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La Comédie de Genève & Bonlieu-Annecy
Genève et Annecy : “Gustavia“

Gustavia, avec Mathilde Monnier et La Ribot, sera de passage à Genève et Annecy.

Article mis en ligne le mars 2009
dernière modification le 30 mars 2009

par Bertrand TAPPOLET

La chorégraphe et danseuse Mathilde Monnier agite un duo aux côtés
de la performeuse madrilène La Ribot. Gustavia explore les codes
et stratégies du « burlesque ».

Comme une prière
Vêtues de justes aux corps et chaussées de hauts talons puis de bottines, les deux femmes ouvrent un espace tendu de noires vêpres sur un long lamento, une déploration digne des plus belles heures du muet. Où le doigt pressé à même la joue figure la faille de larmes. Les deux protagonistes sont des somnambules dans une parade de burlesques que l’histoire a connus autrement plus cruels et sauvages. Leurs personnages jouent ainsi d’un subtil paradoxe, d’une forme raffinée de l’un des grands ressorts comiques, le contraste. En effet, elles sont tout à la fois présentes et absentes, ici et ailleurs.
Yeux mi-clos, lèvres scellées, les pleureuses se font vestales de douleurs inconnues, embrayeuses en suppliques et lamentations alors que résonnent face micro les mots qui hantent tout le hamlétisme occidental : « Mourir, dormir, dormir, peut-être rêver ». S’agit-il alors de « s’armer contre une mer de douleurs et à l’arrêter par une révolte ? », comme s’interroge le Prince du Danemark. La question se prolonge significativement dans ce « Qu’ils crèvent les artistes ! » lâché par La Ribot, écho à la pièce éponyme de Kantor. Où le personnage de l’artiste, alter ego du dramaturge, n’en finit pas de mourir, l’événement tragique tournant au gag de cirque. C’est à ce texte témoignant de la vision impitoyable d’un être stigmatisé par le désespoir, le non-sens de la guerre et la bêtise des hommes que fait écho ce moment de Gustavia qui voit la Ribot en héroïne burlesque et christique faucher à tour de planche devenue pale assommoir une Mathilde Monnier s’effondrant sur elle-même dans un évanouissement cataleptique et se redressant à chaque reprise telle une poupée déglinguée. Bel exemple aussi de slapstick à l’œuvre, ce genre d’humour impliquant une part de violence physique volontairement exagérée.

« Gustavia »
Photo Marc Coudrais

Combustion
Tout burlesque se sort finalement des mille et une embûches, mais la spécificité de celui-ci est bien de passer à travers sans trop s’en rendre compte. C’est l’acmé du slow-burn façon Harry Langdon, la combustion lente du gag, forme de comique sans doute ancestral, mais encore peu porté sur la scène de la danse contemporaine. A côté de la frénésie trépidante de la plupart des autres burlesques, voici que se dessine un comique rétrodictif de la lenteur. Une façon, bien entendu, de résister à la société contemporaine speedée, celle de la crise de 1929 hier, celle de la frénésie qui s’empare du plan et du gag dans la plupart des déclinaisons contemporaines du comique. Une triple douce poésie se dégage : des personnages, mi présents mi absents ; du temps dilaté ou étiré ; de l’espace, incomplètement perçu. Gustavia ose la subtile lenteur et tente la difficile conjugaison du sentiment avec le rire. 
La première séquence se scelle sur les paroles de Shakespeare lâchées par Mathilde Monnier s’écroulant : « Quand ces larmes me seront versées, tout ce qu’il y a en moi de féminin m’aura quitté. » Rampant sur un plateau rehaussé de paysages vallonnés de noirs velours, les éphémères féminins se scrutent, se font la cour dans des danses de parades dignes de grands échassiers, se clouent au sol, râlant, baisant la terre, comme agitées de spasmes dans une fatrasie corporelle étrange et animale. Elles s’introduisent aussi, s’ouvrant mutuellement l’espace en présentatrices de numéros de cabaret. 
Comme dans le New Burlesque, il y a l’ébauche d’un strip-tease mécanique, quasi onaniste. Une parodie peut-être dans ce genou qu’elles découvrent compulsivement et dissimulent avec des gestes de scratching sur une musique technoïde savamment déstructurée. Possible écho à la pulsion scopique même du regardeur, celui d’un œil qui s’ouvre et se ferme sur leurs corps agencés en miroir.
Tout burlesque digne de ce nom s’axe sur les notions d’accumulation, de prolifération et de répétitions. Ainsi la séquence terminale dévoile les danseuses juchées sur des tabourets de revue, modernes stylites se livrant à un exercice d’énumérations et de déclinaisons de destinées féminines. Qui tient à la fois du cadavre exquis surréaliste, du fameux « Accumulation with talking » de Trisha Brown et de l’obsession pour un régime esthétique. Accompagnées d’une mimographie suggestive, ce sont alors une kyrielle de femmes aux parcours imaginaires et débridés questionnant les archétypes de la sculpture de soi au féminin (fesses, ventre, cou, âge) qui perlent de leurs bouches.
Dans Laughing Hole de La Ribot, il y a aussi un corps burlesque, celui de la danseuse ibérique. Un corps qui tombe, gestes en cascade, inlassablement répétés et saisis dans un rire tenu en continu auquel fait écho les pleurs de la scène d’ouverture de Gustavia. Le burlesque est bien un comique de l’expressivité et de la dépense, dont Gustavia est l’une des plus singulières traductions.

Bertrand Tappolet

« Gustavia »

 du 10 au 14 mars 2009, La Comédie. www.comedie.ch (loc. 022/320.50.01)
 le 17 mars, Bonlieu Annecy. www.bonlieu-annecy.com (loc. 04.50.33.44.11)