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Le cinéma au jour le jour
Cine Die - juillet 2018

Compte-rendu

Article mis en ligne le 3 juillet 2018
dernière modification le 30 juin 2018

par Raymond SCHOLER

Au menu : 20e Far East Film Festival

Corée du Sud
Bien que la Corée du Sud ait encore une fois remporté le trophée du titre le plus plébiscité avec 1987 : When The Day comes de Joon-Hwan Jang, le film se loge dans une ornière bien rodée, celle de la satisfaction de vivre dans un pays démocratique imposé par la volonté populaire contre la dictature de Park Chung-hee, suivie de son excroissance, le général Chun Doo-hwan. Les événements que narre le film se déroulent en 1987, donc 7 ans après le soulèvement de Gwangju (décrit dans le bien plus stimulant A Taxi Driver de Hun Jang, vu au festival de Fribourg). Un étudiant est mort sous la torture dans les locaux du Bureau des Investigations anti-communistes et le procureur refuse de le laisser enterrer sans autopsie, mettant ainsi en branle une longue concaténation de réactions où médecins, journalistes, activistes et gardiens de prison osent des actes de résistance qui déboucheront sur une crise politique décisive. Le spectateur a l’impression de vivre x fois la même séquence avec des acteurs un tout petit peu différents, tant le réalisateur a banni toute ellipse dans ce panégyrique qui se veut sans doute aussi exhaustif que possible, fût-ce au prix de l’intérêt du spectateur moins averti, c’est-à-dire occidental. Si ça vient de Corée, c’est de toute façon excessif, pourrait-on conclure.

Dong-seok Ma dans « The Outlaws »

Dans The Outlaws de Yoon-sung Kang, le policier incarné par Dong-seok Ma (célèbre depuis sa charismatique prestation dans Train to Busan de Sang-ho Yeon, 2016) n’a qu’à donner des gifles aux mauvais garçons pour les réduire à l’état de pantins désarticulés. Ce qui s’avère très utile quand il doit affronter des gangsters chinois cruellissimes qui veulent mettre Séoul en coupe réglée. Dans Steel Rain de Woo-seok Yang, les militaires nord-coréens essaient d’éliminer leur Grand Leader en faisant croire qu’il s’agit d’une attaque menée par des éléments sudistes stationnés à Panmunjom. Un agent secret du Nord sauve in extremis Kim Jong-Un blessé et réussit à le mettre en sécurité en Corée du Sud en attendant que la situation se clarifie. En passant, il se lie d’amitié avec le chef des services secrets du Sud pendant que le potentat est soigné comme un coq en pâte dans un hôpital de Séoul. Les fantasmes autour d’amitiés entre les deux ennemis resurgissent chaque année.

« Battleship Island »

The Battleship Island , où Seung-wan Ryoo règle ses comptes avec l’occupant japonais, est un des films les plus chers et les plus polémiques du Pays du Matin Calme. L’île de Ha-shima, à une vingtaine de km de Nagasaki, est une ville industrielle fantôme célèbre (Javier Bardem y tortura James Bond dans Skyfall). En effet, un important gisement de houille y fut exploité dès le 19e siècle, et pendant la Seconde Guerre mondiale, l’île devint le théâtre de crimes de guerre contre des travailleurs forcés et des femmes de confort coréens que Ryoo se délecte à montrer dans un climat d’outrance permanente. D’un côté, le caractère caricatural des gardes-chiourme nippons, de l’autre, le leader des mineurs coréens, le traître le plus immonde qu’on puisse imaginer. Cerise sur le gâteau : les opprimés réussissent leur soulèvement – dans le dernier tiers du film - la veille du 9 août 1945 !

Chine
En revanche, aucun traître dans les films chinois, à l’exception bien sûr des récits qui se déroulent dans un lointain passé, à la cour de l’Empereur. Wolf Warrior 2 de et avec Jing Wu, est le plus grand succès de l’histoire du cinéma chinois (rapportant 0,9 milliard de dollars). Comme le premier volet, il met en scène un membre des forces spéciales qui ferait pâlir d’envie Rambo.

Jing Wu dans « Wolf Warrior II »

Plutôt petit, mais ultramusclé, Jing réussit dans la première séquence du film à piéger dans un filet, à lui tout seul, plusieurs pirates somaliens, au cours d’un beau ballet aquatique entièrement filmé sous l’eau. Quand des révolutionnaires mettent en danger des vies chinoises (qui dans un hôpital, qui dans un laboratoire de recherche) dans un pays est-africain pas spécifié, Jing vient sauver la mise à ses compatriotes et aux ouvriers noirs (affrontant les vilains mercenaires dans un combat de chars, p.ex.). Il sera dûment décoré ! Rambo était un hors-la-loi, Jing est un nationaliste chauviniste. La suprématie des forces armées chinoises sur celles des Etats-Unis est clairement revendiquée. Pas de scandale raciste comme à Abou Ghraib !

« Operation Red Sea »

Même Dante Lam, le réalisateur le plus survolté de Hong Kong, fait maintenant l’apologie de l’armée populaire. Dans Operation Red Sea , il suit jusqu’au bout son fétichisme de l’action ultraviolente au service de la loi en pratiquant une surenchère du combat armé jamais vue jusqu’ici. S’il y avait un film qui se devait d’être fait par Lam, c’est bien celui-là. Vaguement basé sur une mission réelle de la marine chinoise dans l’évacuation de compatriotes au Yemen en 2015, le film suit une unité d’élite navale au Yewaire (sic) et aligne les séquences de bataille à un tel rythme et une telle intensité dramatique que le spectateur sort lessivé de tout ce carnage. Rien ne lui est épargné en termes d’organes éclatés, de membres en charpie et de visages morcelés. Un film de guerre anti-guerre, mais à la gloire de l’armée chinoise et qui se termine par le conseil amical : « Ne vous en prenez pas à notre pays ! »

« Youth »

Youth de Xiaogang Feng était sans doute le plus beau film du festival. Feng décrit la vie au quotidien d’une troupe de ballet de l’Armée populaire pendant la Révolution culturelle des années 1970, dans une province du Sud-Ouest. Les films de ballet de l’époque maoïste (Le Détachement féminin rouge de Jie Fu et Wenzhan Pan, 1970) ne nous avaient guère habitués à des danseuses aussi fraîches et naturelles que les actrices de Feng. Mais pourquoi refuser de magnifier le passé quand on raconte le sien ? Car Feng est de la même génération que ses personnages et s’il a confié le rôle de narratrice à la très exquise Chuxi Zhong (qui va sans doute ensorceler l’Occident à son tour, comme Ziyi Zhang), il traite tout le monde avec la même affection dans cet ode sensuel à l’idéalisme et à l’endurance. En tant qu’artistes du parti, ces jeunes gens jouissent de privilèges inconnus du commun des mortels. De beaux habits, de la nourriture saine, des logis à la propreté impeccable. Et une certaine liberté dans les loisirs. Une hiérarchie certaine, fondée sur le pédigrée politique, se fait sentir. La fille d’un général semble donner le « la », tandis que Xiaoping, la fille d’un droitiste en camp de rééducation, se retrouve au bas de l’échelle et subit un certain ostracisme. Le jeune Liu Feng, dont la bonté et la serviabilité sont connues de toute la troupe, a la malencontreuse idée de déclarer son amour à une camarade haut placée, ce qui lui vaut une mise au pilori pour harcèlement sexuel et l’embrigadement dans une section de combat. Xiaoping, dégoûtée par cette hypocrisie, s’engage alors comme infirmière, car la Chine est à ce moment (1979) en guerre contre le Vietnam. Les soins incessants qu’elle prodiguera aux blessés auront raison de sa santé mentale. L’officier Liu Feng, également, sauve des soldats dans des actes héroïques qui le laissent invalide. La troupe de ballet sera dissoute, et l’histoire de la Chine moderne disperse les individus dans des directions très diverses. L’épilogue, situé en 1991, voit la progéniture de l’élite diriger le marché néocapitaliste, tandis que les prolétaires Liu Feng et Xiaoping, abandonnés par la collectivité, arrivent à peine à s’en sortir. Amer et déchirant.

Japon
Dans The Scythian Lamb de Daihachi Yoshida, un maire a la bizarre idée de repeupler son village en accueillant six meurtriers condamnés et libérés sur parole, parce que les prisons sont surpeuplées. Tout détenu se comportant sans reproche sera définitivement libre au bout de 10 ans.

Mikako Ichikawa dans « The Scythian Lamb »

Les six ne se connaissent pas : un ex-yakuza mutique et balafré, un coiffeur égorgeur aux mains tremblantes, une jeune femme qui fait une sépulture pour chaque petit animal mort qu’elle trouve, un marin goguenard qui prétend reconnaître d’autres détenus à distance, une cougar qui drague le père malade de l’employé communal qui s’occupe de leurs cas et un jeune homme bien tranquille qui entame une relation amoureuse avec la copine de l’employé. Le spectateur est constamment aux aguets, car un criminel peut rechuter pour un rien. Inuyashiki de Shinsuke Sato voit un père de famille grisonnant et méprisé par les siens transformé par une mystérieuse lumière blanche en cyborg doté de pouvoirs fabuleux. Il les mettra au service de personnes en danger. La même lumière transforme aussi un lycéen un tueur en série. La lutte est lancée. Bien plus stimulant que les superhéros Marvel ou DC !

Koji Yakusho (au milieu) dans« The Blood of Wolves »

The Blood of Wolves de Kazuya Shiraishi est le portrait d’un flic de Hiroshima réputé pourri et en collusion avec les yakuza. Son nouvel assistant découvre progressivement que cette réputation est en fait la couverture qui lui permet de plonger au plus profond de la pègre pour mieux protéger les civils de ses exactions. La plus grande star nippone, Koji Yakusho, y livre une prestation baroque et débraillée, à l’opposé de ses rôles posés chez Kiyoshi Kurosawa ou Masato Harada. Le meilleur film de yakuzas depuis ceux de Kinji Fukasaku.

Bon été

Raymond Scholer