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Opéra du Rhin
Strasbourg : une “Elektra“ de classe

Elektra bénéficie à l’Opéra du Rhin d’une relecture radicale confiée à Stéphane Braunschweig.

Article mis en ligne le mars 2008
dernière modification le 21 mars 2008

par Eric POUSAZ

Trop souvent représenté comme un opéra baignant dans une atmosphère glauque, Elektra bénéficie à l’Opéra du Rhin d’une relecture radicale confiée à Stéphane Braunschweig ; dans le décor qu’il a lui-même dessiné, il plonge le drame dans un climat d’une propreté presque aveuglante.

L’action ne se joue donc pas dans une arrière-cour pisseuse, donc, mais dans un lieu fantasmagorique où les escaliers ne mènent nulle part et où les portes reflètent celui qui les ouvre avant de le projeter dans un angoissant gouffre noir. Sur le plateau, point d’accessoire, si ce n’est la baignoire où Agamemnon a été assassiné tandis qu’il prenait son bain, le lit où Clytemnestre fornique avec Egisthe et une chaise sur laquelle Electre attend patiemment le retour d’Oreste. La direction d’acteurs, malheureusement moins précise qu’il ne le faudrait, démonte avec minutie les mécanismes de la folie chez les habitants de ce palais dominés par les cauchemars que dicte une mauvaise conscience coupable ou l’espoir d’une vengeance impossible toujours remise à plus tard.

“Elektra“
avec Nanc Weissbach et Janice Baird.
Photo Alain Kaiser/Opera national du Rhin

Subtile alchimie
Daniel Klajner, à la tête d’un Orchestre Philharmonique de Strasbourg en grande forme, débarrasse l’accompagnement musical de ses outrances orgiaques ; les déferlements de décibels sont retravaillés en profondeur pour en alléger les textures et faire ressortir le filigrane de façon que la subtile alchimie des thèmes récurrents reste toujours parfaitement lisible. Ainsi, la tendresse lyrique contenue dans le monstrueux duo de la fille et de la mère aura rarement été aussi sensible que dans cette approche entièrement construite sur le dynamisme subtil des contrastes rythmiques ; même l’extase empoisonnée de la danse finale évoque plus un tendre adieu qu’une descente désordonnée dans les tréfonds d’une folie meurtrière. L’ouvrage perd peut-être en sauvagerie et voit son impact direct réduit, mais il livre alors ses trésors musicaux avec une prodigalité qui reste souvent inaudible dans les interprétations plus ouvertement spectaculaire qu’aiment à nous livrer les ‘génies’ de la baguette actuels.
La distribution se révèle d’une belle homogénéité jusque dans les interventions des servantes aux timbres remarquablement différenciés de la scène d’ouverture. (En fait, seuls les serviteurs masculins manquent de coffre.. !)

Distribution
Janice Baird est l’Elektra du moment. De stature presque frêle, elle déploie une voix aux ressources illimitées et traverse cette partition interminable avec une légèreté de timbre et une solidité de souffle à toute épreuve : l’aigu jubile sans effort dans les moments les plus exposés et les plus puissants pour se muer en murmure d’une parfaite stabilité lumineuse dans la minute qui suit. On a presque l’impression que la cantatrice serait prête à donner un bis en fin de soirée !...
Nanc Weissbach en Chrysothemis fait entendre une voix de soprano généreuse, large jusqu’à en paraître parfois imprécise lorsque l’écriture tendue du compositeur l’incite à ‘se lâcher’. Mais quel aplomb, quelle dignité et quelle pureté dans cet univers où le cri remplace le plus souvent le chant ! Jadwiga Rappé en Klytämestra est encore plus impressionnante car elle ne produit jamais un son déformé ou laid dans ses longues tirades où tout porte la cantatrice au parlando ou à l’émission rauque. Au contraire, l’artiste donne ici une leçon de beau chant où chaque note est dégustée en esthète par une musicienne qui cultive seulement la diversité de couleurs de l’émission vocale pour donner corps aux visions dantesques que lui inspirent ses cauchemars. Jason Howard est un Oreste digne dont le timbre généreux n’est jamais sollicité à l’extrême afin de souligner la pudeur d’un personnage remarquablement digne dans ce contexte de dépravation générale. Même Wolfgang Ablinger-Sperrhacke en Aegisth joue sur le second degré et évite le piège de la caricature acide pour entonner avec une remarquable franchise vocale les trop rares phrases musicales que le compositeur a confiées au personnage.
Le délire d’un public conquis a dignement clôturé ce spectacle d’une retenue exemplaire qui en dit plus sur les ravages de la décadence en jouant la carte de la réserve et de la transparence au lieu de favoriser les excès de tous ordres.

Eric Pousaz