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En direct du Festival de Cannes
Les films de juillet 2010 : affiche cannoise

Voyage au pays des stars et du strass...

Article mis en ligne le juillet 2010
dernière modification le 24 septembre 2011

par Firouz Elisabeth PILLET, Philippe BALTZER

Sur La Croisette s’est tenu la 63e édition du festival de Cannes, du 12 au 23 mai 2010. Ce rendez-vous annuel du cinéma mondial a drainé, comme d’habitude, la foule des badauds qui tentent, désespérément, d’apercevoir leurs stars à la montée des marches. Certains sont très motivés, squattant les abords du Palais des Festivals deux jours à l’avance, munis de canettes et de paquets de chips…

Tout ce calvaire pour apercevoir furtivement, dans une foule indomptable, leurs stars prenant la pose à la montée des marches. D’autres, plus organisés, happent les journalistes à la sortie des salles afin de leur quémander une invitation pour la projection du soir ; d’autre, pour qui « le métier de festivalier » n’a plus de secrets, font le piquet tôt le matin, une pancarte à la main, aux alentours des salles de projection.
La grande Mecque du septième art a rassemblé quelques vingt milles journalistes cette année. Certains films ont fait couler beaucoup d’encre avant même d’être projetés – comme Hors-la-loi, de Rachid Bouchareb, qui a occasionné un défilé tonitruant et vociférant d’anciens généraux de l’armée française et de Pieds-Noirs (tous étant devenus militants UMP) qui ont combattu ensemble lors de ce qu’ils appellent encore, avec un déni édifiant, “les événements d’Algérie“ – se sont révélés décevants et bien inférieurs à la publicité dont ils ont bénéficié a priori. D’autres – des valeurs sûres du festival – ont répondu aux attentes des festivaliers comme des professionnels, voire les ont agréablement surpris par leur fraîcheur, leur poésie, leur humour décalé – tels ceux de Mike Leigh, Woody Allen, Kiarostami ou Pablo Trapero. Mais, dans les rues de la cité cannoise comme chez les commerçants, on constate la baisse de fréquentation et on se désole. Il semblerait même que certains grands palaces n’affichent pas complet cette année. Contrecoup de la crise ou programmation plus convenue ? Cependant, cette 63e édition a été l’occasion de découvrir quelques coups de cœur cinématographiques, qui sortiront dès l’automne sur les écrans romands. En voici une sélection…

Another Year


de Mike Leigh, avec Michele Austin, David Bradley, Karina Fernandez, Jim Broadbent. Royaume-Uni, 2010.

Après Naked (1993), Secrets et mensonges (Palme d’Or en 1996) et All or Nothing (2002), Mike Leigh revient sur la Croisette en 2010 avec ce qui constitue sans nul doute son meilleur film : Another Year. Comme à l’accoutumée chez le cinéaste (et comme chez son compatriote Ken Loach, autre cinéaste britannique très attendu lors de cette 63e édition), l’intrigue est d’une grande simplicité, proche du public qui peut aisément s’identier aux personnages ; le film dépeint le quotidien d’une famille issue de la middle class bourgeoise – à travers un couple de quinquagénaires unis et épanouis qui recueille les confidences et les déboires de leurs amis au rythme des saisons d’une année complète.

« Another Year » de Mike Leigh

L’improvisation étant l’un des piliers fondateurs de la création cinématographique de Mike Leigh, le cinéaste a agréablement surpris les festivaliers avec cette histoire simple mais émouvante et bouleversante. Le couple – Tom et Gerri (encore un clin d’œil du cinéaste !) – servant de trait d’union et de centre de gravitation aux autres personnages – leur fils, sa fiancée, et deux de leurs amis – au fil des saisons rythmant une année, le cinéaste a creusé avec délicatesse et perspicacité dans le jardin secret des relations, dans les fissures de l’âme, dans les tréfonds des failles dissimulées et souvent insoupçonnées de chacun, mettant à mal les émotions. La cible est atteinte, tout en douceur, sans fracas mais sans faillir. Le public est subjugué.
Subtilement, de manière feutrée, Another Year laisse infuser les émotions tel un thé servi à l’anglaise, accompagné de succulents biscuits au beurre qui fondent dans la bouche au fil des confidences. Cette délicate fresque sociale prend aux tripes, oscille entre regrets, mélancolie, tendresse, espoir et désespoir. De prime abord, le tableau semble assez sombre, mais le film est souvent traversé par quelques éclairs furtifs de rire partagé, de complicité et d’un humour au troisième degré so british, enrobé par une saine fraîcheur, ponctué par les bons mots que distille le couple salvateur. Another Year balance constamment entre rires et larmes, puisant sa substantifique moelle dans la complexité des sentiments, des non-dits chargés d’émotions enfouies de longue date. 
Mike Leigh a dépeint des personnages qui nous parlent, nous rappelant des proches, au travers du temps qui passe, du quotidien que l’on ne parvient pas à saisir, soulignant l’importance de l’amitié salvatrice et exutoire des émotions refoulées. La solitude et la déprime de l’amie contrastent avec la complicité fusionnelle du couple formé par Tom et Gerri mais, à sa manière, chaque personnage est attachant, touchant, d’une humanité universelle. C’est bien là que réside la réussite de ce petit bijou cinématographique qui a su toucher et séduire tous les journalistes, nombreux, venus assister à la vision de presse matinale, programmée à 8h30 ; l’horaire aurait pu être dissuasif et pourtant, la salle était bondée. A l’issue de la projection, les commentaires enthousiastes fusent de toutes parts : les personnages ont séduit et convaincus, que ce soit le mari et la femme formidablement campés par Jim Broadbent et Ruth Sheen, la copine de bureau de l’épouse magistralement interprétée par Lesley Manville, complice du cinéaste depuis des années, et qui joue ici une déprimée, désespérément esseulée et en quête de compagnie et d’amour. Elle boit pour noyer son chagrin et oublier cette solitude si pesante, elle boit à en perdre toute décence, et donc sa dignité. Sa prestation est remarquable mais les autres acteurs ne sont pas en reste, servant avec brio ce film qui est réussi sur tous les plans : visuel, narratif, émotionnel.
Firouz-Elisabeth Pillet 

You Will Meet a Tall Dark Stranger


de Woody Allen, avec Antonio Banderas, Naomi Watts, Anthony Hopkins. Etats-Unis, 2010.

En cette fameuse matinée placée sous le signe de l’émotion, matinée d’humour pince-sans-rire, le film de Mike Leigh fait encore parler de lui alors que la deuxième séance est sur le pont de commencer : le dernier Woody Allen, You Will Meet a Tall Dark Stranger. Le réalisateur et jazzman a présenté son dernier film à Cannes. Accompagné de ses muses, il a marché dans l’ombre de ces dernières qui ont attiré tous les zooms et les flashs vers elles, aimantés par la beauté de Naomi Watts et le charme de Lucy Punch. Pour ce film hors-compétition, Woody Allen a frappé un grand coup, en recrutant auprès du gratin de l’actorat : l’actrice australienne Naomi Watts, Anthony Hopkins, Antonio Banderas, Josh Brolin et la délicieuse Freida Pinto, révélée dans Slumdog Millionaire sont réunis dans cette nouvelle comédie romantique.
Après l’époustouflant Match Point (2005), l’inspiration du cinéaste a connu quelques soubresauts, sans que ses inconditionnels admirateurs ne perdent espoir de retrouver cette grâce et cet humour qui sont sa signature. Il était parti se ressourcer à Londres d’abord, puis à Barcelone. Et il faut reconnaître que ces escapades européennes avaient vivifié son inspiration. Il retourne dans la capitale britannique… Pourtant, cette histoire aurait pu se dérouler dans le fief du cinéaste, à New-York. Lui s’en défend, lors de la conférence de presse cannoise : « il fallait impérativement que mes personnages évolue en Angleterre ». On ne va pas chipoter et on lui concède volontiers ce petit caprice puisque, dès le générique, son crooner jazzy retentit. On sait d’ores et déjà que le cinéaste binoclard, désormais absent de sa distribution, a retrouvé sa verve d’antan, et que, comme à l’accoutumée, il nous replonge en terrain familier. Les destins et les choix de ses différents personnages vont les entraîner dans des situations rocambolesques, narrées comme si de rien n’était, pour le plus grand bonheur de son public fidèle. Entre humour, amour et haine, passion et sexe, on suit plusieurs histoires à la fois. Dans cette narration à tiroirs, dont le cinéaste new-yorkais raffole, ce dernier exulte et maîtrise totalement un récit qui semblerait embrouillé à certains, mais qui, chez Woody allen, coule de source. Les thèmes abordés ici sont familiers au réalisateur : l’amour, les relations hommes-femmes, le temps qui passe inexorablement, la mort, si soudaine alors qu’on aimerait encore croquer la vie. Pour l’affronter, le cinéaste a recours à une bonne dose d’humour au énième degré, déjà présent danms le titre : Tu rencontreras le grand inconnu ténébreux que nous sommes tous destinés à rencontrer, lance un écrivain acariâtre, et dont le succès tarde à venir, pour se moquer de sa belle-mère qui consulte un médium.

« You Will Meet a Tall Dark Stranger » de Woody Allen

Rescapée d’une tentative de suicide et de quelques séances de psychanalyse, Helena, la belle-mère en question, va se ressaisir et chercher, avec conviction, l’être annoncé par la cartomancienne. Elle croit mordicus à cet homme providentiel qui la consolera d’avoir été abandonnée par son mari après des décennies d’une union qu’elle croyait harmonieuse. L’ex-mari, quant à lui, croit faire fi des ans et retrouver une jeunesse primesautière alors qu’il succombe aux charmes d’une bimbo siliconée et pulpeuse qui, elle, succombe aux charmes du compte en banque du retraité. Bref, des situations bien banales, somme toute ! Dans un premier temps, Helena repousse la déprime à grands renforts de massages et de verres de scotch mais, peu à peu, les prédictions de sa diseuse de bonne aventure semblent se concrétiser…. Au grand dam de son beau-fils !
Les illusions soignent-elles mieux que les remèdes ? Woody Allen fonde son intrigue sur cette question. Tous cherchent une renaissance ; les vieux angoissés par le passage du temps, recourent à des truchements des plus farfelus mais des plus rassurants : croyance en la réincarnation pour Helena (magnifique Gemma Jones), remariage avec une bimbo et absorption de Viagra pour son ex-époux (Anthony Hopkins, drôlissime dans un rôle qui le montre, pour une fois, sous une facette amusante et cocasse). Quant aux jeunes, étouffés dans la routine conjugale qui a anéanti toute velléité de passion, ils succombent aux tentations adultérines (le fameux démon de la quarantaine !) et à la soif de la réussite et de la reconnaissance sociales : la fille d’Helena (Naomi Watts) soupirant pour son patron, hidalgo au charme ténébreux, galeriste d’art (Antonio Banderas) ; son conjoint (Josh Brolin) publiant un roman volé à un “ami“ qu’il croit mort, et draguant une voisine (Freida Pinto) qu’il observe, en voyeur insatiable, depuis des mois. A nouveau, ces personnages nous parlent, si proches de nous ou de personnes que l’on connaît. On se laisse insensiblement emporté par cette histoire à la fois drolatique et introspective.
Cette comédie sur la frustration, l’angoisse et l’insatisfaction joue sur les situations, rendant hommage à de grands réalisateurs : on songe à Hitchcock, alors que le scribouillard en mal d’inspiration se délecte en observant la fille d’en face... et, ayant déménagé chez elle, se met à fantasmer en voyant par la fenêtre son ex-femme se dévêtir... Le classique de l’arroseur arrosé. On songe aussi à Ophuls lors d’une projection sentimentale sur une paire de boucles d’oreilles. Pour combler son public, Woody Allen ne faillit pas à ses habitudes, laissant son film finir en queue de poisson. Lors de la montée des marches rouges, Woody Allen a su agréablement s’entourer, une blonde à chaque bras, faisant un pied de nez à l’avancée de l’âge et au poids des ans, dans une sorte de mise en abîme. Il est bel et bien le roi du Festival de Cannes. D’un côté, la charmante Naomi Watts, dans une robe nude (le nude-couleur tirant vers le sable et le beige clair) rehaussée de sequins argentés. De l’autre, Lucy Punch, dans une robe satinée, nude également. Quant à Josh Brolin, dans son costume noir sur chemise et cravate noires, il est presque passé inaperçu ! Et oui, à Cannes, l’habit fait le moine… En tout cas, les grands couturiers comptent sur les stars et la fameuse montée des marches pour que leur dernière collection soit vue et admirée par tous ! Mais la tonalité tendance de cette saison – le nude – n’a pas réussi à faire ombrage au talentueux cinéaste de la Grande Pomme !
En Suisse You Will Meet A Tall Dark Stranger sortira en novembre 2010.
Firouz-Elisabeth Pillet

Copie conforme


de Abbas Kiarostami, avec Juliette Binoche, William Shimell. Iran, 2010.

En Italie, en Toscane précisément, dans un lieu propice à l’amour par excellence, un homme, une femme… Une rencontre. Mille et une raisons de s’aimer et de se déchirer, de se quitter pour mieux se retrouver. Abbas Kiarostami part de ce postulat universel et propose une ballade improvisée, placée sous le signe de la spontanéité et des réminiscences, une histoire douce amère aux pays des regrets et des remords, des illusions presque perdues et des tentatives désespérées de les sauver. Pour incarner son propos, Juliette Binoche et William Shimell, l’actrice française et le comédien anglais donnent un ton universel à cette rencontre qui ressemble à des retrouvailles ; copies conformes de couples à la dérive qui semblent avoir atteint l’ultime note de la partition conjointe, et œuvres originales d’un amour encore possible si les deux musiciens entonnent l’aria ensemble. Entre faux souvenirs – qui servent de tremplin à cette romance naissante - et vraies blessures, la fiction et la réalité s’entremêlent subtilement, semant le trouble dans l’esprit des spectateurs ; les deux protagonistes’éloignent pour mieux se rejoindre, entraînant leur public dans un tourbillon vertigineux d’émotions fortes et de sentiments oubliés.
C’est en Italie que se déroule l’intrigue mais le lieu a, somme toute, peu d’importance ; le film se veut d’ailleurs universel, volonté assumée du réalisateur qui provoque la rencontre entre cette galeriste française vivant en Italie et cet auteur britannique, critique d’art, de passage pour donner une conférence. Ce qui importe vraiment, c’est elle et lui. Leur rencontre, leurs confidences, leurs émois, leurs reproches. Elle cherche à renouer avec les racines de leur relation. A chaque question qu’elle lui pose, il se dérobe ; à chacune de ses tentatives éperdues, à elle, il se défile à chaque question ; d’ailleurs, il ne parvient plus la toucher, comme s’il ne savait plus le faire. Elle se souvient, elle souhaite revivre ces émotions d’il y a quinze ans, elle espère raviver cet amour que lui semble avoir complètement oublié. Il met la coulpe sur le temps qui passe inexorablement, inéluctablement. Elle aimerait qu’il soit plus présent, qu’il note les efforts qu’elle fait pour le séduire à nouveau, qu’il remarque son nouveau rouge à lèvres ou le changement de boucles d’oreilles, qu’il se rappelle de leur anniversaire de mariage. Il s’esquive, prenant le prétexte facile du travail. Ils ne marcheront plus jamais côte à côte, enlacés – même si un passant lui suggère de l’entourer de ses bras protecteurs – et ne regarderont plus jamais dans la même direction, même quand elle l’amène dans le petit hôtel où ils ont passé leur nuit de noces et qu’elle l’incite à regarder le clocher par la lucarne.. Ils sont si proches de nous, si bouleversants que le film nous émeut, nous touche progressivement, dans des émotions qui vibrent à l’unisson. Quand leurs espoirs s’illuminent, quand leurs sentiments s’éteignent, quand les reproches fusent de part et d’autre, on dirait les nôtres et on ne peut que s’émouvoir...

« Copie conforme » de Abbas Kiarostami

Durant cette escapade improvisée en Toscane, suivant les méandres des pavés d’un village où les couples ont coutume de se marier, la Vierge du lieu portant bonheur aux unions, le film nous invite à suivre le jeu de cet étrange couple, jeu fait de faux semblants et de mystères, qui laisse les spectateurs intrigués mais séduits ; ceux-ci ne sauront d’ailleurs jamais si ce couple a un passé commun... Se laissent-ils prendre au jeu de cette promenade ludique, poussant à l’extrême la mise en abîme de leur situation personnelle ? Forment-ils un couple qui s’est effiloché depuis quinze ans ? Au fil du film, le doute s’installe et croît. Juliette Binoche change d’idiome à chaque réplique, faisant valser anglais, français et italien comme si elle essayait vainement de raviver leur flamme depuis cette Tour de Babel imaginée par un Kiarostami très inspiré. Fragile, fougueuse, vacillante, passionnée, désabusée, obstinée, courageuse et lucide. Face à elle, William Shimell affiche un charme tout britannique, laconique et lunaire, d’une distance parfaitement maîtrisée. Froid, distant, abrupt, revêche, moqueur, excédé, impoli, il se laisse parfois aller à quelque douceur, aussitôt rappelé à l’ordre par son carcan de manières aseptisées, n’assumant pas les effusions dont il est l’objet. Entre ces deux personnages se fait et se défait un jeu de séduction. D’amour et de haine, de souvenirs étiolés et de reproches longtemps contenus, le tout enrobé sur un discours sur la valeur et la force des copies et des originaux, dans le brouhaha des gens qui gravitent autour d’eux. L’espace d’une après-midi, ils plongent dans l’histoire d’une vie… De leur vie ? Et bouleversent la nôtre.
Firouz-Elisabeth Pillet
 

Outrage


(autoreiji), de et avec Takeshi Kitano, avec Jun Kunimura. Japon, 2010.

Takeshi Kitano était très attendu au festival de Cannes où il présentait son dernier opus, Outrage, marquant un grand retour au genre du film de yakuza pur jus, ou plutôt pur sang, devrait-on dire. Le cinéaste nippon semble plus excité que jamais. La soixantaine passée, Takeshi Kitano revient donc au film de yakuza avec un enthousiasme assumé et contagieux, avec la fougue juvénile d’un débutant. Ses précédentes réalisations ayant déçu la critique, le maître japonais a osé cet outrage, avec ce film tout aussi outrageux que son titre, qui a déclenché des rires nerveux lors de la séance, et des commentaires choqués. Bouleversant les conventions bien-pensantes des cinéphiles, à l’image des émissions complètement décérébrées qu’il animait à la télévision, et “jusqu’auboutiste“ du genre, Takeshi est aux commandes devant la caméra, s’en donnant à cœur joie. Le réalisateur ne se fixe aucune limite, allongeant les visages vérolés, filmant une succession gore de trahisons et saignées (plus rocambolesques les unes des autres) dans le milieu de l’impitoyable mafia nippone, mue par son code du déshonneur et sa bureaucratie qui n’ont pas suivi l’évolution des mœurs et n’ont pas bougé d’un iota depuis leur avènement. Malgré une mise en images d’une pureté aussi lisse qu’une estampe japonaise, le propos reste assez classique dans le genre yakuza. Le personnage d’Otomo (Kitano), pris dans un jeu de dominos (dont sont si friands les Japonais) dont il devient, progressivement, victime, sert de turbine au film. Otomo est un fidèle lieutenant du clan Ikemoto. Prêt à user de tous les moyens et subterfuges possibles, il a pour règle et moteur de vie de servir aveuglément les siens, peu importe les dégâts et les pertes. Il devient simple pion dans un jeu de pouvoirs qui le dépasse et s’avère mortel. Outrage satisfera seulement les amateurs du genre. L’humour truculent, voire rabelaisien, de Takeshi fait toujours mouche, essentiellement dans les scènes les plus gore, mais le propos reste relativement lisse et offre peu de consistance à cette danse macabre des ambitions, et impose une certaine distance vis-à-vis de l’intrigue. Le film, présenté en compétition à Cannes, regroupe tous les défauts pour ne pas décrocher de récompense. D’ailleurs, la cohue de professionnels qui se ruaient à la première projection a vite désenchanté. Les inconditionnels qui s’émeuvent encore devant le visage bosselé du réalisateur lunaire succomberont peut-être à cet opus extrême du genre yakuza, les autres sortiront dépités de la séance, se contentant de cet apéritif filmique, en attendant le prochain chef-d’œuvre qu’on l’on peut espérer du maître. Les nostalgiques préféreront revoir Sonatine...
Ceux qui espéraient le retour de Takeshi Kitano à Cannes après son triptyque existentiel, ont vu leurs attentes récompensées. Outrage rassure les admirateurs inconditionnels de la filmographie de Kitano, qui revient aux sources de ses premiers films, tout en assumant pleinement une représentation de la violence crue et abrupte. Les dialogues cinglants frappent telles des balles, les répliques fusent, touchant à bout portant les spectateurs.

« Outrage » de et avec Takeshi Kitano

Le maître semble avoir achevé son cycle de questionnements pour mieux revenir au polar noir, plus violent que jamais, où l’ironie sanglante et cinglante trouve sa juste place. Le film peint avec une brutalité frontale les règlements de comptes et les exécutions sommaires. Takeshi Kitano avait délaissé ce genre depuis Brother, voire s’en moquait de manière ludique dans Zatoichi. Ici, Takeshi Kitano va encore plus loin : les doigts coupés se multiplient, tout comme les agressions, les scènes d’exécution expéditive et les massacres, les pendaisons à l’aide d’une voiture lancée à grande vitesse… Bref, une imagination galopante qui semble ne pas connaître de limites dans le raffinement des exécutions. Le film atteint un sommet d’hémoglobine que certains spectateurs ont eu du mal à assumer. L’auteur de Sonatine n’imite pas ses premières œuvres puisqu’il se renouvelle, peaufinant la figure du yakuza confronté à sa loyauté. Dominé par les trahisons et les procédés machiavéliques, la dimension sanguinaire et impitoyable de ses antihéros, qui ont la vengeance aussi prompte que les coups de sang et la colère. Le résultat suscite inévitablement de multiples réactions : soit on adore, soit on déteste. Pas de juste milieu mais on ne reste certainement pas indifférent. Kitano a touché sa cible, le public, mais n’a pas convaincu les membres du Jury, placé sous la houlette de Tim Burton.
Firouz-Elisabeth Pillet

Carancho


de Pablo Trapero, avec Ricardo Darin, Martina Gusman. Argetine, 2010.

Après les années d’effondrement financier, l’Argentine vit un véritable fléau social, basé sur la naïveté des plus démunis. Ecœuré par la pratique honteuse et vénale qui s’installe de manière durable dans le pays, Pablo Trapero a choisi de témoigner en évoquant le problème, à la fois terrifiant et éprouvant, de son pays, décimé par les accidents de voitures meurtriers. Ces drames de la route, trop nombreux, enrichissent impunément les réseaux mafieux qui sévissent en Argentine, faisant fi des lois comme de la police. Avisés par des policiers corrompus, qui guettent avidement l’arrivée de blessés graves, voire de moribonds, aux urgences, ces charognards – des avocats tout aussi corrompus que leurs informateurs – font le guêt devant l’entrée des admissions des hôpitaux et se “jettent“ sur les familles des victimes, faisant mine de leur prêter une attention bienvenue afin de d’obtenir leur signature sur des contrats leur déléguant tous pouvoirs pour toucher les indemnités des compagnies d’assurances ; ainsi, ces avocats verreux pourront empocher la majeure partie de l’argent. Sosa fait partie de cette triste corporation. Plusieurs réseaux se répartissent les zones d’influence de Buenos Aires, se disputant la clientèle affligée.

« Carancho » de Pablo Trapero

Sosa, surnommé “le rapace” (« Carancho », rapace en espagnol, est couramment utilisé en Argentine pour désigner un avocat spécialisé dans les accidents de circulation à Buenos Aires) est l’un de ces avocats corrompus ; il doit augmenter son gain, donc recruter un plus grand nombre de proches parents des victimes afin de pouvoir rembourser l’argent qu’il doit à des complices, ces derniers n’hésitant pas à lui rappeler les échéances de paiement à grand renfort de coups de poing. Lors de l’une de ces missions de recrutement, Sosa tombe éperdument amoureux d’une jeune urgentiste droguée, Luján, qui cumule les heures de travail et se drogue régulièrement pour tenir. Au départ écœurée par les manipulations auxquelles se livre le séduisant Sosa (Ricardo Darin, le héros de Dans ses yeux qui vient d’obtenir l’Oscar du meilleur film étranger - voir Scènes Magazine du mois de mai 2010), la jeune femme succombe à ses tentatives de séduction assidues, et se laisse entraîner dans cette passion envoûtante. Sosa accepte la toxicomanie de sa dulcinée, la sauvant d’une overdose ; elle accepte les pratiques douteuses de son amant et accepte de se livrer avec le bel avocat à une ultime opération qui doit leur permettre de commencer une nouvelle vie ailleurs, loin des menaces de plus en plus fréquentes des mafieux qui n’hésitent pas intimider la jeune femme.
Le dernier film de Pablo Trapero déconcerte les cinéphiles qui ont suivi la carrière du jeune cinéaste argentin, quittant son cinéma d’auteur intimiste et social. Avec Carancho, Trapero assumelaréalisation d’un thriller et le revendique même, soulignant que cette terrible pratique sévissant en Argentine, qui détrousse les plus pauvres, exigeait un film fait de courses-poursuites, de castagnes et d’accidents sanglants. Le film de Trapero est lancé à toute vitesse, entre péripéties mortelles et attentes larmoyantes à l’américaine et atteint la catharsis dans un final haletant, à couper le souffle, qui surprend le public jusqu’au générique de fin. Le récit se centre sur la figure de Sosa et ses pratiques révoltantes. Son histoire d’amour avec la jeune urgentiste commence lors d’un accident, dans la rue, la nuit. D’ailleurs, la majorité des scènes est nocturne. Leur relation se fonde donc sur un paradoxe insoutenable mais les sentiments seront plus forts.
Pablo Trapero, cinéaste, et sa productrice, actrice et épouse à la ville, Martina Gusman, sont dorénavant des habitués de La Croisette. Carancho était très attendu par ceux qui avaient vu les précédents films du cinéaste, remarqué avec Leonera (également présenté au Festival de Cannes en 2006). Lors de la projection réservée aux journalistes, le directeur du Festival annonce fièrement : « Carancho cartonne au box-office des salles de cinéma en Argentine, dépassant haut la main Iron man 2 et Robin Hood. » Place ensuite à Pablo Trapero et son épouse, qui dédient ce film à leur fils, Mateo ; le réalisateur avoue que la mise en scène est frénétique, les scènes violentes, mais que Carancho est, avant tout, une histoire d’amour. Trapero parlait alors “d’un tournage rock’n’roll“. Un duo d’acteurs étincelant (Ricardo Darin, déjà vu dans Les neufs reines et Martina Gusman, dans Leonera), complices de longue date de Trapero, incarne des personnages en plein désarroi sentimental et social, en pleine détresse, unis par la solitude et par une passion fougueuse qui les amènera à commettre l’irréparable. A travers ce couple improbable se dessine la fresque d’une société de rapaces avides qui, à Buenos Aires, profite des petites gens, exclus de la société argentine. Déconcerté dans un premeir temps, le public cannois s’est laissé rapidement porter et envoûter par ce style alerte. Pari réussi donc pour le cinéaste argentin dans cette incursion inattendue dans le répertoire plus conventionnel et convenu du thriller.
Firouz-Elisabeth Pillet

Hors-la-loi


de Rachid Bouchareb, avec Jamel Debbouzze, Roschdy Zem, Sami Bouajila. France, 2010.

En Algérie, département français d’Outre-Mer, quelques années avant la seconde Guerre Mondiale, trois frères sont chassés avec violence de leur terre natale alors qu’ils ne sont encore que des enfants. Ils suivent des voies différentes. L’aîné, militaire, s’envole pour l’Indochine (clin d’œil au précédent film de Bouchareb, Indigènes, qui rendait hommage aux appelés des colonies françaises, en soulignant la différence de traitement entre les soldats français et les fusilleurs sénégalais, algériens, marocains, etc.) ; le second, après avoir participé à la manifestation algérienne et vécu le massacre de Sétif du 8 mai 1945, est emprisonné à la santé à Paris ; le cadet débarque en France et se refugie auprès de sa mère dans l’un des baraquements sinistres du bidonville de Nanterre, dépourvu d’alimentation en eau et en électricité à l’époque. Lorsqu’ils se retrouvent enfin, marqués par les multiples violences ayant déchiré leur pays, les trois frères, Messaoud, Abdelkader et Saïd, vont persistent dans des voies divergentes. Abdelkader, soutenu par Messaoud, devient l’un des dirigeants du FLN sur Paris alors que Saïd tente de se trouver une place confortable en France.
Quatre ans après Indigènes, qui avait remporté un prix commun d’interprétation pour Jamel Debbouze, Roschdy Zem, Sami Bouajila et Bernard Blancan, Rachib Bouchareb et son quatuor d’acteurs sont de retour pour défendre Hors-la-loi, puisque, apparemment, on ne change pas une équipe qui gagne.
Hors-la-loi a échauffé les esprits et mobilisé une cohorte d’anciens combattants français en Algérie, secondés par des Pieds Noirs, qui ont déambulé, vociférant et brandissant des bannières, dans les rues de Cannes. Beaucoup de bruit pour un film qui n’en mérite pas tant. Ces représentants UMP ont donc alimenté la publicité du film, à leur insu, puisque celui-ci marquera incontestablement ce Festival 2010.

« Hors-la-loi » de Rachid Bouchareb

A la sortie de la projection, certains soulignaient la véracité du récit historique, d’autres – historiens - fustigaient la simplicité et les anachronismes historiques mais, globalement, le film de Rachid Bouchareb laisse perplexe, et déçoit quelque peu. Dans l’une des premières séquences de Hors-la-loi, le film s’arrête sur le massacre de Sétif, brutal et sanguinaire épisode de la guerre d’Algérie. Ne serait-ce que pour redonner place à ce terrible massacre dans les manuels d’histoire, le film de Bouchareb bénéficie du soutien de certains historiens renommés comme la Ligue des droits de l’Homme. 
Au-delà de la polémique, déclenchée dès l’annonce de sa sélection par le député UMP Lionnel Luca, Hors-la-loi a le mérite de raviver l’histoire bafouée, niée, de l’Algérie française. Dépassant la grande Histoire pour se concentrer sur l’histoire des trois frères, le cinéaste réalise un film vibrant, mais agite sa caméra dans tous les sens, déroutant les spectateurs. Il a su cependant ne pas abuser des truchements mélodramatiques vers lesquels le sujet pouvait aisément l’entraîner s’il avait succombé aux travers liés à son implication personnelle. Car Bouchareb s’est mué en défendeur de l’histoire algérienne, avant, pendant et après la colonisation. Il parvient avec intelligence à prendre du recul pour relater autant le conflit mettant face à face Français et Algériens, que sur ceux qui embrasent les Algériens entre eux.
Impliqués, engagés, viscéralement liés à ce conflit, les trois frères – interprétés par trois acteurs dont les origines alimentent l’interprétation – nourrissent le récit de leurs fractures et de leurs blessures, de leurs espoirs et de leurs désillusions, de leur fougue ; chacun des personnages persévère avec obstination afin d’échapper à sa condition, à la misère et à la barbarie de ces massacres monstrueux. Certaines longueurs altèrent un peu la description du cheminent de cette fratrie, la mise en scène aurait pu être mieux jugulée, un peu resserrée.
A la fin du film, on se questionne sur les motivations et les intentions de Rachid Bouchareb : espérait-il mettre en lumière certaines vérités politiques et historiques ? Il aurait dû alors approfondir sa quête. Si l’on se contente de la dimension artistique du film, ce dernier remplit son office. Déclenchant les foudres de certains, Hors-la-loi continuera sans doute à alimenter de virulentes controverses et à confronter les Français à des pages de leur histoire qu’ils ont sciemment occultées pendant plusieurs décennies. Pour répondre aux offensives des représentants UMP, le Festival de Cannes a choisi de dédier cette journée – consacrée au film de Bouchareb – à toutes les victimes de la guerre d’Algérie, une décision mettant le film au centre d’un débat plus humain que politique, plus artistique que polémique.
Firouz-Elisabeth Pillet

Robin Hood


(USA 2010) de Ridley Scott avec Russell Crowe, Cate Blanchett, Max von Sydow, William Hurt

Attention cet article contient des révélations qui balaieront de nombreux rêves d’enfants !
Nous sommes en effet au regret de vous apprendre que Robin des Bois n’a jamais vraiment existé ! Un malheur n’arrivant jamais seul, Scènes Magazine est en mesure de vous dévoiler que l’identité du “prince des voleurs“ est frelatée : Robin Hood signifie littéralement “Robin la capuche“ ou “Robert le K-Way“ et non Robin des Bois. Nous adressons nos compliments aux générations de traducteurs trompés par la paronymie entre “hood“ et “wood“ !

« Robin Hood » de Ridley Scott

Le sort réservé par l’industrie cinématographique au facétieux rebelle en collants n’est guère enviable : il y a bien entendu les incontournables versions historiques façon crèches vivantes avec Douglas Fairbanks (1922) et Errol Flynn et Olivia de Havilland en 1938. Notre préférence va évidement au désarmant dessin animé du regretté Walt Disney (1973). Hélas, il nous faut également mentionner la Rose et la Flèche, une version antimilitariste avec Sean Connery et la variante qualifiée par Russel Crowe lui-même de « digne d’un clip de Bon Jovi » avec Kevin Costner. Faisant flèche de tout bois et souhaitant ajouter son nom à cette longue liste de chefs-d’œuvre, Ridley Scott choisit de nous raconter la genèse de la légende du « redresseur de tort de la forêt de Sherwood ».
Tout commence en France au Château de Chalus où Richard Cœur de Lion, de retour de croisade, perd la vie au cours d’un assaut. L’archer Robin de Loxley se saisit de sa couronne et regagne une Angleterre exsangue et gouvernée par Jean sans Terre. Le pays ploie sous une dette king size et une imposition inéquitable et confiscatoire ...
Passons rapidement sur le reste du film (2h20) qui n’est qu’une version moyenâgeuse, antifrançaise et caricaturale de Gladiator portée par un Russel Crowe mutique et empâté. Reste les trop rares apparitions de Cate Blanchett et du crépusculaire Max von Sydow...
Rendez-nous Oncle Walt !
Philippe Baltzer