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Opéra de Lyon
Lyon : Tchaïkovski Superstar !

Créés respectivement à Lyon en 2006, 2007 et 2008, Mazeppa, Eugène Onéguine et La Dame de pique sont proposés sous une forme de trilogie Tchaïkovski, dans le cadre d’un « festival Pouchkine ».

Article mis en ligne le septembre 2010
dernière modification le 17 septembre 2010

par François JESTIN

En montant sur une fenêtre de temps resserrée ces trois productions réalisées par Peter Stein, qui figurent parmi ses plus grandes réussites, l’Opéra de Lyon peut légitimement faire état du formidable travail accompli ces dernières saisons. Ce qui marque également est l’unité artistique de ce projet, avec Kirill Petrenko qui assure la direction musicale de l’ensemble, et beaucoup de chanteurs que l’on retrouve distribués deux soirs de suite – voire dans les trois opéras comme la mezzo Marianna Tarasova !

Mazeppa
Mazeppa est tout d’abord une révélation pour les spectateurs qui découvrent cette rareté. Sur fond historique de conflit (déjà !) entre Ukrainiens et Russes, le vieux Mazeppa et la jeune Maria sont amoureux, mais Mazeppa fera torturer et assassiner Kotchoubeï, le père de Maria, laissant finalement sombrer celle-ci dans la folie. L’âge de Nikolaï Putilin lui procure un avantage pour le rôle-titre, baryton puissant et autoritaire, même si l’usure de l’instrument commence à pointer, et Olga Guriakova (Maria) est engagée et très belle en scène. C’est cependant le rôle de Kotchoubeï qui fait triompher Anatoli Kotscherga, grande basse impressionnante pour ce qui est du timbre et du volume, au détriment par instants d’une légère instabilité du son ; sa confrontation avec Mazeppa est un grand moment dramatique. Le ténor Misha Didyk (Andreï) possède quelques aigus projetés puissamment, mais certaines phrases sont peu harmonieuses dans le medium, tandis que Marianna Tarasova (Lioubov) remplit son office de mère de Maria, souvent véhémente et avec une excellente projection.

« Mazeppa »
© Bertrand Stofleth

Les décors de Ferdinand Wögerbauer ont été reconstruits à l’identique de ceux des années de création, abandonnés à la suite de problèmes d’amiante. Les tableaux se succèdent pour le plaisir des yeux : on démarre sur une place ensoleillée, très minérale, des tapisseries qui descendent des cintres et les chœurs féminins qui revêtent de jolies robes ukrainiennes (costumes d’Anna Maria Heinreich). La 2ème scène de l’acte I est fortement contrastée : des tapis partent en fuite vers le fond de plateau, dans une atmosphère de clair-obscur sous un lustre imposant. La 2ème scène du II est peut-être la plus saisissante, elle figure le cachot de Kotchoubeï en resserrant l’action au centre du plateau, par une étroite ouverture sur toute la hauteur. L’opéra s’achève sous la neige qui tombe sur le champ de bataille au 3ème acte, Maria qui chante une berceuse à Andreï mourant, abattu par Mazeppa. La direction musicale de Kirill Petrenko est brillante, souvent très généreuse en volume, avec les cuivres à l’honneur, qui défilent en costumes sur scène au dernier acte.

Eugène Onéguine
C’est à nouveau la musique qui nous enchante au démarrage d’Eugène Onéguine : les cordes sont somptueuses (elles seront cependant prises légèrement en défaut plus tard dans les passages très virtuoses, très rapides) et quelques tempi surprennent agréablement, comme les danses rapides, ou certains ralentis sur les premiers duos. Les chœurs sont également de très bonne tenue, dans l’ensemble de leurs apparitions dans les trois opus. La distribution vocale est sans doute moins exceptionnelle que celle de Mazeppa, avec certes un beau baryton Alexey Markov dans le rôle-titre, sonore et bien timbré, mais qui manque souvent de charisme et de séduction dans les couleurs. Le ténor Edgars Montvidas (Lenski) est beaucoup plus marquant, grand, élégant, il conduit sa ligne de chant sur le souffle, peu avare de nuances piano ou pianissimo. La basse Michail Schelomianski (Prince Grémine) est superbe dans son grand air, et Jeff Martin ne rencontre pas de problème dans le ténor bouffe de Monsieur Triquet.

« Eugène Onéguine » avec Elena Maximova (Olga)
© Bertrand Stofleth

Côté féminin, Olga Mykytenko est une Tatiana très crédible, aussi bonne chanteuse debout que couchée dans la scène de la lettre, puissante, mais certains aigus sont tendus à la limite, comme le montre la petite fragilité rencontrée dans la scène finale. Elena Maximova (Olga) fait surtout valoir de beaux graves, et on apprécie la formidable apparition de Margarita Nekrasova (Filipievna), nourrice plus vraie que nature, physiquement et vocalement enveloppante et volumineuse. L’illustration visuelle est à nouveau très belle, Peter Stein réglant constamment l’action de manière fluide et naturelle, le public ne s’ennuie pas une seconde, comme pendant le duo Tatiana – Eugène, joué autour d’un banc central, sur fond de groseilliers qui se découpent sur le ciel bleu. La perspective de la salle du bal du II est remarquable, sans kitsch ; le duel Lenski – Eugène prend place ensuite sur des pentes enneigées, et les deux intérieurs successifs du III sont aussi très esthétiques. En contrepartie de ces changements de décors, les longs précipités cassent un peu la progression de l’action, ce qui était moins gênant dans Mazeppa, qui tient plus de la fresque historique.

La Dame de Pique
La luxuriance des décors est bien moins évidente dans La Dame de pique, dont le rideau se lève sur un sobre plateau : quelques arbustes au début, puis des tentures noires et rouges à l’acte II, ambiance de magie noire en phase avec les hallucinations d’Hermann. Les costumes restent quant à eux très riches, et réalisés avec le soin du détail dans les coloris ; ainsi les chœurs ne sont pas uniformes, même celui des enfants soldats.

« La Dame de Pique » avec Vladimir Galouzine (Hermann)
© Bertrand Stofleth

Nikolaï Putilin est énergique en Tomski, et Alexey Markov (Eletski) est sans doute le meilleur élément masculin, un superbe timbre de baryton, à l’aise dans tous les registres. Les sœurs Lisa (Olga Guryakova) et Pauline (Elena Maximova) sont surtout bien accordées, la première privilégiant souvent la nuance forte. Marianna Tarasova est loin d’avoir l’âge de la Comtesse, ce qui l’handicape un peu par le côté artificiel de « fausse vieille », même si les qualités vocales sont indéniables, mais c’est surtout la caractérisation d’Hermann par Misha Didyk qui nous laisse sur notre faim. Toutes les notes sont là, souvent généreuses, et l’acteur est engagé, mais la fièvre et la folie du personnage ne passent pas ; le souvenir de Vladimir Galouzine dans cet emploi (vu en avril 2009 à Monte-Carlo) est aussi sans doute trop présent. La direction musicale est également très belle – cordes soyeuses, romantiques, cuivres étincelants, bonne dynamique du son – mais on aurait apprécié un supplément d’urgence dramatique sur quelques passages, en particulier lorsqu’Hermann est seul sur le plateau.

François Jestin

Tchaïkovski : MAZEPPA : le 13 mai 2010 à l’Opéra de Lyon
Tchaïkovski : EUGENE ONEGUINE : le 14 mai 2010 à l’Opéra de Lyon
Tchaïkovski : LA DAME DE PIQUE : le 2 mai 2010 à l’Opéra de Lyon