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Festspielhaus de Baden-Baden
Baden-Baden : Quand Gergiev exalte Puccini

Aperçu du dernier festival d’hiver, tout occupé par le Mariinski de Saint-Pétersbourg et Valery Gergiev.

Article mis en ligne le avril 2007
dernière modification le 6 juillet 2007

par Pierre-René SERNA

Le Festspielhaus de Baden-Baden est le centre d’une programmation musicale tout au long de l’année. Mais ses quatre festivals – d’automne, d’hiver, de Pentecôte et d’été – focalisent l’opéra et les plus grands interprètes. Le dernier festival d’hiver était ainsi tout occupé par le Mariinski de Saint-Pétersbourg et son tsar, Valery Gergiev.

Qui ne connaît Bade ? Ce fut au XIXe siècle la ville balnéaire où toute l’aristocratie européenne se donnait rendez-vous. Avec le temps, la bourgade des contreforts de la Forêt noire n’a rien perdu de son charme, alliant une prospérité de bon aloi avec de nouveaux édifices prestigieux, aux souvenirs du passé, parmi des maisons patriciennes où flotte les ombres de Dostoïevski, Tourgueniev, Flaubert et Berlioz.
Au cœur du nouveau prestige par lequel Baden-Baden entend asseoir sa renommée, figure en bonne place le Festspielhaus. Inauguré en 1998, avec ses 2500 places et son architecture audacieuse, il a bien failli mettre peu après la clef sous la porte. Mais un sauveur est apparu, et une manne financière bienfaitrice. Un sauveur auquel Valery Gergiev n’est pas étranger. Et depuis, le chef russe a son festival consacré dans les lieux.
C’est ainsi que pendant une semaine de janvier, le Mariinski y dépose ses valises, ses productions et sa troupe. Puccini est célébré pour cette dernière édition, avec trois opéras repris chacun deux fois. Butterfly ouvre les feux, dans une mise en scène du Polonais Marisz Trelinski, que Placido Domingo n’a pas hésité à qualifier de “plus belle production de Butterfly”. On peut toutefois nuancer cet enthousiasme : certes, les images sont belles et les lumières recherchées, qui jouent sur l’esthétique nô, dépouillée avec des gestes précis et évocateurs. Mais cela reste essentiellement décoratif (peut-on faire autrement avec Butterfly ?) ; et dans le genre, un Robert Wilson a fait au moins aussi bien.

Valery Gergiev, photo Johan Ljungstroem

Musicalement, tout est parfaitement en place et chaque rôle distribué avec soin. Akhmed Agadi est un Pinkerton de totale aisance (qualité qui signale d’une manière générale, et presque confondante, ce vivier extraordinaire de chanteurs venus de Saint-Pétersbourg). Tatiana Borodina est une Cio-Cio-San à la voix éminemment lyrique et nuancée. Tout le contraire de celle qui lui succède le lendemain dans le même rôle : Natalia Timchenko, grand soprano dramatique qui emplit l’espace de son volume. Il est alors intéressant de noter à quel point la direction de Gergiev s’adapte : tout en subtilité et micro-détails pour la première représentation, emportée d’un souffle irrésistible pour la seconde. Ou les deux facettes d’un immense talent de la direction d’orchestre. On n’aurait aussi jamais cru, et ressenti à ce point, combien la musique de Butterfly peut être inspirée. Voilà qui offre à réviser certaines positions et jugements. En tout état de cause, le troisième acte par Gergiev est une sorte de monument, d’une beauté sonore transcendante (et qui surpasse même le modèle auquel l’acte de Puccini se réfère indubitablement : le troisième acte de Tristan).

Avec Turandot, changement de décor. Ici les chœurs du Mariinski sont à la fête : d’une puissance impressionnante, à faire trembler les cintres et les fauteuils. L’orchestre lui aussi se déchaîne, féroce ou éclatant, mais toujours imposant de présence. Gergiev lâche sa bride, et chacun de suivre au millimètre. Fabio Armiliato (un ténor italien, tiens !) possède une émission royale, jamais prise en défaut au cours des longues interventions de Calaf. Irina Gordei paraît de prime abord de format court, pour ensuite laisser éclater les aigus triomphants de Turandot. Olga Kondina présente des caractéristiques étrangement similaires, qui sur la fin donne tout son lyrisme à Liu. Andrei Spekhov, Alexander Timchenko et Andrei Ilyushnikov, respectivement Ping, Pang et Pong, sont aussi idoines les uns que les autres. Quant à la mise en scène de Charles Roubaud, on est en terrain connu. Puisque cet habitué de Marseille et d’Orange, avait déjà présenté son spectacle aux Chorégies. Du grand spectacle donc, où rien ne manque dans le faste des décors et des costumes. On peut rester en retrait face à cette débauche qui évoquerait Hollywood à la belle époque, mais reconnaissons une élégance dans le choix des coloris et dans l’agencement du tout, mouvements et éclairages confondus.

Pierre-René Serna