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Festival de Gérardmer
Gérardmer : Festival, édition 2010

Selon son habitude, le Festival de Gérardmer continue d’interroger la notion de cinéma de genre.

Article mis en ligne le mars 2010
dernière modification le 19 mars 2010

par Colette FRY, David LEROY

En 1994, le Festival d’Avoriaz, délogé de son rocher par les promoteurs immobiliers de la station, a trouvé refuge dans le cœur des Vosges et s’est rebaptisé Festival de Gérardmer. Selon l’aveu même de son directeur, Lionel Chouchan, ce qui a été perdu en médiatisation, a été gagné en authenticité. 17 ans plus tard, on ne peut que souscrire à son avis. Le festival, présidé par John Mc Tiernan, affiche une bonne santé, ce qui est déjà en soi une performance, et continue d’interroger la notion de cinéma de genre avec plus de rigueur encore que par le passé.

Un autre débat sur l’identité
Le festival, très réflexif cette année, offrait aux spectateurs plusieurs opportunités de mener cette interrogation : colloque et documentaires permettaient de jeter un regard rétrospectif sur ce qui construit l’identité du genre, mais c’est avant tout par sa sélection, particulièrement réussie, qu’il a pu témoigner de la vitalité du Fantastique et de sa capacité à refléter les inquiétudes du temps.
Lors du colloque consacré au cinéma fantastique, le réalisateur canadien francophone Eric Tessier, a reconnu que le film de genre était pour lui un moyen d’aborder des sujets de société qu’il ne pourrait pas traiter de manière classique sans risquer la lourdeur du discours ou l’impudeur du réel. Le fantastique ou l’horreur sont pour lui des safety bar (à prononcer avec l’accent québécois) lui permettant de traiter son sujet, ici, la descente dans la folie obsessionnelle.
Dans son film, 5150, rue des Ormes, le jeune héros est témoin malgré lui d’une exécution et se retrouve séquestré par une famille dysfonctionnelle. Après avoir amadoué le spectateur avec un début très solaire, Tessier plonge rapidement son héros dans une horreur simultanément castratrice et prévenante, encombrée de justification religieuse et de pulsions refoulées. Difficile d’imaginer mise à mort plus systématique des sociétés occidentales conservatrices, sécuritaires et aliénantes au sens propre du terme.
Entre Taxi Driver et Le joueur d’échecs de Stefan Zweig, le film nous guide pas à pas vers une scène macabre de pure folie qui échappe au grotesque grâce à une narration progressive qui réussit à rendre crédible, sinon acceptable, cette perte de repères moraux. Il n’y a pas mieux pour nous faire comprendre de l’intérieur la logique de la folie, ce qu’un film traitant le sujet de manière classique aurait eu plus de difficultés à nous faire partager.

« 5150, rue des Ormes » de Eric Tessier

Inquiétudes du moment
Mais c’est sans doute les films de science-fiction qui ont le mieux exprimé les inquiétudes du moment.
Cargo, film suisse d’Ivan Egler est un phénomène. Disons-le carrément, la Suisse tient enfin son Spielberg. Sorti en septembre en Suisse alémanique, il s’agit du premier film de science-fiction helvétique qui peut rivaliser avec les blockbusters hollywoodiens au niveau technique.
La Terre est inhabitable et l’humanité s’est réfugiée dans des stations aussi monumentales qu’artificielles. Leur seul espoir : réunir assez d’argent pour atteindre Rhea, une planète similaire à ce que fut la Terre et d’où proviennent régulièrement des messages rassurant de la part de ceux qui ont eu la chance de faire le voyage. Une jeune médecin va aider un terroriste à dévoiler ce qui se cache derrière ces messages.
Avec une maîtrise des moyens techniques et narratifs impressionnants pour un premier film, Ivan Egler nous démontre que la Suisse n’est pas condamnée à produire des films contemplatifs ou perpétuellement nostalgiques d’une nouvelle-nouvelle-nouvelle-vague. Malheureusement, le rythme du film a tendance à immobiliser l’intérêt du spectateur alors que quelques trous narratifs le font sortir de l’histoire. C’est moins un problème d’argument scénaristique que de structure, ce qui nous rappelle une règle de précaution cinématographique : il faut toujours se méfier lorsqu’il y a cinq scénaristes au générique. Malgré ce problème qui risque de nuire à la carrière internationale du film, il faut tirer un grand coup de chapeau à ce réalisateur qui réussit un final impressionnant et nous gratifie d’une jolie inversion perverse en filmant la réalité narrative à l’aide d’images de synthèse et les projections mentales à l’aide de prises de vues réelles.
Cette capacité d’illusion est la base du travail du magicien et du cinéaste démiurgique. Il manque juste un cœur à cette machine pour nous embarquer dans son univers. C’est évidemment le plus difficile à trouver.

« Cargo » de Ivan Egler

C’est pour cette raison que Moon, film britannique de Duncan Jones, est une totale réussite. Malgré l’argument spatial, Jones n’oublie jamais que le film ne peut nous emporter que si l’acteur incarne un enjeu émotionnel. Jones s’inspire des atmosphères de Silent Running et 2001 et confronte le cosmonaute Sam Bell à une découverte qui le fera méditer sur sa condition humaine et sur la finitude/infinitude de l’être. Sam Rockwell, au mieux de sa forme, nous offre une prestation ahurissante en habitant seul l’écran pendant 97 minutes (à l’exception d’un robot et de sa femme par visiophone interposé). Son jeu, l’émotion générée par l’intelligence du propos et la finesse des dialogues nous font littéralement ressentir sa crise d’identité. Le film nous invite ainsi à un vrai et profond débat sur l’identité, non nationale, mais humaine.

Cargo, Moon et Avatar marquent le retour en force de la science-fiction comme miroir de nos préoccupations. Que ces trois films postulent que la Terre ne soit plus habitable en dit long sur le pessimisme qui nous habite. A ce stade ce n’est plus un débat sur l’identité, mais plus radicalement un débat sur notre survie en tant qu’espèce auquel le cinéma Fantastique nous convie.

Colette Fry & David Leroy

Palmarès  :


 Grand prix : “The Door” d’Anno Saul / Prix du jury : “Moon” de Duncan Jones
 Prix de la critique : “Moon” de Duncan Jones, avec mention spéciale à “Amer” de Hélène Cattet et Bruno Forzani
 Prix du public : “5150, rue des Ormes” d’Eric Tessier
 Prix du jury SyFy : “La Horde” de Yannick Dahan et Benjamin Rocher
 Prix du jury jeunes : “Possessed” de Lee Yong-ju
 Prix du court-métrage : “La morsure” de Joyce A. Nashawati