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Fondation Gianadda, Martigny
Martigny : Nicolas de Staël

Nicolas de Staël fait l’objet d’une géniale rétrospective.

Article mis en ligne le septembre 2010
dernière modification le 28 novembre 2010

par Sarah CLAR-BOSON

Après quinze ans d’absence, date de la première rétrospective du génial artiste, les retrouvailles estivales entre la Fondation Gianadda et l’insaisissable Nicolas de Staël se veulent un feu d’artifice d’une intensité rare. La sélection d’une septantaine de tableaux et des dessins constituée par Jean-Louis Prat rend hommage à une période de créativité qui apparaît comme un véritable concentré de peinture, l’acmé d’un art sans concession, sans échappatoire et sans issue qui se termina tragiquement par le suicide de l’artiste en 1955.

Inclassable et hors normes, le natif de Saint Petersbourg l’a toujours été, aussi bien dans son destin personnel que dans l’évolution fulgurante de sa peinture. Cette urgence extrême semble avoir dicté une progression d’un art sans concession, où de Staël ne se contente pas d’expérimenter mais élabore en l’espace de quelques années deux mondes picturaux a priori résolument opposés, l’un d’obédience abstraite, l’autre où le sujet véritable devient l’acte de peindre, tel un bijou dans un écrin, au milieu d’un univers figuratif épuré et du règne absolu de la couleur.

Il ne faudra que quelques années au peintre pour explorer les limites de l’abstraction, un univers trop étriqué pour sa quête picturale sans compromis. Rattaché à l’Ecole de Paris, figure de proue de l’immédiat après-guerre parisien, de Staël réalise entre 1946 et 1950 des tableaux à la matière intense et aux couches successives, appliquées selon des compositions dignes d’un œil d’architecte qui par leur complexité rappellent directement les structures des gravures de Piranèse, auquel il rend explicitement hommage jusque dans le titre de l’une de ses toiles.

Même si la gamme chromatique ne laisse en rien présager l’explosion de celle des dernières années de l’artiste, elle traduit une recherche intense d’équilibre entre matière pâteuse mais disciplinée et couleurs superposées permettant de détacher les formes. Mais de Staël sent que cette peinture harmonieuse et d’une très grande élégance ne peut être poussée plus avant et qu’il est dans une impasse.

Le retour à la figuration s’effectuera donc à la lumière des leçons abstraites, et de Staël parvient à insuffler un dynamisme étonnant à cette production du début des années cinquante, comme en témoigne le magnifique Parc des Princes (1952), sorte de version contemporaine grand format des grandioses batailles de la peinture d’Histoire des XVème et XVIème siècles (Altdorfer, Uccello). Le peintre simplifie sa palette, les couleurs gagnent en pureté, en intensité, en luminosité, et sculptent véritablement la composition.

Le point culminant que constitue le voyage de l’artiste en Sicile en 1953 constitue l’ultime aboutissement de sa démarche, mais comme dans le cas de sa période abstraite, on sent imperceptiblement de Staël à nouveau atteindre une limite. A cette époque, le choc provoqué par l’intense luminosité des paysages siciliens baignés de soleil reflètent certainement ceux de la Provence jadis pour Van Gogh ou les environs d’Aix pour Cézanne.

De Staël parvient à une extraordinaire synthèse entre abstraction et figuration grâce à une maîtrise où les aplats de couleurs pures appliqués au couteau laissent se découper d’eux-mêmes les paysages, les collines, et même les temples grecs. Ce fragile équilibre ouvre une brève période (de 1953 à 1955) de plus en plus frénétique où de Staël peint près de 300 toiles d’une puissance et d’une beauté inouïes, pressentant l’issue fatale dictée par les propres limites de sa quête d’absolu. Le paroxysme de cette ultime et éblouissante production a mené l’artiste vers un abîme duquel il a choisi de ne pas revenir, mais qui suscite toujours la vénération de son public.

Sarah Clar-Boson

Nicolas de Staël, Martigny, Fondation Pierre Gianadda, jusqu’au 21 novembre 2010.