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Films de mars 2008 - IIe partie

Commentaires sur : Le BannissementAtonementCortex.

Article mis en ligne le mars 2008
dernière modification le 4 mars 2012

par Firouz Elisabeth PILLET

The Banishment


(Izgnanie), de Andrei Zvyaguintsev, avec Aleksandr Baluyev. Russie.

Un homme, sa femme et leurs deux enfants (un garçonnet et une fillette), quittent une cité industrielle pour la campagne d’où est originaire le mari et s’installent dans la vieille maison du père de celui-ci. En contraste avec le lieu d’avant, (la ville qui enjolive les rapports entre les personnages, qui arrondit les angles, créant même une certaine illusion du bonheur et de l’amour), le nouveau lieu est donc la Nature. Brute, sans fioritures, cette nature à la fois accueillante et mystérieuse livre les êtres à une profonde solitude. Une nature envoûtante, aux chauves collines qui se perdent à l’horizon, comme au fond d’une source préhistorique, une terre fertile qui s’étend à perte de vue mais qui ne saura pas réconforter les cœurs. Une terre triste mais fière en même temps, comme ses habitants. Une terre qui ne laisse rien paraître mais qui exige un immense sacrifice, comme ses habitants. Et personne ne retiendra la main du père levée sur son fils, ni le poing du mari violent qui rue de coups sa femme enceinte. Mais la foi en la « loi » de la fierté humaine est aussi violente qu’insatiable. Aussi violente que son remords, et que sa culpabilité quand la vérité se fait jour.

« The Banishment »

Quant à la question : « De quoi parle Le Bannissement ? », la réponse est : « Comme n’importe quel film, il parle, quelle qu’en soit la manière, de nous tous » : des gens beaux et charitables plongés dans des circonstances tragiques et sans issue, des situations dramatiques à la fois si éloignées et si proches de nous par leur universalité.
Présenté au dernier Festival de Cannes, parmi les films américains et français, ce film russe se frayait une place au soleil de la Côte d’Azur, aux côtés d’un film roumain, d’un chinois, d’un anglais, d’un coréen ! Le Bannissement, second long-métrage du cinéaste russe Andrei Zvyagintsev après Le Retour en 2003, est une adaptation de la nouvelle de William Saroyan, Matière à rire. Mais le réalisateur précise qu’il n’a pas fidèlement retranscrit cette œuvre. Le Bannissement est le genre de film que l’on a peu de chance d’aller voir en dehors de Cannes et qui vaut le détour. Même si les deux heures et demi de projection peuvent dissuader, il suffit de se convaincre en se remémorant que Le Retour avait été sélectionné dans plusieurs festivals et a reçu il y a 4 ans le Lion d’Or du festival de Venise. Ce nouveau long-métrage, un drame familial dur et saisissant, séduit, de manière subtile et presque à notre insu.
Présenté en Compétition Officielle au 60ème Festival de Cannes, Le Bannissement a été récompensé du Prix d’interprétation masculine, décerné à Konstantin Lavronenko. Si le début peut sembler long et déroutant, la suite recèle une grande force dramatique d’une extrême puissance. Une fois encore, le cinéaste nous propose une image très travaillée, composée, qui se substitue parfois presque aux dialogues. La photographie est peaufinée. Des thèmes douloureux (grossesse indésirable, avortement illégal) sont abordés. Après son Lion d’Or à Venise, ce réalisateur russe a su s’imposer comme un grand cinéaste international, alors qu’il était surtout connu dans son pays pour avoir signé de nombreuses séries télévisées à succès....
Un beau revers artistique !
Firouz-Elisabeth Pillet

Atonement


(Reviens-moi), de Joe Wright, avec Keira Knightley, James McAvoy. Grande-Bretagne, 2008.

Août 1935. Malgré la canicule qui frappe l’Angleterre, la famille Tallis mène une vie insouciante à l’abri dans sa gigantesque demeure victorienne. La jeune Briony, treize ans, a trouvé sa vocation, elle sera romancière. Mais quand, elle surprend sa sœur aînée Cecilia dans les bras de Robbie, le fils de domestique, sa réaction naïve face aux désirs des adultes va provoquer une tragédie et marquer à jamais le destin du jeune homme comme de sa cœur. Les ans ont passé, Briony est devenue une célèbre romancière. A la sortie de son dernier roman, elle se prête au jeu d’une interview télévisée et dévoile les coulisses de cet ultime roman qui s’avère dramatiquement biographique.
Atonement, « Expiation » en français, renommé Reviens-moi dans sa version cinématographique, a été présenté en ouverture de la Mostra de Venise 2007, en compétition. Jamais un réalisateur aussi jeune que Joe Wright (35 ans) n’avait eu cet honneur auparavant. Nommé dans 7 catégories aux Golden Globes 2008, Reviens-moi a décroché deux prix lors de la conférence de presse (qui tenait lieu de cérémonie) : Meilleur film dramatique et Meilleure musique (Dario Marianelli).
Concernant le travail d’adaptation du roman de Ian McEwan, c’est un exercice d’autant plus périlleux qu’il s’agit d’un ouvrage très dense, qui comptait moult lecteurs inconditionnels. C’est en quelque sorte une entreprise de démolition, estime l’écrivain Ian McEwan à ce propos. Il faut réduire une œuvre de 130’000 mots à un scénario de 25’000 mots. Le travail d’adaptation est particulièrement complexe pour le scénariste car il s’agit d’un roman très introspectif qui fouille la conscience de plusieurs personnages. Je trouve que Joe Wrigt et Christopher Hampton ont accompli un travail d’une grande intelligence – et je dirais même plus, d’une grande pertinence.

« Atonement »
© Studio Canal

A la manière d’un Wong Kar Wai, Joe Wright a montré depuis le magnifique Orgueil Et Préjugés qu’il appartient à cette catégorie de réalisateurs touchés par la grâce qui parviennent à insuffler à chacun de leur opus un savant mélange d’élégance et d’intelligence. Même si le film d’époque, en costumes, peut effaroucher certains spectateurs, il faut oser se risquer à voir Atonement, un pur moment de bonheur, malgré une intrigue douloureuse.
A cet égard, il faut avouer que l’exercice s’avère parfaitement maîtrisé tant Wright, déjà habitué aux exigences de la retranscription filmique d’une œuvre littéraire avec son précédent long métrage, Pride and Prejudice, parvient avec brio à transposer à l’écran intensité dramatique et profondeur psychologique des personnages. Un résultat saisissant et poignant, qui doit pour beaucoup à la facture formelle du long-métrage fondée sur divers procédés narratifs tels que l’ellipse, le flash-back ou la répétition de scènes à travers différents points de vue, mais aussi au très grand soin apporté à l’image. La photographie bénéficie d’une luminosité à la fois douce et ensoleillée, pour marquer cet été caniculaire ; le réalisateur a eu recours à un filtre bien particulier, des bas Dior qui ont donné un ton irisé aux images.
En effet, si la photo y est tout à fait magnifique, sa particularité réside dans le fait qu’elle opère sur le spectateur une séduction à la fois immédiate et fortement évocatrice, parfois nostalgique. C’est encore grâce à elle que l’aspect charnel et véritablement passionnel de la relation entre Cécilia et le jeune Robbie, et notamment la sublime scène de la bibliothèque, trouve toute sa dimension. Une élégance très anglaise qui se retrouve, donc, dans la photo des paysages, dans celle des visages ou encore des scènes de guerre, magnifiquement reconstituées en Angleterre, mais aussi dans l’interprétation sans fausse note du couple vedette, bouleversant d’authenticité. Quand le rideau tombe, on reste assis sur son siège, à espérer un improbable volume supplémentaire à cette fresque historico-psychlogique !
Firouz-Elisabeth Pillet

Cortex


de Nicolas Boukhrief, avec André Dussollier, Marthe Keller, Pascal Elbé, Julien Boisselier. France, 2008.

Un commissaire à la retraite, à la mémoire défaillante, Charles Boyer, décide d’entrer à la Résidence, un établissement spécialisé dans le traitement de la maladie d’Alzheimer, afin de ne pas devenir une charge pour ses proches. Il s’adapte bien à son nouvel environnement mais des patients meurent… trop vite et trop fréquemment selon Charles. Rattrapé par son instinct de flic, il est persuadé qu’on les a tués. Mais sa mémoire lui joue des tours… Pourtant, il est persuadé qu’il connaît le coupable, que son nom est là. Quelque part enfoui dans sa mémoire. En s’accrochant aux bribes de sa mémoire défaillante, Charles mène l’enquête la plus essentielle et la plus difficile de sa vie.

« Cortex »

Et voilà un film policier français des plus originaux. Mêlant harmonieusement les genres – policier, drame psychologique – il offre à Dussollier, impeccable, un rôle de personnage esseulé, incompris des uns, ignoré des autres. Y a-t-il un tueur en série dans la maison de repos ou notre malade est-il devenu totalement parano ? C’est en jouant sur cette ambiguïté que le réalisateur Nicolas Boukhrief nous tient en haleine. Il avait prouvé son amour des films de genre avec ses critiques enflammées pour le mythique magazine Starfix et ses premiers films. Il déploie à nouveau, après le très réussi Convoyeur – avec Albert Dupontel – sa singularité à manier le genre et le cinéma d’auteur français. Là où la plupart des « nouveaux » réalisateurs auraient péché avec de multiples effets tape à l’œil pour décrire les symptômes de la maladie d’Alzheimer (effets de montages, rebondissements scénaristiques, ellipses), Boukhrief fait montre d’une simplicité à toute épreuve, épurée et brute. Il se permet aussi de parler d’un problème non seulement de santé mais surtout de société, brûlant d’actualité. Une maladie longtemps tabou, qualifiée maladroitement de démence sénile, mais qui touche aujourd’hui des gens de plus en plus jeunes.
On saluera évidemment l’interprétation d’André Dussollier ainsi que celle de Claude Perron, la muse d’Albert Dupontel, tandis que la trop rare Aurore Clément illumine le film par son innocente tendresse. Dussollier s’est impliqué avec un plaisir tout particulier dan ce rôle : « Parce que j’ai adoré Le Convoyeur que j’avais découvert au Festival du film policier de Cognac. Et j’ai retrouvé cette sorte de construction un peu similaire à la lecture du scénario de Cortex, avec notamment un personnage principal qui ne parle pas beaucoup. Paradoxalement, je trouve que le cinéma le plus parlant est celui qui est le plus économe des mots. J’ai donc été frappé par ce plaisir que Nicolas avait de raconter une histoire de cette manière, assez proche finalement du cinéma anglo-saxon. J’aimais beaucoup aussi l’idée d’aborder le thème de la maladie d’Alzheimer dans le cadre d’un thriller en mixant la réalité d’une souffrance humaine à un film de genre. »
Pour se préparer au rôle, André Dussollier a rencontré avant le tournage quelques personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer ainsi qu’une connaissance dont la mère souffre de ce mal. L’acteur a aussi perdu une vingtaine de kilos, non pas pour rendre le personnage plus maladif, mais plus vulnérable. Ce film lui donne l’occasion de retrouver Marthe Keller avec qui il avait déjà joué Toute une vie de Claude Lelouch.
Boukhrief fait preuve d’un classicisme digne d’un Henri Georges Clouzeau (on pense aux Diaboliques pour le huis clos) qui permet lentement d’atteindre l’état de schizophrénie, de doutes, d’oubli et d’innocence propre à cette maladie. A n’en pas douter, Cortex est un film que nous ne sommes pas prêt d’oublier.
Firouz-Elisabeth Pillet