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A Annemasse et Genève
Annemasse : Festival Dansez 2009

Cette année à nouveau, la diversité et l’originalité sont au rendez-vous du festival Dansez !

Article mis en ligne le mars 2009
dernière modification le 30 mars 2009

par Bertrand TAPPOLET

C’est la diversité et l’ouverture qui fédère la 11e édition du Festival Dansez ! La programmation se déploie du 13 au 28 mars 2009.

La convivialité est ici mise en postures et questions par Nathalie Pernette dans son travail pour six interprètes et une claveciniste déliant des volutes de Rameau au chœur d’une pièce montée chorégraphique en forme de cérémonial, Le Repas. Propos de table ou invitation à se mettre littéralement à table pour le spectateur au détour d’Entremets, entremots, un spectacle banquet conçu par Serge Noyelle en forme de jeux de bouche mêlant effluves du verbe et saveurs culinaires. Longtemps danseur au sein de la Compagnie Alias, puis chorégraphe remarqué notamment au Ballet Junior, Jozsef Trefeli revisite le mythe d’Orphée qu’il distribue entre trois danseurs dans les plis de son Ooorpheus et fait du retournement et de bassins en rétroversion l’alphabet le plus apte à convoyer l’un des figures les plus obscurs de la mythologie grecque.

Petits riens
Les compositions de Nathalie Pernette reposent souvent sur des microstructures, du solo au tutti, découpant une séquence de base, la décomposant et la démultipliant. Dans les faits, l’inventivité et la précision d’écriture de la chorégraphe sont telles qu’il est sensiblement impossible de retrouver les différents traitements que subit ce motif originel. La logique du motif ne cesse de sourdre et donne à une mosaïque apparemment disparate une sidérante cohérence. La maîtrise gestuelle des danseurs, leur forte personnalité, leur sens de l’espace font ressortir la richesse du vocabulaire de la chorégraphe. Ils inclinent souvent les hanches d’avant en arrière dans un mouvement de va-et-vient proprement déroutant, roulent leurs torses, font saillir les hanches, gonflent les cages thoraciques et travaillent des mouvements sémaphoriques et anguleux.

« Le Repas » par la Compagnie Pernette, chorégraphie de Nathalie Permette
© Sébastien Laurent

La chorégraphe avoue une fascination durable pour l’œuvre de Nathalie Sarraute, sa manière de diffracter à l’infini un moment comme dans Pour un oui ou pour un non. D’où les dimensions parfois éthologiques de ses propositions chorégraphiques. Dans Le Repas, ce sont bien les secrets des rapports humains qui importent. Toute la chorégraphie pourrait se subsumer à un arpentage chorégraphique des « tropismes », ces vibrations imperceptibles, ces glissements insoupçonnés qui modifient les rapports entre les êtres et affleurent sous les gestes les plus banals. La table se dresse et, comme dans le Festen de Thomas Vinterberg, les convives s’affrontent dans ce précipité de vie, catalysateurs de toutes les tensions, de tous les malaises qu’est le repas familial. Une danse d’une très grande physicalité, tranchante comme une lame, faisant s’échapper les danseurs en des fulgurances explosives et tourbillonnantes, toupies cherchant leur nord dans un champ magnétique d’attractions contradictoires. S’y déploie un feuilleté sonore de la plus belle eau : une musique composée à partir de sons enregistrés dans un restaurant sert de viatiques aux pensées les plus intimes des protagonistes ; une partition réalisée par les danseurs avec force tables, chaises, bouches et fragments de conversations ; une claveciniste qui recouvre in fine ses émanations organiques d’un glacis baroque relevé de Bach, Rameau. Et surtout les Pièces de Clavecin de Joseph Nicolas Pancrace Royer, compositeur méconnu du XVIIIe siècle français.
Point de eat-art au centre de ce moment codifié et hyper ritualisé du repas dont la monotonie, l’ennui, la fatigue sont ici magistralement rendus. Car la nourriture est absente dans ce qui est une mise en actes de non-dits, une scénarisation des déplacements des corps au millimètre et de la manipulation des éléments de l’art de la table.

« Poussière de sang » par la Compagnie Salia nï Seydou, chorégraphie de Seydou Boro et Salia Sanou
© Sarah Camara

A table
Au menu d’Entremets, entremots de la Compagnie Styx, il y a en entrée une table immense dressée sur quatre côtés, chacun pouvant accueillir dix visiteurs d’un soir. A l’intérieur de ce quadrilatère déployé, une installation plasticienne formée de bouteilles vides fichées à même un sol bleuté. Loin des crises émaillant les repas familiaux lourds de secrets inavouables et de tensions tous azimuts, tout n’est ici que chuchotements, pas glissés, gestes comptés chez quatre hôtes (trois hommes et une femme) en tenues de cocktail, souhaitant la bienvenue, comme il se doit, avec une coupette de
champagne servie par de stylés majordomes.
On se met à table alors que le maître de maison nous accueille comme des amis de longue date, selon les lois de l’hospitalité. La suite est assez rare dans le spectacle pas toujours bon vivant pour que l’on déguste sans retenue le foie gras et quenelles de betterave sur mesclun et surtout l’incontournable Noix de Saint-Jacques au beurre blanc et fondue d’endives. Sous incarnat rubis ou robe opalescente fruitée de Gaillac Rouge et Blanc, le vin coule à flots. Neuf plats, trois vins, donc. Entre les hôtes la parole circule, se relance, tour à tour doucereuse comme une mignardise ou acide telle l’oignon rouge. De temps en temps les deux serveurs, gouailleurs et facétieux, quittent leur service pour nous entretenir de ces choses infimes qui nous composent, de la perfide Albion ou de la tyrannie du bonheur.

« La confidence des oiseaux » par la Compagnie Le Guetteur, chorégraphie de Luc Petton
© Régis Bataille

On mêle les plaisirs du regard, de l’écoute et des papilles. Aux plats s’abouchent les mots. Historiettes, poèmes, croquignolesques avis, futiles considérations délicieusement saucées de non sens. Que tout cela est bien dit ! Exceptés Le galant tireur de Baudelaire et L’antique Inca de Paul Faure, les textes sont de la veine de Marion Courtis, fruits ou non d’improvisations de la troupe, la Compagnie Styx. Une rêverie ici poétique, là philosophique, surréaliste, pleine de ludicité ou empreinte de gravité. Convention et transgression, un alliage où le théâtre fait son sillon. Le repas redevient le temps où se racontent les histoires et non où se règlent les comptes et s’annoncent les anamnèses. Au sortir de cette déraison gourmande qui invite à un trajet en terres hédonistes, on se remémore qu’un Grimod de la Reynière inventa la critique gastronomique à partir de la scène théâtrale. Ou qu’un Brillat-Savarin accéda au rang de philosophe grâce à une truffe. On se souvient surtout que placer sous les auspices de l’ange hédoniste et d’une farandole alimentaire, le goût et l’olfaction reviennent au cœur des sens nous disant combien l’homme qui pense et profère est toujours doublé d’un animal qui renifle et goûte. Pour une sociabilité à mots et plaisir de bouches croisés enfin retrouvée.

Bertrand Tappolet

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