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Les films de février 2007 - II

Commentaires sur les films : El Custodio - Bobby - La stella che non c’è - Romance and Cigarettes.

Article mis en ligne le février 2007
dernière modification le 17 mai 2012

par Firouz Elisabeth PILLET

El custodio


(le garde du corps) de Rodrigo Morena, avec Julio Chavez, Osvaldo Djeredjian. Argentine, 2005.

Ruben, garde du corps du Ministre de la Planification, le suit comme une ombre lors de représentations officielles mais aussi dans la vie privée,. Se vouant corps et âme à son devoir, il y a belle lurette que le garde cinquantenaire a fait l’impasse sur une éventuelle vie privée et amoureuse. Dans son dévouement, il mène une vie monotone et solitaire, avec quelques sporadiques incursions de sa sœur, aux fréquents sauts d’humeur, et sa nièce.
Si vous êtes d’humeur maussade, autant de tout de suite renoncer à voir ce film. El custodio ne prête pas à rire, bien au contraire. Insensiblement, de manière presque insidieuse et silencieuse, le film de Morena vous prend aux tripes et ne vous laisse plus tranquille. Le scénario, plutôt linéaire, suit une trajectoire temporelle sans soubresauts mais ne perd rien de son intensité. Le cinéaste en est conscient : son film n’est pas du goût de tout le monde, même parmi les inconditionnels du cinéma latino. Dans cette linéarité surgissent soudain quelques non-événements dans la vie privée de Ruben qui vont le faire basculer de son assentiment apparent au passage à l’acte. Action, me direz-vous ?

« El Custodio »
© Sophie Dulac Distribution

Mais le propos du film va au-delà de la description de la personne de Ruben, résigné dans l’accomplissement de ce métier de l’ombre. Il s’agit de solitude, et pas seulement celle de Ruben. Malgré ses nombreuses relations et son aisance verbale, le Ministre aussi est très seul. Ces êtres emmurés dans leur solitude semblent avoir perdu leur âme, laissant une impression constante d’être entourés d’un voile. Les automatismes prennent le dessus et les gestes s’exécutent. La photographie a misé sur les tons bleu et brun, synonyme d’une totale absence d’horizon, dans l’espace comme dans l’avenir. L’inquiétant silence qui règne durant tout le film n’est troublé qu’à trois reprises par une musique qui symbolise la libération du corps et laisse espérer une lueur de tendresse.
Noir, marquant, voire éprouvant, il mérite que l’on prenne le temps de s’y attarder même si la première demi-heure inquiète, ennuie et estourbit. L’esthétique magnifiquement épurée est à l’image du contenu. A priori destiné à un public éclairé et averti, El custodio a pourtant fait l’unanimité en décrochant la plus haute distinction en Colombie. En effet, ce troisième long-métrage du cinéaste argentin Rodrigo Morena lui a permis de remporter le Cercle d’Or précolombien au Festival du Film de Bogota, et son acteur, Julio Chavez (Ruben) y reçut la mention d’honneur comme meilleur acteur.
Fayrouz-Elisabeth Houchi-Pillet

Bobby

d’Emilio Estevez, avec Demi Moore, Anthony Hopkins, Sharon Stone, Harry Belafonte. USA, 2006.

Le 5 juin 1968, à minuit, le sénateur Robert F. Kennedy, ancien Ministre de la Justice, candidat démocrate à la Maison Blanche et probable successeur de son frère, est assassiné à son arrivée à l’Hôtel Ambassador de Los Angeles. Le film d’Emilio Estevez nous plonge dans cette tragédie avec, en toile de fond, les problèmes sociaux, économiques, politiques et raciaux des États-Unis. Le discours novateur de ce candidat à la présidence fait souffler un vent nouveau, d’espoir et d’égalité, parmi les Américains. Très proche de son frère John, Robert l’a épaulé durant sa campagne sénatoriale et présidentielle. JFK assassiné, Bobby incarne la relève, l’issue aux maux des États-Unis, et le chemin vers une démocratie salvatrice. Ralliant Blancs et Noirs, pauvres et riches, le sénateur veut sortir les États-Unis de l‘enfer de la guerre au Viêt-Nam. Son assassinat provoque un séisme sans précédent dans toutes les couches de la population.

« Bobby » avec Martin Sheen et Helen Hunt
© TFM Distribution

Le film d’Estevez mêle dans un parfait équilibre les images d’archive et l’histoire, rendant un vibrant hommage à cette figure emblématique des États-Unis, la quatrième victime d’une période houleuse et noire, après JFK, Malcom X, Martin Luther King. Le propos du cinéaste est sans fioriture : l’assassinat de Bobby est une perte immense pour les USA, mais aussi pour le monde entier où son rêve et son discours vibrent encore. La troublante actualité de ce drame permet au cinéaste de dresser un constat personnel sur les parallélismes de cette époque avec l’ère post-11 septembre et les campagnes guerrières de Bush.
Ce film très abouti et convaincant a pourtant donné bien des tracas à son géniteur. Emilio Estevez n’a guère été soutenu par les studios américains pour mener à terme son projet. Le lieu clef du tournage, l’Hôtel Ambassador, étant déclaré trop ancien et voué à être remplacé par une école, le cinéaste a dû filmer en une seule semaine, se contentant de la façade, des halls et de la cafétéria. La reconstitution de la scène finale de l’assassinat au sein de l’hôtel est d’autant plus méritoire.
Le film accroche le regard, capte l’attention de bout en bout, entraînant les spectateurs dans l’euphorie de cette Ascension brisée en plein vol. Au sortir de la séance, on a le sentiment d’avoir été un témoin aux premières loges de cette tragédie, d’avoir vécu au cœur de ces événements. Du grand spectacle pour un cinéaste qui a su choisir une belle palette d’acteurs pour servir sa cause.
Fayrouz-Elisabeth Houchi-Pillet

La stella che non c’è


(L’étoile manquante), de Gianni Amelio, avec Sergio Castellitto, Zing Thou. Italie, 2006. Festival de Venise 2006.

Alors que son usine vient de signer un gros contrat avec des acheteurs chinois qui emmènent un haut-four dans l’empire du Milieu, Vincenzo Buonavolontà, manutentionnaire dans l’aciérie, est persuadé qu’il doit se rendre en Chine retrouver la machine vendue et éviter une catastrophe. Persuadé que le haut-four est défectueux, Vincenzo s’engage dans un périple tant géographique que culturel, dans une quête existentielle. Accompagné par Liu Hua, une jeune traductrice rencontrée en Italie, il réalise que cette mission dont il se sent investi n’est que prétexte à un voyage intérieur, plus essentiel et plus éprouvant.

« La stella che non c’è », de Gianni Amelio

Le point de départ du film est le roman d’Ermanno Rea, La dismissione (Le Démantèlement). Là s’arrête l’inspiration. Pour incarner son protagoniste, Amelio a immédiatement songé à Castellitto qu’il rêvait de faire jouer depuis fort longtemps. Lui donnant la réplique, Zing Thou fait ici sa première apparition au cinéma et son jeu est remarquable.
Gianni Amelio avoue avoir vécu un tournage éprouvant sur plus de neuf semaines. Il a cherché, à travers son film, à restituer ses propres impressions face à ce pays si vaste et si diversifié. Face aux mégapoles chinoise hypertrophiées, le protagoniste semble vivre au rythme de valeurs morales surannées, presque archaïques. Faisant songer aux héros picaresques tel un Don Quichotte qui s’élance dans de folles aventures pour sauver la vie des autres, il finit, dans une certaine mesure, par sauver la sienne. Le côté candide, farouchement déterminé et volontaire de Vincenzo Buonavolontà a ravi l’acteur Sergio Castellitto et aura tôt fait de vous séduire, vous spectateurs, ravis que vous serez de suivre le péripéties de ce héros cervantesque qui détonne des superhéros infaillibles made in USA.
La formule narrative choisie, le road-movie, permet à Gianni Amelio de varier le rythme de la narration, tantôt rapide à l’image de la frénésie citadine, tantôt fluide et posé, reflétant la quiétude des campagnes reculées de l’arrière-pays. Certains spectateurs y trouveront peut-être quelques longueurs mais ces pauses ménagées dans la quête existentielle du protagoniste permettent au public de s’imprégner de sa lente métamorphose, de ce cheminement difficile puisque tous les repères connus y ont disparus.
Bien que l’aventure fut parfois difficile, surtout en ce qui concerne les conditions de tournage (Gianni Amelio avoue qu’il n’est pourtant pas plus difficile de tourner dans un pays au passé communiste, les fonctionnaires étant les mêmes partout !), le réalisateur se sent déjà titillé à l’idée de tourner à nouveau une prochaine réalisation en Chine. Nous voilà donc avertis !
Fayrouz-Elisabeth Houchi-Pillet

Romance and cigarettes


de John Turturro, avec James Gandolfini, Susan Sarandon, Kate Winslet. USA, 2005.

Nick (Gandolfini) est un ouvrier de l’acier de New-York qui passe ses journées à consolider les boulons des nombreux ponts de Big Apple. Il est marié à Kitty (Sarandon), une femme à la fois douce et forte, avec laquelle Il a trois filles adultes. Depuis peu, il a une liaison avec une jeune femme, Tula (Winslet) qui cherche à le retenir. Lorsque Kitty découvre les frasques de son mari, Nick a beau être un brave gars, il a bien des preuves à fournir pour reconquérir sa belle et sauver sa famille.
Comment aborder le thème de l’adultère sans ennuyer son public ? Molière avait déjà trouvé la parade en le faisant rire. Turturro signe avec Romance and cigarettes son troisième long métrage, après Mac (1992) et Illuminata (1998). Comme pour ses deux premiers films, le comédien signe le scénario et fait partie de la distribution.

« Romance and Cigarettes » avec Susan Sarandon
© Metro Goldwyn Mayer (MGM)

Turturro a choisi la comédie musicale pour ce sujet délicat et même si ses comédiens ne savent pas vraiment chanter, ils jouent prodigieusement bien une histoire classique et banale et rendent le propos proche des spectateurs. Dans ce « Down and Dirty » musical, les scènes parlées ne font que ponctuer les chansons aux rythmes effrénées qui rappellent la grande époque des comédies musicales des années 60, du genre West Side Story. Entre sa sulfureuse maîtresse et sa femme outrée, Nick ne sait plus où donner de la tête et quand les émotions submergent ce petit monde, cela s’exprime en décibels. Tout explose alors en chansons et les ingrédients de la farce affichent présents : érotisme, humour, fantaisie.
Dans un premier temps, Romance and cigarettes déconcerte, puis intrigue. Une fois le cap de l’étonnement passé, on se laisse agréablement entraîné dans cette euphorie de chansons et de passions, surprendre par les intermèdes musicaux plus astucieux les uns que les autres. Et puis, oser parler d’un sujet si universel avec autant de dérision et d’humour permettra à bien des personnes de dédramatiser leur propre situation. Considérant que cette œuvre iconoclaste est sorti du cerveau fumant de Turturro, on se met à fantasmer sur son imagination galopante.
Fayrouz-Elisabeth Houchi-Pillet