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CAC-Voltaire, Genève
Genève : Rui Nogueira, Clap de fin

Portrait de Rui Nogueira, suivi de ses réponses à quelques questions.

Article mis en ligne le novembre 2010
dernière modification le 11 décembre 2011

par Rosine SCHAUTZ

Rui Nogueira quittera cet automne le CAC-Voltaire après 33 ans de passions et d’exaltations communicatives mises au service d’une population genevoise qui aura tout appris à son contact. Car qui se souvient du Centre d’Animation Cinématographique d’avant 1977 ?

Entre l’histoire et la légende, je choisirai toujours la légende.
John Ford

Il était une fois
Rui Nogueira, critique de cinéma à Paris et directeur du Festival International du Jeune Cinéma d’Hyères dans le Var, est invité à Genève par François Roulet et Claude Richardet, fondateurs du Centre d’Animation Cinématographique, afin de venir présenter et commenter quelques films portugais à la rue Voltaire. Puis, à la faveur d’une blague qui n’est pas tombée dans l’oreille d’un sourd (Rui a dit, en réponse à la question d’une éventuelle autre visite, qu’il reviendrait à Genève le jour où il pourrait prendre la place de Richardet soi-même), une série de démarches et de pourparlers se sont enclenchés. Non sans difficultés, Nogueira a pu s’installer à la rue Voltaire et ré-inventer les lieux et les fonctions de cette salle mythique que fut ce CAC-Voltaire-là.

Rui Nogueira et Nicoletta Zalaffi, au festival d’Hyères

Mythique, elle le fut, et le restera à jamais. Non seulement pour la qualité des films projetés, souvent sous forme de marathons, sortes de mini-festivals autour d’un thème filé sur un week-end, dont on sortait groggy mais beaucoup plus cinéphile. Rui embarquait son public, l’air de rien, dans la salle aux sièges grinçants, si confortables que certains clodos venaient parfois y faire des siestes sonores, et là, debout devant l’écran, presque dans l’écran, il nous décryptait les films, et nous racontait les cinéastes. On l’écoutait, on le regardait, on le questionnait, et le film attendait qu’il ait fini !
Salle mythique aussi parce que ce n’était pas du cinéma qu’on y projetait, mais l’amour du cinéma, ce qui n’est pas tout à fait la même chose. Un film, lancé à toute berzingue, entre deux gobelets king size de pop-corns et deux boissons gazeuses, ne donne pas à réfléchir de la même manière qu’un film expliqué, décortiqué, discuté autour d’une tranche de cake maison et d’un thé de menthe chaud, merveilleux viatiques avant l’obscurité redemandée ou la sortie titubante dans une rue Voltaire en pente douce.
Mythique enfin, parce que l’aventure était celle d’un couple de cinéma. D’un homme et d’une femme rivés, voués, engagés jusqu’à bout de souffle dans la promotion d’un art. Oui, sans Nicoletta Zalaffi, l’extraordinaire femme de Rui, chapeautée comme lui, extravagante comme lui, blagueuse comme lui et toujours généreuse de tout, de sa personne, de son savoir, de ses engouements, oui, sans Nicoletta dont on entend parfois encore en regardant les affiches du CAC l’éclat de rire contagieux, plein d’une Italie cultivée, sans cette femme-là, les lieux n’auraient été ni vécus ni habités de cette façon-là.

Il était une deuxième fois
En 1988 Rui et Nicoletta sont descendus ‘en ville’, ont traversé le Rhône, et se sont installés au Grütli, emportant dans leurs valises le nom CAC-Voltaire et leur revue Rectangle, vrai journal de réflexion cinématographique qui voyait le jour très spontanément, et très régulièrement, dans un bureau plein à craquer au 6ème étage d’un immeuble austère de la rive droite. Rui Nogueira et sa femme inventèrent alors une programmation harmonieuse et fonctionnant en miroir (2 salles) dans cette nouvelle Maison de la culture où tout était neuf, donc propice à être imaginé, interrogé, construit. Ils créèrent de vrais festivals autour de thèmes choisis ou de réalisateurs aimés qui, en quelque sorte, se répondaient par films interposés, voire se répondaient de festivals en festivals... Une analyse fine de leurs programmations le montre de manière éclatante. C’est ça, notamment, que les Genevois ont appris à leur contact : faire une programmation cinématographique, ce n’est pas jouer aux dés ou surfer sur une mode aussi avant-gardiste soit-elle, c’est plutôt donner à penser des rapports, faire entendre des relations, raviver des intelligences ou même des doutes en proposant de la cohérence.

Il est une troisième fois
Clap de fin ? Pas tout à fait, car si Rui Nogueira s’en va avec dans ses valises - pour toujours cette fois-ci - le nom du CAC-Voltaire, il a des idées plein les poches. Dont une, primordiale : développer à travers la Fondation Rui Nogueira (www.fondationruinogueira.com) l’immense collection de films qui lui appartient et qu’il veut faire connaître aux futurs ‘allumés’ du septième art.

Rosine Schautz

Cinq questions à Rui Noguera

Quel est votre film préféré et pourquoi ?
Pendant très longtemps, mon film préféré a été Only Angels Have Wings (Seuls les Anges ont des Ailes), de Howard Hawks (1939), avec Cary Grant, Jean Arthur, Richard Barthelmess, Rita Hayworth et Thomas Mitchell. Un hymne à l’aventure, à l’héroïsme, à l’amour… des thèmes chers à Hawks, qui reste mon cinéaste préféré.

« Samuel Fuller, une de nos plus belles rencontres », Rui Nogueira.
Photo Nicoletta Zalaffi.

Aujourd’hui, après les 33 ans vécus à Genève, je suis plus enclin à placer en tête, The Fountainhead (Le Rebelle), de King Vidor (1948), avec Gary Cooper, Patricia Neal, Raymond Massey et Robert Douglas. Tiré d’un roman fondamental de Ayn Rand, ce film est en quelque sorte l’apologie d’un individualisme éclairé et intègre qui s’oppose avec virulence au collectivisme, tendance qui sévit de nos jours. L’esprit de ce film, ainsi que l’univers d’Ayn Rand, me collent de plus en plus à la peau. C’est le seul film où je me retrouve dans tous les personnages principaux : l’amant, la femme et le mari.

Quel est votre acteur préféré et pourquoi ?
Le plus grand acteur de tous les temps fut certainement John Barrymore (1882-1942), la cadet de la famille Barrymore, capable de tout jouer… Mais mon acteur préféré est, peut-être, Errol Flynn (1909-1959). Détail curieux : autant Barrymore que Flynn ont été détruits par l’alcool et Flynn avait une énorme admiration pour Barrymore.

Quelle est votre actrice préférée et pourquoi ?
Mon actrice préférée est certainement Anna Magnani (1907-1973). Elle incarne à mes yeux la Femme dans toute sa splendeur. Elle est aussi la Mamma, la Maîtresse, l’Epouse. Elle est l’image de la Vie.

Quel est votre genre de film préféré et pourquoi ?
Je suis un amoureux de deux genres qui symbolisent à mes yeux le septième art : la comédie musicale (Astaire, Kelly, Cagney, Garland, Powell (Eleanor), Charisse, Minnelli, Donen, etc.) et le western (Ford, Hawks, Walsh, Mann, Wayne, Cooper, Flynn, etc.). Seulement après viennent le film noir, la comédie, le film d’aventures, le film de guerre…

Couleur ou noir/blanc ?
La couleur est très bien si elle est travaillée par de grands esthètes. Sinon, je reste un inconditionnel du noir et blanc.

Propos recueillis par Rosine Schautz