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Théâtre des Osses, Givisiez
Entretien : Isabelle Daccord

Isabelle Daccord nous parle de son travail de réécriture de L’Orestie d’Eschyle.

Article mis en ligne le mars 2008
dernière modification le 22 mars 2008

par Julien LAMBERT

La photographe et auteur de plusieurs œuvres dramatiques personnelles s’est imprégnée de diverses traductions de L’Orestie d’Eschyle, avant d’en livrer une réécriture qui suit l’enchaînement original des séquences mais en réinvente le verbe, au-delà d’une traduction traditionnelle.

Pourquoi avoir réécrit L’Orestie, pour lui donner quelle actualité, quelle vérité ?
Gisèle Sallin m’a demandé de lire L’Orestie pour la lui raconter, en faire une histoire nouvelle, vivante et non rabâchée. J’ai eu un coup de foudre pour ce texte tout en gardant ma peur de la tragédie, d’autant plus dure à restituer sur un petit plateau bien différent de l’hémicycle grec. Nous avons alors eu l’idée d’une histoire qui serait comme racontée à l’oreille par un parent à son enfant, avec simplicité et donc force, d’où l’importance du chœur, personnage principal. J’aime pourtant les dialogues nerveux, mais j’ai voulu laisser emporter mon écriture par le récit, et me suis rendu compte, d’autant plus avec le passage à la scène, que je racontais bel et bien un conte.
La pièce pose en outre un gros problème en faisant référence à des mythes à l’époque connus par cœur par la population, mais dont une grande partie nous échappe aujourd’hui. Il fallait donc commencer sur un ton plus naïf, en rajoutant des explications, pour préparer l’oreille des spectateurs.

“L’Orestie“ : Electre et les Choéphores
© photo Isabelle Daccord

Quel style avez-vous voulu donner à ce texte, et donc au langage d’une fable a priori loin de notre actualité et de notre parler ?
Il s’agissait d’intuition plus que de volonté ; une idée de clarté, dans le sens de luminosité tout aussi bien que de limpidité : clarté des sons, afin qu’ils frappent. On ne peut pas renier la langue française dans ce qu’elle a de beau ! Ensuite, le langage évolue au fil des trois pièces, la première paraissant plus archaïque, la seconde s’apparentant à une tragédie moderne et la troisième à une comédie douce amère qui provoque la rupture avec la tragédie, traditionnellement caractérisée par l’incapacité des personnages à dévier de leur trajectoire ; elle finit donc lorsque Oreste et Clytemnestre se montrent capables de comprendre leur passé, brisant la malédiction. Mais en plongeant déjà pleinement dans le ton de la quatrième pièce jouée traditionnellement en Grèce après les tragédies, une satire, j’ai aussi voulu trouver une façon de respirer, après l’excès ressenti lors des meurtres commis par Oreste. Eschyle lui-même avait donc conçu un happy end festif pour exprimer un soulagement suite aux problèmes résolus. On n’est pourtant pas très soulagé quand on pense que 2500 ans après, la même barbarie est justifiée par un sens de la vengeance qu’on a cru trop tôt enterré…

Comment en tant qu’écrivain réécrire le texte d’un autre, avec personnalité et sans frustration ?
La thématique de la malédiction, des tourments transmis de parents à enfants, m’est très personnelle. Mais étant donnée la multitude de couches qui constitue le récit, je ne crois pas m’être livrée à un exercice didactique. Je ne me sens pas plus frustrée qu’un peintre pris d’amour pour une toile et poussé à la reprendre, à l’explorer. Tout artiste veut puiser dans un matériau plus ancien, Eschyle lui-même n’ayant rien fait d’autre en réutilisant les récits homériques : tous veulent transmettre des histoires. Il m’était ainsi logique dans mon parcours artistique de m’appuyer sur un texte qui me fait grandir.

Quel regard le passage à la scène vous a-t-il fait porter sur votre propre texte ?
C’était la première fois que je ne m’entendais pas écrire, comme cela arrive avec bien des mises en scène : c’est que le texte appartient désormais aux acteurs, à un collectif, ce qui le rend plus important que lorsqu’il ne porte l’empreinte que d’une seule personne. J’admire ce jeu qui touche à la simplicité pour être vraiment au service de l’histoire racontée, malgré le courage que demande à un acteur de tragédie l’affrontement de tels bouleversements fondamentaux.

Propos recueillis par Julien Lambert

Au Théâtre des Osses, Givisiez (Fribourg), les 2, 7, 8, 9, 14, 15 et 16 mars, ve et sa 20h, di 17h. Loc. 026 469 70 00.