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En tournée
Lausanne & Meyrin : "Eternelle Idole"

Après Lausanne, le spectacle de Gisèle Vienne sera présenté à la patinoire de Meyrin les 9 et 10 février.

Article mis en ligne le décembre 2010
dernière modification le 26 août 2011

par Bertrand TAPPOLET

« Eternelle Idole » ouvre sur une interrogation du corps sportif au cœur d’un lieu habituellement sanctuaire de la ferveur populaire, la patinoire.

Ce drame sur patins aux allures de conte de fées fantastique met en scène des figures archétypales. L’innocence et le corps athlétique au travail de la blonde beauté d’une jeune patineuse de 21 ans, Aurore Ponomarenko, ancienne star de haut niveau en patinage artistique de l’Equipe de France et actrice. Si son programme patiné peut évoquer de loin en loin celui qu’elle réalise parfois pour Ice Candel’art, la troupe de Philippe Candeloro, l’atmosphère et la dramaturgie sont toutes autres.
D’abord le crissement des lames sur la glace entre feulement et déchirement possible des chairs. L’accompagnent un étrange capucin encapuchonné, une créature extraterrestre (tous deux campés par Jonathan Capdevielle), sa soucoupe volante, un ballet marionnettique d’écolières japonaises et une équipe de hockeyeurs lors de la création, ici des hockeyeurs et patineuses des clubs de la patinoire de Malley. Ce spectacle de Gisèle Vienne forme le premier volet d’une recherche impliquant des athlètes professionnels chez la chorégraphe et plasticienne qui est l’une des artistes tournant le plus au monde.

« Eternelle Idole »
© Marc Coudrais

Elle sait orchestrer pour ses mises en scène, l’absence, une esthétique de la disparition au cœur de magnifiques sensoriums prompts à bouleverser les portes de la perception chez le spectateur. Mêlant l’indicible et le dicible imagé, l’écriture scénique part du plus grand réalisme pour aller vers un paysage mental, abstrait. Ce grâce à la brume, reflet d’une forme de brouillard hypnotique imprégnant les protagonistes. « Dans mes pièces, les filles sont des lolitas, qui trouvent leurs modèles chez Lewis Carroll, Alain Robbe-Grillet ou David Lynch – avec le personnage de Laura Palmer. Je trouve intéressant de les mettre en parallèle avec des garçons androgynes et paumés, des lolitas au masculin, modèle qui s’est construit ces vingt dernières années  », explique la chorégraphe.

Corps athlète et souffrant
Sur une musique originale composée par Stephen O’Malley, la juvénile patineuse, immergée dans une brume, arpente inlassablement la surface glacée, jusqu’à se muer en pure signe iconique filant sur la page blanche immaculée et réfrigérée de la patinoire. Ce lieu de mémoire fait retour à l’adolescence, aux premiers pas de deux amoureux. Voire aux ferveurs communautaires si présentes lors de rencontre de hockey ou de concours de patinage.
Cette pièce chorégraphique interroge en creux l’apologie du corps-privation, du corps-maîtrisé, du corps-souffrance (« Il faut souffrir pour être belle »), en un mot de la discipline et du refoulement, un retour à peine déguisé du refus du féminin émanant de l’ordre social. Synonyme de gloire et de dépassement des limites, l’exploit sportif, ici celui de la patineuse, cristallise les rêves de la société contemporaine. Pourtant, derrière cette vitrine et les discours convenus des sportifs de haut niveau, des individus travaillent jusqu’à l’épuisement, souffrent physiquement et psychologiquement, et apprennent à taire leurs plaintes. Entre emprise scientiste et impératif de rentabilité économique, la souffrance du travail sportif supplante le plaisir du jeu.
L’opus explore de manière pertinente et ouatée cette tyrannie de la perfection appliquée à l’athlète adolescente, niant potentiellement sa sexualité en l’éternisant dans une représentation iconique un brin riefenstahlienne, allant jusqu’au point de s’abîmer dans divers registres. L’opus n’ignore néanmoins pas un état de corps plus épanoui et apaisé dans ce qui peut confiner par instants à une forme d’extase. Parfois les morts et les fantômes nagent à la surface de l’œil comme dans une brume, un paysage qui subit ici une distorsion temporelle.

Bertrand Tappolet

 les 17 et 18 décembre, patinoire de Malley. Réservations : 021 625 11 36 ou www.arsenic.ch
 les 9 et 10 février, patinoire de Meyrin, dans le cadre du festival Antigel (www.antigel.ch)