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A Genève
BFM : Mathilde Monnier

La pièce 2008 Vallée, de la chorégraphe Mathilde Monnier, cultive le plaisir du détournement et de la choralité.

Article mis en ligne le février 2007
dernière modification le 9 juillet 2007

par Bertrand TAPPOLET

Présentée notamment lors du dernier Festival Montpellier Danse, 2008 Vallée est une pièce chorégraphique qui aime cultiver le plaisir du détournement et de la choralité, comme dans cette partie qui se joue entre un chanteur orfèvre dans l’autodérision et la poésie instantanée, Philippe Katerine et la chorégraphe et danseuse Mathilde Monnier.

Une artiste déjà rompue à l’exploration en contrepoint gestuel ou subversion dansée d’univers musicaux, tel celui de P.J. Harvey pour « Public » qui propose un rapport fictionnel avec le corps, la danse, déliant une multitude de vignettes chorégraphiées et narratives. Ou le travail d’alchimie sonore du tandem montpelliérain Rinocrerôse pour leur titre étendard, « Cubicle », aux voix saturées et aux guitares ensauvagées.

“2008 Vallée“, photo © Marc Coudrais

Elévation
Le chanteur Katerine aux partitions cyniques, acidulées et en prise direct avec le réel croise le plateau avec Mathilde Monnier au long de l’album pour le corps, Robot après tout, dans une création à voir au BFM. Sur un beat easy disco électro distancié et jubilatoire, l’entame de ce 2008 Vallée voit Katerine couper et remettre le son de l’une de ses compostions, maquettée avec la Groovebox, dans un jeu déjà éprouvé au long des grands festivals estivaux. Une étrangeté inquiète innerve progressivement l’atmosphère dans cette répétition sérielle de battements de mains accompagnant les déhanchements sortilèges des danseurs regroupés dans un choeur.
Saisi d’une fatrasie corporelle, avec ses gestes sémaphoriques, élastiques, en brisures, le coryphée Katherine joue, lui, des contrastes dans des textes souvent anxiogènes et néanmoins teintés d’humour. Le chanteur est aussi suivi par Mathilde Monnier accolée en fond de scène, comme une ombre en miroir, répétant ses gestes de manière parfois décalée. Par sa présence, à la lisière de l’incarnation, sa gestuelle pariétale, anguleuse, et la sensualité espiègle, désœuvrée qui en émane comme un regret, elle bascule imperceptiblement dans les anfractuosités d’un show mécanique bien rôdé. Rejointe par les danseurs de la tribu, elle vient s’enrouler comme une ronce, s’agglutiner à l’icône chantante, nouvelle secte phagocytant son leader charismatique, lui déformant le visage, l’expression du son par des mains imposées — pour le contraindre au silence, le subvertir dans une lutte au sol visant à la bâillonner. Katerine avait déjà fait de l’idée du rapport à la choralité, le thème de son album : « Les chansons que j’avais écrites fonctionnaient bien avec une collectivité et une individualité : l’idée que je veux rentrer dans un groupe, que j’en suis exclu, c’était un peu l’un des thèmes du disque. » Moment d’anthologie que cette chanson de fantasme ("Le 20-04-2005") éminemment paranoïde et "repoussante" sur Marine Le Pen, héritière frontiste dont la mère posait en soubrette dénudée dans Playboy. Il en fait un personnage de roman, intéressante, surtout de dos lorsque Katerine la prend en filature avant d’être « poursuivi par ce qu’elle représente aussi ». La peur comme ennemi et moteur, une vision qui se découvre dans certains déséquilibres vertigineux.
« Cet opus est moins axé sur l’introspection, ou le rapport intime, fusionnelle, de chaque interprète avec la musique, comme c’était le cas dans Public. La grammaire chorégraphique est bien davantage fondée sur l’univers musical et les textes de Philippe Katerine. Comment ses textes pouvaient-il redécouper le corps, l’agiter, le secouer de partout et le subvertir en étant chantés-parlés ? Ne pas délivrer une illustration mimétique et gestuelle des chansons, mais se retrouver dans un état d’esprit incisif, cinglant, allumé, prompt à pénétrer l’atmosphère des compositions », précise Mathilde Monnier pour un opus très loin de la mimographie ou de la plate gestuelle illustrative, allusive ou ornementale.

Corps grotesque
Tel un burlesque muet, le corps se pare de grimaces, puis délie le mouvement, minimal, en s’accomplissant de manière épurée dans de petites capsules de récits. Les pas des choristes sont superbement synchronisés dans des surplaces qui finissent par semer le frisson d’un trouble dans une ordonnance aussi parfaite. Un doux flux distribue les corps et quelque chose d’impalpable de l’ordre du rituel se révèle au contre-jour des présences. De noirs idéogrammes glissent sur la surface jaune du plateau avec leur pied de micros. Le tout dessine une sorte d’alphabet des ténèbres, une calligraphie cartographiant le plateau dans un réseau pulsionnel, une architecture faite de déplacements retenus jusqu’à une danse impliquant l’ensemble du groupe avec d’incessants changements de directions. De ce surplace entêtant émergent des corps boussoles ou balises qui ramènent sur les rives délicieusement hantées du minimalisme de la post modern-danse chère à l’Américaine Lucinda Childs. Il y a là toute une distance veinée d’une ironie jubilatoire face aux prestations scéniques bien huilées et qui prolonge, selon ses modalités propres, une réflexion critique sur une société du spectacle devenue spectrale.
La danse, chevillée à sa grammaire tour à tour formelle et expressionniste avec ses détours dans un univers proche de Pina Bausch, n’est jamais avalée par le lyrisme du quotidien souvent désabusé de Katerine, qu’elle n’épouse pas dans un mot à mot, mais distord et déchire. Apparaître, disparaître, réapparaître, tordre la vague comme les draps d’un lit. À l’image de cette belle trouvaille scénographique de clôture et d’avalement : alors que le tapis de sol s’est révélé un immense matelas gonflable, les danseurs et le chanteur disparaissent happés par la matérialité caoutchouteuse. Se déploie alors un dialogue de la chorégraphe et du chanteur sur leur commune fascination capillaire, qui pour l’un confine au fétichisme sexué et orgasmique. Comme une coulée agitée de soubresauts, tous réapparaissent en fendant les flots tumultueux et élastiques.

Bertrand Tappolet

2008 Vallée. BFM. 15 février à 20h30. Rés. : 022 320 06 06