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Le cinéma au jour le jour
Cine Die - avril 2011

61e Berlinale

Article mis en ligne le avril 2011
dernière modification le 13 décembre 2011

par Raymond SCHOLER

Berlin ouvre son festival prudemment et hors compétition avec un film de genre (le sublime True Grit des frères Coen), comme si les figures éprouvées du western pouvaient conjurer les mauvais penchants qui guettent tant d’œuvrettes modernes, celles qui ne se soucient pas de cohérence narrative ou se complaisent dans un étalage barbant qui n’a d’autre finalité que de satisfaire l’ego de leur auteur. Et il faut bien l’avouer, le quart de la sélection tombait dans cette catégorie.

61e BERLINALE COMPETITION


Le pompon était sans conteste le film sud-coréen Come Rain, Come Shine/Saranghanda, Saranghaji Anneunda dont le réalisateur Yoon-Ki Lee est très fier. Cela commence par un plan fixe d’une quinzaine de minutes de deux époux conduisant leur voiture sur un des périphériques de la capitale. La caméra est montée sur le capot et regarde les personnages de face. On s’attend donc à une certaine crudité psychologique. En effet, la femme annonce calmement au mari qu’elle a décidé de le quitter. Mais le calme de l’épouse n’est rien comparé à celui de l’époux. C’est comme si elle lui avait demandé s’il y avait encore de la bière dans le frigo. Lorsqu’ils arrivent à domicile, il commence à pleuvoir : métaphore de leur crise conjugale ? Toujours est-il qu’il pleut pendant le reste du film, qui les observe, silencieux et souvent immobiles dans leur intérieur « froid et sans âme ». Comme nous n’arrivons guère à lire les sentiments sur leurs visages impassibles, l’assertion du réalisateur d’avoir voulu capter le « paysage triste des émotions » nous laisse perplexes. La femme avait oublié de fermer la porte de la terrasse. L’eau a pénétré dans la maison. Le couple met du temps à refermer la porte, car elle coulisse mal. Entre alors un petit chat qui miaule tout chagriné. Il se sauve immédiatement pour explorer les lieux et même les appels de ses propriétaires venus le chercher ne permettent pas de le retrouver tout de suite. Au moins, cette incursion a-t-elle permis aux spectateurs de sortir de leur torpeur. Il ne se passera rien d’autre dans le film si ce n’est que le mari retrouve enfin le chat, se fait griffer par lui et déclenche ainsi un mouvement de tendresse de sa femme. Espoir que tout rentrera dans l’ordre ? Qui s’en soucie encore au bout de 105 minutes de stase dramatique ?

« V Subbotu » de Alexander Mindadze

V Subbotu/Innocent Saturday du Russe Alexander Mindadze s’annonçait un peu plus passionnant. Puisqu’il semblait s’agir ni plus ni moins que de la recréation de la journée du 26 avril 1986 (le 25e anniversaire approche !), ce samedi fatidique où le réacteur numéro 4 de la centrale de Tchernobyl explosa, provoquant la plus grande catastrophe nucléaire civile du siècle. Le début est oppressant au possible : le technicien Valéry arrive en courant en pleine nuit sur le site, traqué par une caméra portée comme chez les frères Dardenne. Une rougeur dans le ciel trahit la présence d’un incendie, il y a un branle-bas inhabituel parmi les chefs qui lui intiment l’ordre de rentrer se coucher et de ne rien dire à personne. Il profite du désordre pour aller regarder de plus près et voit le ventre ouvert du réacteur. Il retourne toujours courant dare-dare en ville (Pripyat) et va chercher sa copine Vera dans le but de rejoindre la gare et attraper ce qui risquera d’être le dernier train. Hélas, en courant, Vera se casse un talon. Au lieu de se sauver pieds nus, ils marquent une pause et vont en quête d’un magasin de chaussures. Et c’est alors que le film commence à se désagréger. Le couple se fera happer par une noce. Des copains de Valéry en assurent l’accompagnement musical et ils ont vite fait de remettre Valéry à son instrument, la batterie, pendant que Vera fonctionne comme chanteuse de charme. Valéry raconte aux autres ce qu’il a vu, mais personne n’a le réflexe de fuir. L’instinct de survie se soumet à l’instinct grégaire. La fête se prolonge interminablement, les copains s’insultent un moment, puis se retombent dans les bras. Et les bras des spectateurs en tombent. Qu’a-t-on à cirer des états d’âme de ces crétins qui simulent une danse sur le volcan, alors qu’ils sont trop éméchés pour comprendre ce qui leur arrive. Quel gâchis ! Celui d’un film qui passe complètement à côté de son sujet.

Yelling to the Sky de l’Américaine Victoria Mahoney est une sorte de Precious (Lee Daniels, 2009) light. On reconnaît d’ailleurs Gabourey Sidibe, l’adolescente obèse de ce dernier film, dans le rôle d’une lycéenne qui adore faire souffrir la jeune héroïne du film, la très avenante Sweetness (un nom qui va comme un gant à Zoe Kravitz). Une fois n’est pas coutume, Sweetness a un papa blanc, mais alcoolique et colérique. De sorte que la maman (noire) est devenue un cas psychiatrique qui doit périodiquement rejoindre une institution de cure. Et la soeur aînée, enceinte, a d’autres chats à fouetter que de s’occuper de la cadette. Sweetness sort donc d’une famille dysfonctionnelle comme les trois sœurs de Mississippi Damned (Tina Mabry, 2009). Mais la comparaison s’arrête là : alors que le film de Mabry était quasiment un manuel didactique sur les voies possibles de s’accommoder ou de s’extirper d’une situation pareillement catastrophique, Yelling to the Sky prend la pente la moins ardue : laisser l’ado en butte à la brutalité de ses congénères et de son papa, devenir revendeuse de drogue et acquérir ainsi un statut de bad ass profitable. Cette métamorphose est malheureusement difficile à avaler de la part d’une si mignonne petite, mais une fois qu’on l’a admise, il est encore plus difficile d’assister au revirement vers la gentillesse, une fois que maman et grande sœur, entretemps devenue mère d’un bébé, sont rentrées au bercail. Même le papa violent semble prendre conscience de ses responsabilités et se transformer en agneau. Le spectateur y perd son latin et le film toute cohérence.

« El Premio » de Paula Markovitch

Dans la catégorie « se donne de la peine et en a », on peut citer El Premio de l’Argentine Paula Markovitch (qui a raflé les ours d’argent de la photo et des décors). Situé à l’époque de la dictature militaire entre 1976 et 1983, le récit est basé sur des souvenirs autobiographiques de la cinéaste. Le personnage principal est en effet une petite fille de sept ans, Cecilia, qui vit avec sa mère dans une cabane parmi les dunes fouettées par les vents et périodiquement envahie par la marée. Le son est violent et omniprésent. Les bâches de plastique qui tiennent lieu de fenêtres accentuent une précarité qui ne peut pas résulter d’un choix de vie. Comme le film ne nous donne pas d’explications préalables, nous devons admettre que ces gens se cachent. Lorsque leur « domicile » menace d’être visité, la première chose que fait la petite fille, c’est d’enfouir ses livres sous le sable : il ne faut donc pas que leurs voisins sachent qu’elles sont des « intellectuelles ». De telles réactions ainsi que l’absence du père (la petite affirme à l’école qu’il est commis voyageur) permettent au spectateur de se faire une idée du cadre spatio-temporel, confirmée par une séquence de punition collective à l’école et l’apparition d’une délégation militaire qui invite les élèves à composer des essais patriotiques à la gloire des soldats. A priori un tel scénario devrait donner lieu à un film très fort : malheureusement la réalisatrice s’est perdue dans des scènes interminables de pérégrinations et de jeux entre Cecilia et sa petite copine au bord de la mer. Ne s’improvise pas dramaturge qui veut. Une phrase va me rester du film : « Les mouettes crient parce qu’elles ont peur de tomber ».

« Our Grand Despair » de Seyfi Teoman

Our grand Despair/Bizim Büyük çaresizligimiz du Turc Seyfi Teoman est une dramédie, mélange de drame et de comédie, mais la langueur observée ici exigerait plutôt l’appellation de coma. A la suite d’un accident de la route, la jeune étudiante Nihal est orpheline de père et de mère. Son frère aîné vit loin, à Berlin. Il demande donc à ses deux copains d’études trentenaires de recueillir sa sœur dans leur appartement (très bien entretenu) d’un quartier chic d’Ankara. Au début, la jeune fille est abattue par la douleur, mais peu à peu elle s’habitue à ces « oncles », plus corrects tu meurs, et leurs cœurs commencent à chavirer. Il ne se passera pourtant strictement rien d’inconvenant. Car les deux hommes, quand bien même on veut nous faire croire qu’ils aiment ou ont aimé des femmes, ont un comportement trop caractéristique d’un couple marié pour ne pas nous faire penser à l’amour qui n’ose pas dire son nom. Ils affirment d’ailleurs être passionnément amoureux l’un de l’autre, mais d’une façon sublimée. Est-il toujours risqué de parler d’homosexualité en Turquie ? Cette tempête dans un verre d’eau est magnifiquement photographiée par la cheffe opératrice Birgit Gudjonsdottir, qui magnifie la capitale turque comme Nuri Bilge Ceylan l’a fait pour Istanbul.

« The Forgiveness of Blood » de Joshua Marston

Le réalisateur américain Joshua Marston s’était signalé dans son premier film, Maria Full of Grace (2004), par la sécheresse quasi-documentaire avec laquelle il décrivait le calvaire d’une jeune Colombienne, devenue mule pour les trafiquants de drogue afin de subvenir aux besoins de sa famille. Avec The Forgiveness of Blood , son deuxième film, son assurance a encore grandi. Il cloue au pilori cette coutume ancestrale qui a malheureusement encore cours en Albanie, la dette de sang, que des décennies de joug communiste n’ont pas pu éradiquer. Au cours d’une rixe concernant des droits de passage sur une propriété, un paysan est tué par le père des adolescents Nik et Rudina. Nik est à deux doigts du bac, amoureux d’une fille et projette d’ouvrir un café internet. Sa sœur vise l’université. A cause de la bêtise de leur père, ils verront tous leurs rêves s’écrouler. Selon le droit coutumier du kanoun, la famille d’une personne injustement tuée a le droit de prendre à son tour une vie dans la famille de l’assassin, le plus souvent le chef de famille ou le fils aîné. Le père s’étant enfui dans la montagne, Nik et son frère cadet doivent se cloîtrer dans la maison. Ce qui laisse à Rudina la tâche d’assurer le quotidien de la famille. Elle s’y prête de bon cœur, mais Nik a bien l’intention de mettre fin à la situation, fût-ce au prix de sa vie. Le film a remporté l’ours d’argent pour le meilleur scénario.

La suite au mois prochain

Raymond Scholer