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ADC à la Salle des Eaux-Vives, Genève
Genève, Salle des Eaux-Vives : La Compagnie Philippe Saire

La nouvelle pièce de Philippe Saire s’inscrit dans la tradition du cabaret et de la revue.

Article mis en ligne le décembre 2007
dernière modification le 22 janvier 2008

par Bertrand TAPPOLET

La nouvelle pièce de Philippe Saire, intitulée Est-ce que je peux me permettre d’attirer votre attention sur la brièveté de la vie ? s’inscrit dans la tradition du cabaret et de la revue rehaussée par un regard de guingois. A déguster en décembre à la salle des Eaux-Vives.

Le chorégraphe lausannois souhaite « décortiquer les mécanismes de notre soif de distraction, moteur fascinant de nos vies et besoin universel » Vaste programme qu’une succession de saluts bras déployés façon « musical » sur Broadway ou tendus en signe d’accompagnement de l’accomplissement d’un numéro tentent de subvertir.

Le chorégraphe-metteur en scène joue avec les antipodes : humour et gravité sombre ; paillettes et obscurité cachée ; réalisme désespéré et onirisme inspiré comme dans ce tableau qui voit un danseur évoluer au fil d’un travail d’appuis au sol où l’on retrouve toute la plénitude de la grammaire chorégraphique de Saire (celle du sublime duo de "L’Amour de la Jeune fille et du Garçon" dansé sur le texte de Ramuz). Il est badigeonné de noir goudronneux et vient tartouiller involontairement de son suif son montreur-manipulateur, sorte de Monsieur Loyal tout de blanc tendu (Mike Winter). Il exprime ainsi le contraste entre le paraître et la réalité, l’illusion et la désillusion. La cohabitation entre le cocasse et l’incongru créée une étrange émotion, un mélange de doux rêve et de cauchemar. « Nous faisons bon accueil à nos illusions parce qu’elles nous épargnent la détresse émotionnelle et nous permettent à la place de nous livrer à la satisfaction. Nous ne devons pas alors nous plaindre si de temps en temps elles entrent en conflit avec la réalité », écrivait Freud.

Est-ce que je peux me permettre d’attirer votre attention sur la brièveté de la vie ? Chorégraphie Philippe Saire. Photo Mario del Curto

Douce subversion
Il y tout ce qui fait les grandes revues dans l’opus de Saire, mais comme bouleversé de l’intérieur, poussé jusqu’à ses poses extrêmes : des stases arrêtées comme dans le voguing popularisé par Madonna. Depuis les danses chorales à corps ouverts, bras en éventail d’accompagnant-mostrateur aux numéros de prestidigitation en fausse lévitation bricolés avec ironie, jusqu’aux sketches des meneuses de revue et aux jeux de lumières souvent manipulés et fragmentés live et d’illusions plus sophistiqués qu’il n’y paraît à un regard distrait. À telle enseigne que deux néons blafardement dressés permettent de loufoques apparitions et disparitions dans l’obscurité. Le tout emballé avec tout le faux rythme et le glamour détourné que la satire à fleurets mouchetés suppose. Témoin ce duo de french cancan mené étendu à l’horizontale, les immenses volants des robes à frou-frou recouvrant par cercles concentriques les hauts de corps. « Privez l’homme de tous les jours de ses mensonges vitaux et vous volez son bonheur », avançait Ibsen. C’est ainsi mangé par une pénombre sans cesse croissante que se déploie un duo féminin sur claquettes à des années lumières des "Stomp" et autre "Riverdance", cet unisson choral militarisé qui joue trop souvent sur le plein feu et le tap dancing métronomique.

Comment oublier cette jolie blonde (Anne Delahaye) en robe rouge élastique qui n’a de cesse de jouer avec l’étirement de son sourire pour déshabiller les rouages d’une société du spectacle devenue spectrale ? Articulant le mouvement avec la matière élastique et rouge de la robe liserée de paillettes, comme une tache de sang qui s’écoule, qui gicle, ce solo est poignant dans la souffrance et la passion qu’il dégage. Qui est cette femme ? Une femme trop seule qui ne trouve que l’offrande de son corps pour que l’on s’intéresse un instant à elle ? Une entraineuse foraine d’un improbable théâtre aux armées ? Une bande annonce pour cabaret burlesque évoluant au contrejour d’une présence ? On voit tout ce que cette dramaturgie doit parfois à des chorégraphes-metteurs en scène comme l’Australien Lloyd Newson, l’Américain Mark Tompkins, Marco Berrittini né de parents italiens en Allemagne ou le Flamand Jan Fabre, strass pailleté et postiche en bouclettes peryxiolisées compris.

Depuis Les Affluents, l’une des grandes affaires de Saire est la danse entravée, un corps retenu ou prolongé par un autre. Au premier jet, c’est la femme en rouge qui enlace des ses mains les chevilles de l’homme avant que la proposition ne se retourne comme par un soudain effet de bascule. Ce spectacle rappelle le cinéma de Lynch, par son étrange mélange de réalité, de rêve et de cauchemar dans lequel on se perd à savoir ce qui est vrai ou non ; comme dans "Mulholland Drive" par exemple, ou "Lost Highway" pour le côté plus sombre. Il rappelle aussi l’atmosphère troublante et magnifique des instants de chants scéniques dans les films de d’Almodovar. Mais comme le dit la fausse cantatrice de "Mulholland Drive", avant de tomber à terre sur la scène de l’opéra alors que sa chanson continue en play back : « Tout n’est qu’illusion ».

Bertrand Tappolet

Salle des Eaux-Vives. Du 19 au 31 décembre 2007
Rés : 022 320 06 06