Arts-Scènes
Slogan du site

Cinéma Danse Expositions Musique Opéra Spectacles Théâtre

Forum Meyrin
Meyrin : “O avesso do avesso“

Guilherme Botehlo présente sa nouvelle création au Forum Meryrin. Rencontre.

Article mis en ligne le mai 2009
dernière modification le 21 juin 2009

par Bertrand TAPPOLET

Braconnier de l’invisible, explorateur de cette « inquiétante étrangeté » dont parle Freud, Guilherme Botehlo excelle à réconcilier chorégraphie et
métaphysique, comme le prouve sa dernière création O avesso do avesso.

Réalités plurielles
Le titre de la chorégraphie ramène à une chanson de Gilberto Gil, O avesso do avesso, et s’inscrit dans un travail au long souffle mené par le chorégraphe d’origine brésilienne autour des logistiques de la perception liées à la réalité. « De toutes les illusions, la plus périlleuse consiste à penser qu’il n’existe qu’une seule réalité. En fait, ce qui existe, ce sont différentes versions de la réalité, dont certaines peuvent être contradictoires, et qui sont toutes l’effet de la communication et non le reflet de vérités objectives et éternelles », écrit Paul Watzlawick. C’est sans doute pour cette raison que les créations de Botehlo semblent aussi impalpables que des nuages, aussi énigmatiques que des rêves. Chez lui, images et corps se partagent entre gravité et légèreté, surface et profondeur, mélancolie et désir.

Peaux du monde
Ce regard de guingois sur l’envers de l’envers, celui des réalités parallèles est une des marques de fabrique de la Compagnie Alias. O avesso do avesso convoque des anonymes. Davantage que de simples figurants, ces inconnus forment autant de balises spatiales dessinant une douce nuée, à la fois spectrale, picturale et organique.
Sans verser dans la pure narrativité, O avesso do avesso dévoile un père chasseur braconnant sur les terres de l’enfance. Il ajuste ses butées et ses visées face à une forêt mouvante, qui voit surgir l’animal du conte par excellence, le plantigrade. Une danseuse blonde platine, qui n’est pas sans évoquer la présence en apesanteur et lunaire de Scarlett Johannsson dans Lost in Translation, s’évertue à traquer le mâle idéal. Le voilà esquissant une chorégraphie savamment désarticulée en smoking bondien. S’extrayant d’une réalité pour s’immerger dans l’archétype, le voici, métamorphosé en muette sentinelle, se posant en front de scène devenu bord de mer. Pour ne plus s’en désensabler. Manipulé, torsadé et transporté par la rêveuse peroxydée, il sera l’objet d’une mise à mort par fusil de chasse interposé.
Comme dans une boule de plastique que l’on agite, les saisons se télescopent, agitant les micro-climats tant scénographiques que musicaux. Au cœur d’un dress-room, des filles changent de vêtements, passant d’une identité à l’autre, glissant d’une peau à l’autre. Espace de l’entre-deux corps, cette séquence témoigne de l’un des leitmotivs des opus de Bothelo : la réflexion sur le vêtement. L’habit peut sembler s’animer seul (Contrecoup). Ou endosser des proportions gigantesques se faisant gangue de l’empire du paraître ou réceptacles de songes naufragés dans son Frankenstein !

« O avesso do avesso »
Photo Jean-Yves-Genoud

Entre réel et magie
Dans son arpentage d’un univers quotidien paraissant ordinaire, et, en parallèle, un tout autre univers relativement différent et absurde, O avesso do avesso s’inspire notamment de l’univers de l’auteur japonais Murakami. « Je pense que nous vivons dans un monde, ce monde, mais qu’il en existe d’autres tout près. Si vous le désirez vraiment, vous pouvez passer par-dessus le mur et entrer dans un autre univers », aime à souligner l’écrivain. À sa façon, Botehlo confronte aussi paysages intérieurs et extérieurs dans un brouillage permanent entraînant l’héroïne blonde de sa dernière création et, dans son sillage, le regardeur dans cet « angle mort que chacun porte en soi ».
Rencontre.

Comment travaillez-vous avec ces figures anonymes et non professionnelles ?
Guilherme Botehlo : Nous choisissons ces amateurs dans chacune des villes que nous traversons. Il existe un travail chorégraphique dans le sens de posture, d’état immobile, et de marches. Il n’est pas question de former des danseurs, mais de faire travailler à ces anonymes une qualité de présence scénique. Nous essayons de les rendre toujours plus conscients de leurs corporéités. Ainsi se trouvent-ils soit à l’arrêt, soit se mouvant avec une lenteur hypnotique. C’est ce décalage en termes de vitesse qui m’intéresse dans cette masse. Ce n’est d’ailleurs pas évident de se mouvoir au ralenti tout en demeurant naturel. Hors quelques rares exceptions, ces non professionnels ne sont pas amenés à apprendre des pas, et encore moins à répondre à des incitations d’exécuter tel ou tel mouvement. Le travail se développe surtout dans la mécanique du mouvement, au cœur de l’intention. Ils me renvoient d’ailleurs leur intérêt à habiter différemment leur corps.

Et comment se présente scéniquement leur présence ?
Pour O avesso do avesso, la forêt humaine formée par ces personnes issues du public n’est pas toujours confinée derrière les rideaux transparents. Mais elle se retrouve souvent devant cette pellicule plastique qui mêle le translucide et l’opaque. Leurs vêtements ont des teintes unifiées liées à l’univers sylvestre : brun, ocre, rouge terre, violet profond, des couleurs chaudes évoquant le sous-bois et son humidité. S’il existe des motifs au détour de robes à fleurs, on reste dans des teintes sourdes, sombres et chaudes.

Propos recueillis par Bertrand Tappolet

Théâtre Forum Meyrin. Du 5 au 8 mai.
Rés. : 022 989 34 34