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Les films de juillet 2008

Commentaires sur : MaradonaAffaire de familleLe journal d’une baby-sitterDeux jours à tuer.

Article mis en ligne le juillet 2008
dernière modification le 29 octobre 2011

par Firouz Elisabeth PILLET, Julien LAMBERT

Maradona


un film documentaire d’Emir Kusturica, avec Diego Maradona, Emir Kusturica, sélection officielle, Cannes 2008.

Emir Kusturica fait un film sur Maradona : ça peut sonner comme une bonne blague, mais c’est vrai. En se repassant les images des films qui ont valu deux Palmes d’Or au réalisateur serbe, les histoires de famille, les délires villageois, les concerts improvisés sur fond de guerre évoquée par la tangente, on entrevoit peut-être ce qui a pu le fasciner dans le culte orgasmique que suscite le Dieu du football dans un pays rongé par la misère et les humiliations géopolitiques.

« Maradona » d’Emir Kusturica

Mais ces scènes de liesse populaire comme l’ambiance endiablée des matchs de Coupe du monde ou le fameux but de la main, Kosturica n’a pas pu les tourner lui-même, il ne leur a pas insufflé son sens du montage ni sa poétique des images incongrues : son film est un documentaire. Du moins il se camoufle derrière ce semblant de sérieux, cet ersatz d’intrigue, pour mieux cacher l’effroyable vacuité de ce qui s’avère très vite un bricolage sans nom.
Kosturica greffe en effet des montages de buts en série à la façon des vidéos pour amateurs de foot en manque de matchs frais, des images d’actualités télévisuelles et même de grotesques clips d’animation montrant Bush en train de pourchasser Maradona hilare sur un terrain, sur ses propres rencontres avec le joueur, qui s’échelonnent sur deux ans. Là encore l’atmosphère, pour ne pas dire l’esprit, tente vaguement de combler un vide de fond criard : Maradona est carrément pathétique dans ses regrets outranciers de s’être abîmé dans la drogue, ses dénonciations politiques simplistes vaguement socialisantes ou les évocations larmoyantes de sa famille. En revanche on le voit partager rires, embrassades et clins d’œil avec Kusturica, mais si faussement qu’on en vient à regretter pour un si grand réalisateur qu’il se soit laissé noyer par la mégalomanie du buteur, au point de compiler des séquences de ses anciens succès avec les « grands » thèmes de la généalogie maradonienne, sur le prétexte d’un mot, d’une image. Pas un semblant de dialogue ne s’échange en revanche entre Kusturica et son pauvre anglais, et Maradona qui ne quitte pas une seconde un espagnol tout aussi misérable pour faire l’étalage de sa phénoménale rhétorique de l’ego. On croit vraiment à la contagion, tant les pérégrinations de Kosturica parmi le peuple argentin donnent lieu à des réflexions absconses sur Dieu, la drogue, Freud et le tango, divagations d’un seul homme projetées au centre de l’écran sous les apprêts d’une sociologie philosophique de comptoir. En jouant pleinement la carte de l’émotion que provoque toujours l’humain mis à nu, le réalisateur mué en voyageur éclairé parvient pourtant à capter certains moments touchants dans les exhibitions de la star, il parsème son itinéraire titubant sur les traces du champion de quelques scènes absurdes, pâles reflets de ses films, comme ce mariage d’originaux sous l’égide des prêtres de la religion maradonienne, sur une pelouse bien sûr. Généralement, c’est la recette de l’homme placé face à sa légende qui prend le plus facilement : deux guitaristes de rue qui jouent une chanson à la gloire de leur idole devant un Maradona bouffi qui passe par là comme par hasard, c’est évidemment pittoresque. Nonobstant ce n’est pas en caricaturant l’ambiance de ses propres films que Kusturica pourra se justifier d’avoir cédé à la maladie très contemporaine du documentaire humanisé et, peut-être, à une passion de supporter qui fait difficilement la mœlle d’une œuvre.
Julien Lambert

Le journal d’une baby-sitter


(The Nanny Diaries), de Robert Pulcini, Shari Springer Berman, avec Scarlett Johansson, Paul Giamatti. Etats-Unis, 2008.

En attendant les retombées de Cannes, on ne décèle pas grand chose à se mettre sous la dent pour des cinéphiles affamés par une programmation plate et insipide. Pour les inconditionnels admirateurs de la resplendissante et sensuelle Scarlett Johansson, et surtout en attendant de la découvrir dans le trio amoureux concocté par Woody Allen qui s’est délocalisé à Madrid pour ce faire, on se contentera de la voir évoluer dans un rôle qui ne lui offre rien de prestigieux mais dont elle se sort avec brio malgré tout.
On ne naît pas baby-sitter, on le devient… Surtout en terre anglo-saxonne. Rien de nouveau sous le soleil pour les filles au pair ; c’est connu de tous et de longue date : un séjour en Angleterre ou aux Etats-Unis en tant que « nanny » peut virer rapidement au cauchemar, voire avoir des relents d’esclavagisme. C’est cette facette que ce film a voulu explorer, en y ajoutant un chemin initiatique pour cette jeune fille au pair bien décontenancée, et une morale servie tant à la mère indigne qu’aux spectateurs.

« Le journal d’une baby-sitter » de Robert Pulcini

Annie Braddock est une jeune femme d’origine modeste, tout juste sortie du collège. Pressée par sa mère d’entrer dans la vie active, elle quitte, fraîchement diplômée en anthropologie, son New-Jersey natal pour commencer dans la vie active sur la rive d’en face. Mais, une fois à New York, elle renonce aussitôt à une carrière toute tracée pour entrer comme nounou dans une famille huppée de Manhattan, les X. Un monde insoupçonné s’ouvre alors à elle, exotique et déroutant, semé de pièges et d’embûches. Car la vie chez les X n’a rien d’un long fleuve tranquille : Madame est une bourgeoise radine, hyperactive et maniaco-dépressive et Monsieur, un tyran de la plus belle espèce, volage et absent. Madame X fait rejaillir ses angoisses et ses amères déceptions matrimoniales sur la jeune Annie qui se plie au joug dictatorial jusqu’au jour où ses nerfs lâchent. Par chance, leur fils, Grayer, est un adorable gamin auquel Annie s’attache immédiatement, s’efforçant de lui apporter tout l’amour dont le privent ses parents. C’est d’ailleurs pour lui, et pour lui seul qu’elle subit avec dignité et dans un parfait mutisme tous ces affronts.
Avec un humour et un stoïcisme à toute épreuve, Annie réussit à surmonter toutes les crises, jouant à la perfection son rôle d’esclave corvéable à merci. Mais, côté cœur, quelques surprises l’attendent lorsqu’un bel étudiant de Harvard entreprend de faire sa conquête. Ce sera le déclic stimulateur pour qu’Annie relève la tête et tente d’ouvrir les yeux aux parents de Grayer.
Le film est inspiré du roman de Nicola Kraus et d’Emma McLaughlin, qui ont travaillé comme baby-sitters pour une trentaine de familles fortunées de Manhattan ; leur roman fleure bon l’expérience vécue et les situations sont d’une véracité troublante. Que retenir de cette pièce d’anthropologie/sociologie sur les filles au pair ? Que cela s’annonçait comme un film prometteur, porteur d’un message, servi par une des actrices les plus sexys et séduisantes de la planète, accompagnée de rôles secondaires fort judicieusement distribués et placé sous la houlette du couple de réalisateur Shari Springer Berman et Robert Pulcini qui ne se sont plus quittés depuis leur rencontre à la Columbia University. Malheureusement, tous ces heureux ingrédients ne suffisent pas à sauver le film qui, après une première partie divertissante, nous fait vite sombrer dans l’ennui. Le scénario manque de puntch et on ne sait plus à quel public le film est destiné : aux enfants ? Aux parents ? Les premiers passeront à côtés de savoureux dialogues, les seconds anticiperont souvent d’une scène ou deux. Si ce film partage avec Mary Poppins la célèbre scène du parapluie volant, la comparaison s’arrête là. Mais comme depuis Mrs Doutfire, les nounous n’ont plus fait parler d’elles…
Firouz Elisabeth Pillet

Affaire de famille


de Claus Drexel, avec Miou-Miou, André Dussollier, Hande Kodja, Eric Caravaca. France, 2008.

Vu la frustration que tout bon cinéphile accumule ces dernières semaines à chaque sortie d’un nouveau film français – ne citons que le caricatural 48 heures par jour sur l’absence de parité depuis la Nuit des temps, le grotesque Disco avec Dubosc en victime vedette, ou le flop complet du retour des Randonneurs… Mais quelle idée aussi d’aller randonner à Saint-Tropez ! – le policier comique ou la comédie policière signée Claus Drexel avait de quoi inquiéter.

« Affaire de famille » de Claus Drexel

Une belle distribution, certes mais de bons acteurs ne suffisent pas à faire un bon film. Une histoire cousue de fils blancs, des raccords qui reprennent sans cesse la narration, histoire d’ê-tre certain que les spectateurs aient compris…. Pour son premier long métrage en tant que réalisateur, Drexel, qui a opéré comme chef opérateur, ose prendre de sérieux risques. Vraiment de quoi rester perplexe les vingt premières minutes. Et soudain, la magie opère. On comprend et on finit par apprécier ces redondances narratives, on s’amuse des gros plans a priori insistants sur des évidences (armes du crime, pièces à conviction) dont on comprendra la subtilité ultérieurement.
Affaire de famille plonge les spectateurs dans l’univers sans pli d’une famille de province : un père sans histoire, une femme dévouée, une fille studieuse... Une famille en apparence bien tranquille qui voit sa vie bouleversée par la découverte d’un sac de sport rempli de billets. Peut-être ceux de l’attaque du stade de foot avoisinant… Bientôt l’image se fissure, le jeu des faux-semblants commence : un petit ami qui se mue en faux inspecteur de police, un complice pas si stupide, une mère pas si bourgeoise, un père pas si taciturne, une fille pas si mijaurée. Le jeu des apparences a tôt fait d’ouvrir son labyrinthe ou d’y entraîner le public tout en douceur.
D’après les scénaristes, la grande référence pour l’écriture du scénario a été Rashomon. Mais le film de Kurosawa fonctionne surtout sur le mensonge et sur le souvenir qui déforme la réalité. Dans Affaire de famille, par contre, chaque personnage apporte sa version de la vérité, tous semble à la fois coupable idéal et parfait innocent, et les scénaristes ont fait en sorte que le spectateur sache tout. Cette narration chorale rend les spectateurs très actifs quant au déroulement du récit. Tous les acteurs se sont fortement impliqués dans ce film, en particulier la jeune Hande Kodja qui a usé ses coudes et ses genoux en roller avant de céder sa place à une doublure professionnelle. Miou-Miou a poussé, quant à elle, le professionnalisme jusqu’à jouer une scène particulièrement violente sans trucage, le visage couvert d’un papier cellophane qui l’amène à frôler l’asphyxie.
Affaire de famille ne paie initialement pas de mine mais s’avère être une petite réussite en fin de parcours : un premier long métrage savoureux qui mélange avec style les genres sur un scénario basé sur différents points de vue, à la manière de Lucas Belvaux pour sa trilogie.
Firouz Elisabeth Pillet

Deux jours à tuer


de Jean Becker, avec Albert Dupontel, Marie-Josée Croze. France, 2008.

Antoine Méliot, la quarantaine, a tout pour être heureux : une belle épouse, deux enfants adorables, des amis sur lesquels il peut compter à tout instant, une jolie demeure dans les Yvelines et de l’argent. Mais un jour, il décide de tout saboter en un week-end : son bonheur, sa famille, ses amis, son entreprise, sa petite vie paisible. Que s’est-il passé chez cet homme pour qu’il change si étrangement de comportement ? Une maîtresse, peut-être… C’est ce que croit une amie de Cécile, son épouse.

« Deux jours à tuer » de Jean Becker, avec Mathias Mlekuz, Albert Dupontel, Cristiana Reali et Francois Marthouret
© Studio Canal

Adapté du roman éponyme de François D’Epenoux, que Jean Becker a lu d’une traite alors qu’il se trouvait en Ecosse, le roman a immédiatement emballé le réalisateur qui, au nom de la liberté créatrice, a choisi de tourner la deuxième partie du film dans la région des lacs du Connemara, en Irlande. Pour le cinéaste, le choix des acteurs coulait de source : Dupontel, excellent dans tout ce qu’il entreprend, et qui mêle un entrain naturel à un physique un peu inquiétant, un regard percutant face à Marie-Josée Croze, tout en douceur et en passivité.
Dans la même veine que le grandiose Il y a longtemps que je t’aime, de Philippe Claudel, et suivant la même structure – la chute donne la réponse à toutes les questions que l’on se pose durant le film – Deux jours à tuer est un petit film en durée (1h30) mais un grand moment de cinéma en intensité et en émotions. Les acteurs, principaux comme secondaires, y sont tous parfaits. Jubilatoire est le qualificatif idéal pour ce film qui poursuit le spectateur bien au-delà de la projection. Albert Dupontel, au mieux de sa forme, se livre à un véritable jeu de massacre. Sans devenir poncif ou doctoral, Becker nous livre une réflexion sur l’absurdité de l’existence et sur la futilité de certaines valeurs de notre société. Vous révéler la chute serait vous gâcher l’effet escompté mais sachez que le réalisateur insiste pour que l’on reste jusqu’à la fin de la chanson du générique de fin, partie intégrante du film. Deux jours à tuer s’avère un très beau film qui accroche dès le début et monte en puissance et en tragique sans répit.
Jean Becker n’en est pas à sa première œuvre comme nombre de ses congénères qui se noient dans la pellicule malgré la meilleure volonté du monde. Il offre ainsi un film étonnant tout d’abord, poignant, d’une parfaite maîtrise quant à l’image, surtout en Irlande, et dont l’intérêt se met en place en provoquant l’attention, l’indignation, l’embarras et la tristesse du spectateur. On s’en veut de n’avoir pas discerné auparavant la gravité de tous ces actes, de toutes ces paroles qui n’expriment que détresse et déchirement.
Et quelle maîtrise dans la direction des acteurs : Albert Dupontel est vraiment un être à part, dont le jeu happe et bouleverse tant il semble si cruellement authentique. Tour à tour agressif, expansif et douloureux, il offre à ce film une intensité troublante à laquelle participent un excellent et estimable Pierre Vaneck, beau-frère de Becker, et un ensemble judicieux de comédiens où brillent Claire Nebout et Christiana Réali.
Courez découvrir ce petit chef-d’œuvre et n’ayez crainte de l’oublier de sitôt… Il se chargera de vous rappeler à son bon souvenir, en réveillant en vous des émotions enfouies, étouffées, qui resurgissent comme des claques au contact de ce spectacle bouleversant.
Firouz Elisabeth Pillet