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Entre Genève et Annemasse : Festival Dansez ! 2007

Aperçu de la programmation du prochain Festival Dansez !.

Article mis en ligne le avril 2007
dernière modification le 19 octobre 2007

par Bertrand TAPPOLET

Du 20 avril au 5 mai, le Festival Dansez ! offre une palette de la création
déclinée au contemporain. Quelle que soit l’affiche du moment, il y a toujours la bonne surprise que l’on attendait sans le savoir vraiment, et qui réveille d’un coup votre vigilance. Cette fois-ci l’exercice est réussi par Abou Lagraa et Matri(k)is, spectacle baptismal accouchant d’un octuor de danseuses ondulant telles des lianes tour à tour nonchalantes, glamours et enfiévrées.

Corps pub
En 2005, avec L’Affaire de la rue de Lourcine, Denis Plassard faisait débouler sur le plateau des funambules inspirés, virtuoses embrayeurs de leur paysage corporel en métamorphoses. À la fragmentation du texte de Labiche répondait celle du mouvement, sa grammaire alternant sur place et déplacement, et revisitant de multiples figures hip hop. Puis Zooo (2006), pièce traversée d’artistes circassiens, immergeait au cœur d’une chorégraphie de corps suspendus, vrillés, enroulés et déroulés dans l’espace. Dans le sillage du travail réalisé notamment par la Compagnie Montalvo-Hervieu (Danses à voir et à danser) engageant des groupes d’amateurs à se déployer sous la houlette participative de professionnels, Les Publicités délient des vignettes chorégraphiées de quelques minutes sur le canevas fragmenté et mouvant d’improvisations menées avec des non-professionnels de la région. C’est une démarche d’appropriation donnant naissance à une esthétique en explorant la densité de l’instant présent. Elle assure une participation concrète, physique de la diversité des publics à travers une approche conviviale et ludique de la danse contemporaine.
À la racine de ce work in progress, il y a l’idée de faire réclame de tout : chose, personne ou notion, de la fragilité à l’économie. Le corps marchand de la société est ainsi éclaté dans une forme éminemment cristallisée dans le temps et l’espace. Le merchandising généralisé si bien passé en revue par Naomi Klein dans No Logo est ici subverti grâce à un regard de guingois distillé par touches légères. À l’ère de la blogosphère, de l’intimité surexposée dans les médias et sur le net, de la télé-réalité et ses faux-semblants d’empathie compassionnelle, Les Publicités constitue une pièce dont le mordant est présenté avec un humour raffiné, mais au vitriol.

Another Evening / Bill T. Jones / © Paul B. Goode

Soirée remixée
Place aux sentiments, à la passion avec Bill T. Jones et son Another Evening, I bow down (2004), œuvre en constante évolution. Accompagné de dix danseurs et d’un violoniste improvisant sur scène, le chorégraphe et danseur s’interroge sur ces vérités qui dérangent ; l’humain face aux bouleversements climatiques et autres catastrophes naturelles. Pièce abstraite, très écrite, très dansée, elle ne se départ d’une certaine esthétique malgré sa sobriété. On puise un réel bonheur à naviguer dans un univers qui réussit à toucher bien au-delà de films coup de poing, comme ceux de l’oscarisé Al Gore se focalisant sur le réchauffement climatique sur fond de didactisme en cartographie 3D et de Spike Lee avec Quand les digues ont rompu : requiem en quatre actes, documentaire critique et déchirant de quatre heures sur l’ouragan Katrina et ses conséquences sur la vie des milliers de personnes majoritairement noirs habitants la Nouvelle-Orléans, le cœur aujourd’hui encore brisé dans une ville quasiment en ruines. La pièce tisse dans un réseau serré les fils de nouveaux opus tout en semant des éclats de répertoire. Le tout pris dans des récits proches de l’univers du conte et le design high tech d’un multimédia vibrionnant. Mis en lumières par une scénographie qui joue sur le carré, forme induite par les tracés jaunes sur le sol blanc proches de l’esprit de Mondrian, le paysage sobre et propice à l’onirisme aide à partager le flot d’émotions entre vie et mort qui submergent les danseurs agressés par le cataclysme. Et qui, passée la catastrophe, essaient tant bien que mal de se ressaisir et de comprendre ce qui leur est arrivé. Les derniers rescapés tentent de s’agripper à quelque improbable récif, barque ou débris du vieux monde. Nul signe ne préfigure la résurrection de l’humanité. D’autres, déjà, se mettent à dessiner le jour d’après, tel ce protagoniste qui, avec une confondante naïveté, se demande pourquoi, « si la catastrophe est la force vitale du changement », il n’a pas encore eu lieu. Sans doute l’avenir est-il encore, pour un temps, « bushé ».

Matri(k)is / Abou Lagraa / © Eric Boudet

Naissance
Chorégraphe né de parents algériens en 1970, Abou Lagraa propose une exploration de la figure féminine dans Matri(k)is. Créé à Bonlieu Annecy en janvier 2007, ce dytique se compose d’un duo masculin et d’un octet féminin. Le tableau originel découvre deux frères forclos dans une matrice originelle, maternelle, un monde liquide mis en images par Dietmar Janeck. Dans cet arpentage de la gémellité, de l’idée du double et de la fusion symbiotique avec l’autre, les corps réagissent l’un par rapport à l’autre et agissent également l’un contre l’autre, presque l’un dans l’autre, s’enchevêtrant jusqu’à ne former qu’une seule chair, hybride agile et gracile à quatre jambes, autant de bras, et à deux têtes. Ils sont plongés au cœur d’une scénographie rappelant ventre et sexe de la femme. Un paysage utérin, aquatique, avec deux danseurs interprétant des nouveau-nés noirs qui s’adonnent à la mimographie, s’imitant mutuellement en partageant leurs jeux et la jubilation d’évoluer dans le liquide amniotique sous le regard d’une sorte de Gaïa, déesse mère qui estampe un écran. Le second tableau propose un ondoyant florilège de femmes fleurs habillés de couleurs vives et guidées par une figure sombre. « C’est la fleur noire, précise le chorégraphe, ou Lilith, qui selon la tradition cabalistique est le nom de la femme créée avant Eve. » Le propos se veut amoureux et harmonieux, pour un travail qui s’axe autour de « la symbolique des couleurs (rouge, violet fuchsia, mauve, noir) et la symbolique des fleurs. St Jean de La Croix disait : "La Fleur est l’image des vertus de l’Âme" », précise le chorégraphe. Androïdes parfois à la Vanessa Beecroft ou à la Giselle Vienne, dont les corps se suivent, se répondent par groupes, s’extraient pour se montrer seuls, parfois humains parfois marionnettiques, le tout sur des berceuses et mélopées maghrébines subtilement revisitées. Le chorégraphe et scénographe Abou Lagraa propose une danse inventive qui oscille du hip-hop de ses débuts au contemporain pour corps de ballet. Les interprètes tressautent, s’agitent, se roulent, s’enroulent, se relèvent, se meuvent comme des étoiles marines. Le mouvement est construit, complexe ; parfois il se décompose mais sait rester d’une fluidité extrême.

Bertrand Tappolet

Rens. et réserv. : 0033.450.43.24.24http://

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