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Château Rouge, Annemasse
Annemasse : Ballet de Lorraine

Entretien avec Didier Deschamps, directeur du Ballet de Lorraine, en tournée dans la région.

Article mis en ligne le mars 2010
dernière modification le 28 août 2011

par Stéphanie NEGRE

Le Ballet de Lorraine sera le 20 mars à Annemasse avec Lamentation de M. Graham, Rave de K. Armitage, Steptext de W. Forsythe et Two de R. Maliphant. Son directeur, Didier Deschamps, nous parle de Tragic / Love, nouvelle création de sa compagnie mais aussi de la politique qu’il mène depuis 2000 au sein de l’une des premières compagnies de danse françaises.

Quelle a été la genèse de Tragic / Love ?
DD  : je connais depuis longtemps Stephen Petronio, extraordinaire interprète, qui fut le premier homme à intégrer la compagnie de Trisha Brown. Comme chez Karole Armitage, c’est un artiste très perméable au monde et très intégré aux mouvements artistiques actuels, sur le plan de la création musicale, visuelle, de la mode. Depuis des années, j’avais envie qu’il vienne travailler avec nous. Il est d’abord venu transmettre, à quatre danseurs, Broken man, un solo magnifique créé pour lui-même au lendemain de l’attentat du 11/09/01. L’échange a été tellement beau que cela nous a donné envie de poursuivre.

« Tragic / Love », chorégraphie de Stephen Petronio.
Photo Laurent Philippe

Comment est venu l’idée de créer un ballet autour de la dimension tragique de l’amour  ?
Je m’intéressais au mythe de Romeo et Juliette mais je ne voulais pas monter une énième version de ce ballet. J’avais envie de le travailler d’une autre façon et l’idée m’a traversé de faire une recréation de West Side Story. Stephen était partant mais nos démarches auprès du trust Bernstein, après deux ans de négociations, n’aboutissaient pas. On a décidé d’arrêter dans cette voie tout en gardant l’idée des amours tragiques. Stephen a proposé alors de partir du symbole, de ne pas le traiter de manière narrative mais par le groupe en ne faisant pas de focus sur un couple de héros. Il a eu l’idée de prendre comme fil conducteur un livre dont j’ignorais l’existence, Les lettres à Juliette, qui rassemblent des lettres d’amoureux du monde entier, envoyées à une association dont les bureaux sont à Vérone et à New York. Ces lettres parlent de choses très personnelles, de relations amoureuses souvent malheureuses. Il m’a proposé de partir de ce recueil dont il a acquis les droits.

Comment s’est fait le choix des autres artistes qui ont participé à la conception de l’œuvre  ?
En matière de création musical, Stephen Petronio m’a proposé de travailler avec un jeune compositeur new yorkais, Ryan Lott, à qui j’ai proposé qu’il y ait une référence à la musique de Prokofiev, la musique du bal. J’ai trouvé que cela pouvait être quelque chose de cohérent mais aussi un clin d’œil heureux. De la même manière, il m’a proposé de travailler avec Mike Daly, vidéaste australien qui séjourne très souvent en Europe, pour créer les décors. Celui-ci a créé les images qui viennent illustrer une sorte de climat, une dynamique très poétique. Il y a la fois des images de la vie réelle, de l’actualité – comme la guerre du Viet Nam – mais aussi des ambiances comme le bombardement de neige. Les flocons qui se précipitent correspondent pour moi à l’agitation du cœur et de l’esprit quand on est pris dans le tourment amoureux. Les costumes sont de H. Petal, un artiste londonien qui a plusieurs fois collaboré avec Stephen Petronio et qui crée pour la mode et la scène. Ses costumes sont extrêmement sophistiqués et épousent impeccablement la plastique des danseurs. Vous avez dû remarquer, à la fin, l’étrange costume rouge, sorte de fleur en tulle ? A l’origine, il y avait plusieurs costumes de ce style mais Stephen les a retirés au dernier moment ; celui qui reste et comme le point de départ d’une autre création.

« Rave », chorégraphie de Karole Armitage
© Laurent Philippe

Le vocabulaire de la danse classique est largement utilisé dans Tragic / Love. N’est-ce pas un peu démodé ?
Pour Stephen Petronio, un langage n’est jamais démodé, c’est l’utilisation qu’on en fait qui peut l’être. Aussi, quand il a besoin de puiser dans le vocabulaire de la danse classique, il ne s’en prive pas. Il va l’utiliser de manière personnelle, le complexifier avec son héritage des écoles de Trisha Brown et de la dance contact de Steve Paxton. Là, il a voulu utiliser la technique qu’ont les danseurs mais en les embarquant dans de nouvelles articulations de leurs langages, une nouvelle mise en jeu, de nouveaux défis. Sa chorégraphie est d’une difficulté sans nom. Mes danseurs en ont bavé d’autant plus que, comme dans toute création, jusqu’au dernier moment, l’auteur cherche, doute, modifie… et demande de recommencer avec la même énergie. Avec un duo ou un trio, cela se gère relativement bien ; avec un groupe de trente personnes, c’est plus dur. Il y a eu des moments de tension, inhérents à toute création, mais qui se sont magnifiquement résolus avec ce spectacle que les danseurs portent avec une grande motivation.

Pouvez-vous nous parler de la politique que vous menez pour le Ballet de Nancy  ?
Le Ballet de Lorraine est une des rares troupes permanentes qui existent en France avec un effectif de trente danseurs. Dans les années 80, elle s’est spécialisée dans le répertoire des Ballets russes puis, avec Patrick Dupond et Pierre Lacotte, dans les grands ballets blancs du 19ème siècle. Quand je suis arrivé, j’ai à la fois voulu tenir compte de cette histoire mais aussi le recentrer dans la création. J’ai trouvé intéressant de continuer à présenter des pièces du répertoire avec notamment les pièces du 20ème siècle d’Isadora Duncan, des Ballets russes et de procéder à une mise en perspective de ces œuvres du passé avec celles de chorégraphes actuels. Comme dans une bibliothèque ou un musée où vous pouvez aller voir des œuvres de toutes les époques, il est très précieux de permettre à de nouvelles générations de découvrir des pièces qui nous concernent toujours aujourd’hui, dans ce qu’elles ont de novateur, de problématique ou de beauté tout simplement.

« Lamentation », chorégraphie de M. Graham
© Laurent Philippe

Que pensez-vous de la danse conceptuelle, très en vogue actuellement en
France  ?

Il y a depuis 20 ans une sorte de primauté donnée à la “non danse“ ou danse conceptuelle. Celle-ci m’a toujours beaucoup intéressé car dans la radicalité, il y a toujours des choses fortes qui permettent d’avancer. En revanche, je trouve stupide la tendance à privilégier exclusivement cette forme-là en oubliant tout ce que le corps, le corps dansant dans l’espace y compris dans une certaine relation à la musique, pouvait continuer à créer, innover, apporter. En ce qui me concerne, j’’ai toujours privilégié la danse du corps et des mouvements mais avec des démarches différentes. Par exemple, Robyn Orlin est venue plusieurs fois à Nancy et y a créé en 2002 le ballet Rock my tutu. J’aime aussi beaucoup Karole Armitage qui maîtrise le vocabulaire classique mais est aussi très avant-gardiste. Je privilégie le jeu des oppositions qui se refusent des antagonismes. Pour moi, il est plus intéressant de jouer sur les antagonismes que de les séparer.

Avez-vous changé des choses dans l’organisation du Ballet de Nancy  ?
Je suis arrivé dans une compagnie classique qui avait une organisation très hiérarchisée, des étoiles, des solistes… Cela me semblait anachronique et j’ai revu cela. Ensuite, je pense que si les danseurs sont capables de servir collectivement un propos, il faut aussi qu’ils existent individuellement dans leur singularité d’artiste. Aussi, je continue d’alterner des propositions qui posent l’ensemble de la troupe comme Tragic / Love mais aussi des œuvres qui vont des solos, des pas de deux, qui les aident à grandir. Une troupe n’est pas faite d’un assemblage de gens construits sur un même modèle mais la réunion d’artistes singuliers à travers leur physique, leur parcours.

« Steptext », chorégraphie de William Forsythe
© Laurent Philippe

Avez-vous des nouvelles créations en projet  ?
Nous préparons actuellement pour une première en 2010 à l’Opéra de Nancy un programme de trois œuvres – un solo, un quartet et un ballet pour trente danseurs – chorégraphiées par des danseurs de la compagnie. Je pousse en effet ceux qui en ont l’envie à travailler cette dimension de leur art. Ensuite, nous travaillons depuis quelques mois sur une création au Théâtre de Chaillot en 2011 avec plusieurs artistes qui vivent et travaillent sur le continent africain, de l’Afrique du Sud au Maghreb et, toujours en 2011, nous allons remonter deux pièces de Neumeier, Vaslav et le Sacre du printemps, juste magnifique.

Et des tournées  ?
L’une de nos missions est la diffusion en France et à l’étranger. Nous faisons en moyenne cent levées de rideau par an, à Nancy, en France et à l’étranger. Là nous partons pour trois semaines en tournée au Brésil puis en France et en Italie.

Propos recueillis par Stéphanie Nègre

Le Ballet de Lorraine en tournée pour la saison 2009-2010  :
A Annemasse le 20/03/09 avec Lamentation de M. Graham, Rave de K. Armitage, Steptext de W. Forsythe et Two de R. Maliphant. Location +33/450.43.24.24
A Besançon, le 23/03/10 avec Les petites pièces de Berlin de D. Bagouet. A Macon, le 31/03/10, avec Pétrouchka de M. Fokine, Rave de K. Armitage et Steptext de W. Forsythe. A Epinal le 27/04/10 avec Tragic / Love.