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luff - lausanne underground film & music festival
Lausanne : L’underground en Suisse

Coup d’œil sur l’affiche du Lausanne underground film & music festival.

Article mis en ligne le octobre 2009
dernière modification le 24 octobre 2009

par Frank DAYEN

Clap 8e. On tourne : les différents genres du cinéma underground
helvétique, la présence de Tony Conrad, des hommages au camp cinema de Jack Smith, les archives de l’homme qui veut disparaître et les films de
propagande anticommuniste américains…

Des gothiques piercés cheveux rouges, talons mastoc et yeux charbon noir, sur des peaux pâlottes… On imagine volontiers les visiteurs du LUFF sortis de certains films punk japonais et croisés avec leurs frères monstrueux de la Hammer. Pourtant, cette année surtout, il se pourrait que les plus nombreux soient les étudiants de l’ECAL ou d’histoire, voire d’authentiques movie buffs. Parce que beaucoup de films retenus, dont des kilomètres de métrages expérimentaux, ne sont pas disponibles sur support vidéo ou DVD. Pour preuve, quelques œuvres de l’Américain Tony Conrad, l’homme dont la lecture The Velvet underground aurait donné l’idée à Lou Reed et John Cale du nom de leur groupe. Le LUFF avait déjà donné à voir son fameux The Flicker (1966), images noires et blanches en alternance, sans personnages, qui a provoqué quelques nausées mémorables et qui est considéré par Gaspard Noé comme le film le plus violent qu’il ait jamais vu. Cette édition, le Festival programme les films de Conrad en 16 mm des années 60-70, ainsi que des œuvres plus récentes, inédites en Suisse.

Jack Smith lève le camp
Autre raison de déplacer les foules trop sages autant que les connaisseurs, un hommage au camp cinema, espèce de dérive du film gay, voire réaction contre l’image pessimiste, parfois scabreuse, du genre gay habituel. Camp était le sobriquet dépréciatif qu’on jetait aux homosexuels dans les années 60 en Amérique. « Le style camp se caractérise par un humour exubérant, une profusion de couleurs, un sexe libéré et la recherche volontaire de situations coquasses et burlesques », explique Julien Bodivit, directeur artistique du LUFF. « Pas du tout la tonalité du film gay Otto (2008), de Bruce la Bruce, découvert au Festival de Berlin l’an dernier, qui se veut une métaphore provocatrice mais pas vraiment drôle du SIDA (film de clôture du LUFF). Jack Smith ou les frères Kuchar sont les figures les plus emblématiques du mouvement camp. Smith a influencé notamment les réalisateurs John Waters et David Lynch, ou les artistes Matthew Barney et Andy Warhol. Ce dernier a poussé le camp à l’extrême, avec ses très longs plans fixes de personnages qui discutent de tout et de rien. D’ailleurs, dans Camp (1965), Warhol met en scène Jack Smith, comme pour lui rendre hommage. » Le LUFF constitue une rare occasion de voir les films de Jack Smith, uniquement sur pellicule 16 mm.

Jack Smith, « Flaming Creatures », 1963.
Photo MNAM/Centre Georges Pompidou, Courtesy Jack Smith Estate © DR

L’écrivain et historien du cinéma Jack Stevenson exposera les influences de Jack Smith à l’occasion d’une conférence au LUFF, ainsi que sur les films de propagande anticommunistes US.
De son côté, Noël Lawrence revient au LUFF avec tout ce qu’il a pu retrouver de l’œuvre du réalisateur américain JX Williams. Tarantino, Scorsese et John Waters (encore) jurent devoir beaucoup à son cinéma d’avant-garde. Prénom et date de naissance inconnus, banni d’Hollywood et en très mauvais termes avec la mafia dont il a dénoncé les liens incestueux, JX Williams fait aujourd’hui tout pour rester discret : il se cache aujourd’hui quelque part et a commencé à détruire les preuves de son œuvre. D’ailleurs, volontairement ou sous pression de la censure, le site www.imdb.com, pourtant toujours très exhaustif, ne recense qu’un seul des films de Williams (Peep show, 1965) et ne fournit aucune indication sur sa carrière ni sur sa biographie. Etonnant puisque, d’après d’autres sources, sa filmographie compterait près d’une soixantaine de films.

Du porno made in Switzerland
Il était temps que le LUFF réalise que la cinématographie helvétique recèle aussi de perles alternatives. « La majorité des gens, même cinéphiles, ont une idée reçue sur le cinéma suisse », constate Julien Bodivit. « Quand on leur parle de cinéma suisse, ils pensent tout de suite à quelque obscur drame dans un deux-pièces-cuisine. Ou alors ils citent quelques documentaires, genre dominant dans notre cinéma national. Plutôt que de mettre l’accent sur un ou deux très bons films, le LUFF offre un large éventail des sous-genres underground suisses. »

« Bloodlust » de Marijan Vajda

Et de rappeler le plus gros succès du cinéma helvétique commercial de l’année 1983, L’Araignée noire, un film d’horreur injustement tombé dans l’oubli, sorti ni en vidéo, ni en DVD. Les effets spéciaux sont pourtant réalisés par les collaborateurs de Hans Rüdi Giger (le Suisse oscarisé pour les effets spécieux d’Alien, 1979), et son sujet est précurseur de la fibre écologique d’aujourd’hui. Autre découverte, l’assez cru euro-trash Bloodlust (Mosquito der Shaender, 1976) de Marijan Vajda, d’après le véritable fait divers du vampire de Nuremberg. Ou ce drame germanophone tordu Georgette Meunier (1989) de Tania Stöcklin et Cyrille Rey-Coquais. Ou encore le documentaire Züri brännt (1989) sur les mouvements de contestation jeune à Zurich en 1980, très rarement montré en Suisse romande.
A côté de ces productions de la marge et d’autres films expérimentaux (sélection de courts-métrages), le LUFF aurait aussi souhaité montrer un échantillon de la cinématographie X helvétique. « Oui, il existe des films pornographiques suisses ! Mais la majorité sont liés au producteur Erwin Dietrich, alors que nous voulions projeter une œuvre de la production indépendante plus artisanale », regrette Julien Bodivit. Regrette, parce que la comédie érotique qu’il avait sollicitée de son auteur lui a été refusée. Peu de gens savent que le réalisateur schwytzois Xavier Koller (Léopard de bronze à Locarno pour Reise der Hoffnung en 1990), a tourné en 1976 une comédie érotique, Mädchen, die am Wege liegen, encombrée ensuite de scènes pornographiques en gros plans. « Cette œuvre particulière aurait intéressé le LUFF, remarque Julien Bodivit. Mais, contacté lors d’un festival à Shanghai à ce sujet, Xavier Koller nous a signalé souhaiter se distancier d’un film dont la mouture finale n’est ni sa création propre, ni ce qu’il avait souhaité au départ. » Finalement, le film est signé Joseph K. Shalbert, pseudonyme… d’Erwin Dietrich, et ne sera pas visible au LUFF.
Le festival propose enfin certains films expérimentaux de Peter Liechti, qu’on a découverts à Locarno et à Visions du Réel.

Frank Dayen

LUFF – Lausanne Underground Film & Music Festival, du 14 au 18 octobre 2009 ; www.luff.ch.