le confinement et l’attente démesurée exacerbent. « Ce travail joue sur la part visible et invisible au cœur du système carcéral français, précise François Hébel, directeur des Rencontres arlésiennes de la photographie. Des gens vont visiter leurs proches en prison. Le photographe s’est intéressé à ces femmes et à leur vie à l’extérieur dans l’attente d’une visite. Le périple se fait à travers des visages bouleversants, témoins de ce vide, de cette absence incommensurable qui envahit tout. On le voit lorsque ces femmes sont blotties dans le pull over de leurs maris, qu’elles passent des heures à attendre au tribunal. Cette série se fonde sur le rythme et la nécessité de posséder un caractère bien trempé chez une femme devant soutenir cette période et le conjoint incarcéré. Car les femmes emprisonnées, elles, ne reçoivent aucune visite. Les images sont tout à la fois dramatiques et d’une force humaine splendide. »

Métamorphoses
Né à Calcutta en 1959, Achinto Bhadra s’est intéressé aux rescapées de la traite des femmes, les métamorphosant le temps d’un portrait. Il a travaillé, avec Terre des Hommes notamment, en rencontrant des jeunes filles âgées de 8 à 25 ans balafrées par le viol, l’abandon ou la came. Elles ont été vendues par leurs parents parfois extrêmement jeunes pour entrer dans « le marché » de la prostitution. L’ONG les recueille afin de mener à bien le procès et leur réintégration dans la vie. « Avec beaucoup de respect et de délicatesse, Bhadra les a rencontrées leur disant en substance : « Vous avez vécu un cauchemar. Dans quel personnage, rêveriez-vous de vous réincarner ? » Au gré d’un dialogue, ces femmes ont exprimé certaines dimension inédites de leur personnalité et le photographe leur a proposé une mise en scène. Et un masque, afin de ne pas être reconnues dans la rue. Fruits d’interviews, de textes remarquables témoignent de leurs parcours et de leurs sentiments. »
Un voyage dans les plis d’une transformation psychologique où des victimes de maltraitance sont invitées à déployer un être de fiction, idéal vers quoi elles se mettent en mouvement. Traduction de leur souffrance et de leur espoir dans cet autre moi théâtralisé dont le costume et les maquillages sont les fruits d’une création conjointe réunissant Bhadra et ses êtres aux histoires d’enfance tourmentées.

Bertrand Tappolet

Rencontres d’Arles de la photographie
Du 8 juillet au 13 septembre 2008
Catalogue aux éditions Actes Sud
www.rencontres-arles.com